Colonisation : Arno Klarsfeld rend son rapport et soutient la loi reconnaissant le génocide des Arméniens

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«L’HISTOIRE n’est pas le pré carré des historiens.» Le lendemain de la décision du président de la République de supprimer l’article contesté de la loi sur la reconnaissance de la France envers les rapatriés, Me Arno Klarsfeld prend le contre-pied de l’argumentation du chef de l’État. Le 21 décembre, alors que Jacques Chirac venait de demander à Jean-Louis Debré de trouver une solution pour mettre fin à la controverse, le président de l’UMP, Nicolas Sarkozy, avait confié à Me Arno Klarsfeld une mission sur «la loi, l’histoire et le devoir de mémoire».

L’UMP a publié hier ses conclusions.

Rapport d’Arno Klarsfeld, avocat
La loi, l’histoire et le devoir de mémoire
25 janvier 2006

Par une lettre en date du 21 décembre 2005, vous m’avez demandé de réfléchir sur la loi, l’histoire et le devoir de mémoire. Cette demande fait suite aux controverses qui ont porté sur l’article 4 de la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ainsi qu’à la pétition de certains historiens parue dans la presse le 13 décembre dernier exigeant l’abrogation des lois du 13 juillet 1990 réprimant le négationnisme, celle du 29 janvier 2001 reconnaissant le génocide arménien, celle du 10 mai 2001 faisant de la traite et de l’esclavage un crime contre l’humanité ainsi que celle du 23 février 2005.

Dans les régimes autoritaires ou dictatoriaux qui ont sévi en l’Europe au XXème siècle, la mémoire des évènements passés a constitué un enjeu essentiel impliquant une écriture justificative de l’histoire conforme à l’idéologie dominante. Dans les régimes parlementaires et démocratiques ces enjeux de mémoire sont devenus considérables à leur tour pour d’autres raisons.

Pour la première fois depuis la Pax Romana les Européens bénéficient d’une aussi longue période de paix et de prospérité : ils vivent libres, sont soignés, mangent à leur faim, ont une espérance de vie de 30 ans plus longue qu’au début du siècle précédent; ils ont droit à l’éducation ; ils ont du pain et aussi des jeux, ceux de la télévision, se reposent deux jours par semaine et ceux frappés par le chômage ne sont pas pour autant condamnés à mourir de faim et de misère comme dans les années 1930. Cette Europe constituée de nations réconciliées a retenu les leçons des tragiques expériences hitlérienne et stalinienne, répudie les totalitarismes de l’extrême droite et de l’extrême gauche et cherche résolument, et avec bon sens, à éviter les crises économiques et les bouleversements sociaux et politiques qui déchaînent les grandes peurs, les instincts, les passions, la violence, la cruauté, l’inhumanité, la guerre et la mort. Cette Europe dégagée de la pression des nationalismes dispose de temps apaisé et éprouve le besoin de se retourner sur son passé et ses traumatismes.

Auparavant en moins d’un demi-siècle la France a connu deux guerres mondiales dont elle est sortie victorieuse certes, mais au prix dans la première d’une terrifiante saignée humaine, dans la seconde d’une accablante défaite initiale suivie d’une profonde division entre une France complice de l’Allemagne hitlérienne et une autre France, celle de la Résistance intérieure et extérieure. La décomposition de son Empire d’outre mer a suivi avec les guerres d’Indochine et d’Algérie et la décolonisation.

La confrontation de la France avec son passé s’exprime avec d’autant plus de complexité que la France n’a compté longtemps que des Français de souche ou des immigrants chrétiens qui se sont rapidement intégrés. Pendant des siècles les seuls éléments extérieurs à la chrétienneté ont été les Juifs. On enseignait alors légitimement à chaque jeune français : « Nos ancêtres les gaulois ». Aujourd’hui la France compte aussi en son sein de nombreux descendants des anciens colonisés et d’anciens esclaves ainsi que des rapatriés des colonies et une importante communauté d’origine arménienne.

Toutes ces mémoires sont différentes, parfois elles sont antagonistes, mais toutes ont été meurtries et font partie de la mémoire collective française. Leur devoir de mémoire respectif leur impose de militer pour que les injustices et les souffrances subies collectivement par leurs ascendants soient solennellement reconnues par l’Etat, que ce soit la Nation, la République ou la France.. Les enjeux de la mémoire sont importants pour assurer la cohésion de la société ce qui amène le politique et donc le législateur à intervenir..

