Deux ou trois fois par semaine, les membres des groupes de travail, cinq Chypriotes grecs et cinq Chypriotes turcs, vont banqueter ensemble, alternativement au Nord et au Sud. Depuis l’élection du président Demitris Christofias, venu du Parti communiste AKEL, les négociations « techniques » ont repris entre les deux parties de l’île divisée depuis la tentative de coup d’Etat des alliés des colonels grecs et l’occupation de la partie Nord par les troupes turques en 1974.
Ce n’est pas la première fois depuis trente-quatre ans mais il y a au moins un consensus de part et d’autre : la situation n’a jamais été aussi favorable, avec la présence à la tête des deux communautés de dirigeants qui veulent un accord, qui se connaissent bien et qui sont même des amis politiques et personnels. Demetris Christofias, président de la République de Chypre, membre de l’Union européenne depuis 2004, et Mehmet Ali Talat, « président » de la République turque de Chypre du Nord, reconnue seulement par Ankara, ont milité ensemble dans des organisations de gauche.
CRITIQUE DU NATIONALISME
Est-ce assez pour garantir un succès ? L’élection, au début de l’année, de M. Christofias qui a succédé à Tassos Papadopoulos, un nationaliste, artisan du rejet du plan Annan en 2004, a créé un nouveau climat.
Le président a récemment apporté sa caution à une conférence du département d’études turques de l’université (grecque) de Nicosie consacrée à une critique du nationalisme. Une première.
Toutefois, les obstacles pratiques à la réunification – nature de l’Etat, unitaire ou confédéral, partage du pouvoir, délimitation des deux zones, sort des propriétés confisquées après 1974, avenir des colons turcs, garanties de sécurité – demeurent entiers. La réaction d’un membre turc du groupe de travail sur la « gouvernance » – on évite soigneusement le mot Constitution pour ne choquer ni les Grecs, qui veulent conserver celle de 1960, ni les Turcs, qui en veulent une nouvelle – est significative : « Notre groupe est un grand succès », affirme-t-il, avant d’énumérer les points de désaccord qui portent sur tous les sujets essentiels.
« L’exercice est un peu frustrant », résume un des principaux négociateurs, même si des mesures visant les contacts entre les deux parties doivent être annoncées prochainement.
Avant la fin de juin, M. Christofias et M. Talat devraient se rencontrer pour fixer la date de la reprise des négociations globales au plus haut niveau. Sans doute en septembre. Ils sont seuls en mesure de donner une impulsion politique susceptible de dépasser les querelles sémantiques.
S’ils réussissent à s’entendre, le dernier mot ne leur appartient pas. Il revient à la Turquie, qui entretient toujours plus de 30 000 soldats dans le nord de l’île (pour une population de 200 000 personnes). Le gouvernement d’Ankara est partisan d’un accord. Mais lequel ?
Daniel Vernet
LE MONDE
Article paru dans l’édition du 05.06.08