Les historiens signataires de la pétition du 13 décembre se disent « émus par les interventions politiques de plus en plus fréquentes dans l’appréciation des évènements du passé…». Cette émotion est étonnante. Signifie-t-elle que selon eux il n’appartient pas aux hommes politiques d’apprécier selon le prisme de leurs convictions et de manière publique les évènements liés à notre histoire tout comme à l’histoire universelle.

Les signataires estiment qu’il appartient aux seuls historiens « d’écrire l’histoire » Les historiens n’écrivent pas l’histoire, les hommes, les peuples font l’histoire; les historiens se contentent d’écrire sur l’histoire.

Les pétitionnaires concluent : « L’histoire n’est pas un objet juridique. Dans un Etat libre, il n’appartient ni au Parlement ni à l’autorité judiciaire de définir la vérité historique… Nous demandons l’abrogation de ces dispositions législatives indignes d’un régime démocratique ».

Ces historiens se trompent. Apprécier le passé c’est aussi le champ du politique et bien sûr des parlementaires représentant la Nation. Il est essentiel de promouvoir parfois des lois mémorielles qui, comme ce fut souvent le cas dans le passé favorisent l’union de la Nation et de notre peuple et aussi de reconnaître l’ensemble des identités qui coexistent dans la République.

Si ‘historien établit les faits avec rigueur et précision, il ne peut assumer la tâche du législateur qui est de protéger et de concilier ces mémoires dans le souci prioritaire de la cohésion nationale. Les lois mémorielles ne sont pas une exception spécifique à notre République.

Par le passé le législateur a souvent organisé les commémorations d’évènements historiques en leur donnent un sens politique et organisé l’indemnisation de victimes de guerres mondiales ou coloniales ou même de péripéties politiques intérieures, tels une révolution ou un coup d’Etat (ordonnance du 19 janvier 1816 pour commémorer les victimes de la Révolution, loi de 1825 du Milliard des Emigrés, loi du 30 juillet 1881 pour indemniser les victimes du coup d’Etat de décembre 1851). La loi du 7 juillet 1880 dispose que « La République adopte le 14 juillet comme journée de célébration nationale ». Célébrer le 14 juillet n’est-ce pas un jugement sur notre histoire et qui contredit l’ordonnance citée du 19 janvier 1816.

Bien d’autres lois mémorielles pourraient être citées : la loi du 25 octobre 1919 qui décide : « « un monument national commémoratif des héros de la grande guerre, tombés au champ d’honneur, sera élevé à Paris ou dans les environs immédiats de la capitale. Tous les ans, une cérémonie sera consacrée dans chaque commune à la mémoire et à la glorification des héros morts pour la patrie » « Héros », « Champs d’honneur », et « Glorification » sont des mots qui « apprécient » l’histoire.

Une loi du 7 novembre 1918 avait décidé que « le citoyen Clemenceau et le Maréchal Foch ont bien mérité de la Patrie ». N’est-ce pas porter une appréciation historique ? Les fusillés de 1917 n’ont pas été jugés dignes d’avoir mérité de la patrie. Une loi du 24 octobre 1922 fixe le 11 novembre comme journée de commémoration de la victoire tandis que la loi du 7 mai 1946 décide que « la commémoration de la victoire remportée par les armées françaises et alliées le 8 mai 1945 sera célébrée le 8 mai ». Une loi a aussi été votée le 21 mai 1947 pour la conservation du souvenir du débarquement en Normandie. Et la loi du 14 avril 1954 dispose « le dernier dimanche d’avril… des cérémonies officielles évoqueront le souvenir des souffrances et des tortures subies par les déportés dans les camps de concentration et rendront hommage au courage et à l’héroïsme de ceux et celles qui en furent les victimes ».

Ces lois ont un caractère mémoriel qui impliquent également des éléments normatifs, des obligations. C’est aussi le cas de la loi du 10 juillet 2000 instaurant « une journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes antisémites de l’Etat français et d’hommage aux justes de France » dont l’organisation sur le plan national et départemental est mise en œuvre par un décret en Conseil d’Etat. Faut-il rappeler que cette loi succède à un décret présidentiel du 3 février 1993 instituant une Journée Nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites et des crimes contre l’humanité commis sous l’autorité de fait dite « gouvernement de l’Etat Français ». Ce décret a été transformé en loi après le discours historique du Président de la République le 16 juillet 1995 reconnaissant que « La France patrie des Lumières et des droits de l’homme, terre d’accueil et d’asile, la France ce jour là accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. » et évoquant l’autre France « présente une et indivisible dans le cœur des Français », et ces « Justes parmi les nations qui permirent de sauvegarder les trois quarts des Juifs de France ». Le Président de la République est-il intervenu indûment en s’exprimant avec courage et lucidité dans un domaine où pendant des décennies les historiens, auteurs des manuels scolaires, ont manipulé et falsifié l’histoire du gouvernement Pétain/Laval en enseignant aux élèves que les familles juives étaient arrêtées par les seuls Allemands alors que la plupart d’entre elles ont été arrêtées par des forces de police aux ordres du gouvernement de Vichy.

La France n’est pas seule parmi les démocraties où le Parlement « dit » l’histoire ». les grandes démocraties font de même. Aux Etats-Unis en vertu d’une loi fédérale on célèbre le jour de Christophe Colomb et l’on estime que la découverte de l’Amérique est un événement digne d’être célébré. Pourtant combien de centaines de milliers sinon de millions d’Indiens d’Amérique du Sud, Centrale et du Nord ont été exterminés en raison de cette découverte. On y célèbre aussi en vertu d’une loi le Marthin Luther King day et non celui du Klu Klux Klan On célèbre l’anniversaire de Lincoln, défenseur de l’Union contre la Sécession et pas celui de Lee. Ces jours de « national Holiday » sont une lecture de l’histoire par le Parlement américain.

Le 3 novembre 2004, le parlement espagnol a approuvé une motion demandant que soient retirés des lieux publics les symboles de la dictature franquiste présents dans tout le pays, notamment les statues, et que soient rebaptisés les rues, voies de circulation et établissements d’enseignement portant le nom de Franco ou de ses généraux.

En Italie, la même année, une loi a institué une journée du souvenir « en mémoire des victimes de l’exode des Istriens, des habitants de Fiume et des Dalmates », pour commémorer les massacres des Italiens, et notamment de ceux qui avaient soutenu le régime fasciste, par des minorités slaves. Cette commémoration a lieu le 10 février, date du traité de Paris de 1947 qui mit fin aux massacres et donna l’essentiel de l’Istrie à la Yougoslavie.

En Grèce, une loi entrée en vigueur le 1er janvier 1990 a accordé le droit à pension aux personnes ayant participé aux groupes de « résistants » ou à « l’armée démocratique » pendant la guerre civile. Une reconnaissance fut ainsi apportée à ceux qui étaient jusque là considérées comme « rebelles ».

En Russie, dès le 19 octobre 1991, une loi a été adoptée sur la réhabilitation des victimes de mesures de répression politique du régime communiste. Le 18 juin 1996, le Président de la Fédération de Russie a pris un décret relatif aux insurrections paysannes de 1918 et 1922. C’était là encore juger les suites de la révolution d’Octobre 1917, laquelle fut qualifiée, à l’occasion de son quatre-vingtième anniversaire, en 1997, par le président Boris Eltsine d’« erreur historique fatale ».

Le 21 janvier 1997, le président Vaclav Havel et le chancelier Helmut Kohl ont signé une déclaration de réconciliation entre leurs deux nations : l’Allemagne exprimait des regrets pour l’annexion des Sudètes en 1938, la République tchèque pour l’expulsion de cette région de trois millions d’Allemands en 1945. Cette déclaration n’est qu’un exemple parmi d’autres du travail de mémoire accompli en Allemagne pour assumer son passé. La réparation des conséquences du passé y tient une grande place depuis la loi fédérale de réparation du 18 septembre 1953 d’indemnisation pour les préjudices corporels et professionnels subis par les personnes du fait du régime national-socialiste, jusqu’à la loi d’indemnisation des travailleurs forcés de la Deuxième Guerre Mondiale, adoptée en juillet 2000, au titre de laquelle sont indemnisés des ressortissants français.

En Belgique, une loi du 26 janvier 1999 crée un « statut de l’enfant juif caché pendant la seconde guerre mondiale » qui donne lieu à l’établissement d’un titre de reconnaissance honorifique.

Pour exprimer sur l’histoire commune des positions, n’ayant pas de portée normative, la plupart des parlements étrangers votent des motions ou des résolutions. Or, en France, le Parlement français ne peut prendre publiquement position qu’en votant les lois, en censurant le Gouvernement ou en approuvant une déclaration de politique générale. Le vote de résolutions est en effet limité en vertu de la décision du Conseil constitutionnel n°59-2 du 17 juin 1959 portant sur le Règlement de l’Assemblée nationale aux seuls cas prévus par la Constitution : d’une part, la formulation de mesures et décisions relevant de la compétence exclusive de l’Assemblée, c’est-à-dire les mesures et décisions d’ordre intérieur ayant trait au fonctionnement et à la discipline de l’Assemblée, et ,d’autre part, depuis une réforme constitutionnelle de 1992, la formulation d’avis relatifs aux propositions d’actes communautaires soumises par le Gouvernement. Peut-être faudrait-il reconnaître plus largement au Parlement le droit de voter des résolutions afin de s’exprimer solennellement sur certains sujets, relatifs en particulier à la mémoire, sans avoir à recourir à la loi qui doit demeurer normative.

Les lois mémorielles existent surtout par rapport au devoir de mémoire qui concerne principalement une histoire récente et une brève succession de générations. Elles ne peuvent avoir de prise que sur l’époque contemporaine et la reconnaissance d’un évènement important : le génocide arménien, celui des Juifs, l’esclavage qui se perpétue dans certaines régions du globe, les guerres mondiales et coloniales. Le Parlement n’accepterait pas de mettre en cause la réputation de St Louis parce qu’il a fait noyer les Juifs qui refusaient d’abjurer ou de nier que le XVIIème siècle fut celui de Louis XIV parce-que ce roi a mené des guerres désastreuses ou bien de déclarer que Napoléon a commis un crime contre l’humanité en rétablissant l’esclavage, même si la loi sur l’esclavage a été votée le 10 mai 2001. La loi strictement mémorielle n’implique en effet aucune obligation, aucune sanction juridique.

La loi Gayssot punissant la contestation de l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils ont été définis par le statut du Tribunal International de Nuremberg qui lie la France fait exception et comporte des sanctions pénales. Elle ne restreint pas la liberté d’opinion car le négationnisme constitue une agression contre l’histoire ; la recherche historique ne se confond pas avec la falsification ou la manipulation consciente des faits.

L’agression des négationnistes a été ressentie avec douleur par les membres survivants des familles victimes de la Shoah. La loi permettait aux personnes injuriées, insultées, diffamées, dont la vie privée était dévoilée et même à celles dont on rappelait les faits de collaboration amnistiés de collaboration avec l’ennemi, d’entamer des poursuites judiciaires, mais la loi ne fournissait aucun recours spécifique à ceux qu’on accusait publiquement d’un mensonge odieux et dont on vilipendait le chagrin.

Il était nécessaire de protéger la sensibilité d’hommes et de femmes souffrant de l’anéantissement criminel de leurs proches et que fût réprimée la négation, considérée comme un délit, du génocide perpétrés à l’encontre du peuple juif. Les familles des victimes sont chaque jour reconnaissantes au Parlement français d’avoir adopté cette loi de salubrité publique Elles savent que sans cette loi les déclarations et les écrits négationnistes se seraient multipliés.

La loi Gayssot comble une lacune; elle précise la loi du 1er juillet 1972 contre le racisme et l’antisémitisme qui n’avait pas prévu que la haine anti-juive pourrait être efficace non pas seulement en calomniant et en diffamant directement les Juifs mais en niant les crimes dont ils ont été victimes

L’antisémitisme d’Etat de Vichy a débuté explicitement par l’abrogation le 27 avril 1940 du décret loi Marchandeau en date du 21 août 1939 qui sanctionnait la propagande antisémite dans la Presse. Il fallut attendre trente trois ans, (1972), pour qu’en fait les dispositions essentielles de la loi Marchandeau soient à nouveau votées et étendues. La loi Gayssot en est le prolongement.

La loi Gayssot a été votée également afin d’éviter des débats scabreux entre historiens et pseudo historiens dans les prétoires. Grâce à cette loi le rôle des juges se limite, comme ils le souhaitaient, à constater l’infraction et à la punir.

La loi Gayssot n’empêche pas la recherche historique de bonne foi et les nécessaires rectifications qu’elle impose. Nul ne songe à accuser Raul Hilberg de révisionnisme quand il estime le nombre de victimes de la Shoah à cinq millions plutôt qu’à six millions ou Serge Klarsfeld quand il établit le nombre des déportés Juifs de France à 76.000 et non à 100.00 comme l’avait indiqué le Ministère des Anciens Combattants

Soulignons que les négationnistes n’ont pas connu de véritable succès dans le monde universitaire occidental. Ils représentent une infime minorité et leur propagande n’a pas du tout entamé dans les opinions publiques la crédibilité de l’horreur subie par le peuple Juif. Cette contestation eut même paradoxalement, un effet contraire à celui que les négationnistes espéraient: elle a incité les historiens à rassembler la documentation la plus précise possible, à produire des travaux et des études universitaires de grande rigueur et à créer ou développer d’importants Mémoriaux ou centres de documentation. C’est qu’ainsi que s’est constitué le véritable barrage aux tentatives de nier la Shoah de la diminuer ou de la banaliser. La protection véritable qu’accorde la loi Gayssot et les sanctions qu’elle prévoit est celle dont bénéficient les survivants de la Shoah auxquels elle épargne une confrontation insupportable avec la haine anti juive sous sa forme la plus haïssable.

La loi Gayssot ne constitue pas une exception française au sein de l’Europe : plusieurs pays se sont dotés de dispositions similaires (Belgique l’Allemagne , l’Espagne , le Luxembourg, l’Autriche, la Suisse…). Et les négationnistes Ernst Zundel et David Irving sont actuellement emprisonnés en Allemagne et en Autriche.

Quant à la Commission européenne des droits de l’homme elle a rejeté à plusieurs reprises les recours formés par des auteurs négationnistes, notamment dans sa décision du 24 juin 1996, « Pierre Marais c. France » (n° 31159/96.) où elle a clairement affirmé que « La Commission estime que les dispositions pertinentes de la loi de 1881 et leur application en l’espèce visaient à préserver la paix au sein de la population française… La Commission estime que les écrits du requérant vont à l’encontre de valeurs fondamentales de la Convention, telle que l’exprime son préambule, à savoir la justice et la paix. Elle considère que le requérant tente de détourner l’article 10 (art. 10) de sa vocation en utilisant son droit à la liberté d’expression à des fins contraires au texte et à l’esprit de la Convention et qui, si elles étaient admises, contribueraient à la destruction des droits et libertés garantis par la Convention. ».

La loi sur le génocide arménien n’est pas de même nature que la loi Gayssot : elle n’est que déclarative et dispose en un article unique : « La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915». La France n’a pas été impliquée dans ce génocide qui s’est limité géographiquement à la seule Turquie. Alors pourquoi une telle loi ?

Le premier génocide du vingtième siècle fut le génocide arménien qui a causé la suppression systématique par les Turcs de dizaines de milliers de familles arménienne. Si ce génocide avait été suivi d’une œuvre de légitime justice comme la communauté internationale en a eu quelque temps la velléité, ce premier génocide n’aurait vraisemblablement pas été suivi d’un autre au cours de la seconde guerre mondiale.

En outre il existe en France une importante communauté de Français d’origine arménienne. L’histoire doit relier les hommes à leur pays mais aussi à leurs ancêtres, à leur mémoire. Enfin cette loi est aussi une marque de l’intérêt constant que la France n’a cessé de porter à l’Arménie.

Dans la continuité de sa résolution du 18 juin 1987 reconnaissant le génocide arménien, le Parlement européen a voté le 15 novembre 2000 une résolution sur le rapport concernant les progrès réalisés par la Turquie sur la voie de l’adhésion qui « invite le Gouvernement turc et la Grande Assemblée Nationale turque à accroître leur soutien à la minorité arménienne (…) notamment par la reconnaissance publique du génocide que cette minorité avait subi avant l’établissement d’un Etat moderne en Turquie ». Le 17 novembre 2000, la Chambre des Députés du Parlement italien a adopté une résolution reprenant les termes de celle du Parlement européen.

La loi dite Taubira du 10 mai 2001 dispose que « La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan Indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du xve siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l’humanité »

Pourquoi cette loi est-elle nécessaire même si elle n’évoque que la traite et l’esclavage pratiqués par les puissances européennes? Deux raisons : la France a été impliquée dans ce processus ; les territoires aujourd’hui d’outre mer font partie de la République française et les communautés dont les ancêtres ont souffert sont présentes sur le territoire nationale.

Il est nécessaire de commémorer ce que fut l’organisation de l’inhumaine « traite des nègres », considérés légalement et théologiquement comme « biens meubles » parce qu’ils étaient nés de couleur noire. Il faut se souvenir des rafles criminelles, des massacres de ceux qui résistaient et des inutiles, de la séparation des familles, des terribles conditions de voyage à fond de cale, de la sélection des aptes et des inaptes, du travail forcé les fers aux pieds, des sanctions et des mutilations, du viol légal des épouses noires, de l’enlèvement des enfants, de l’impossibilité de conserver sa langue originelle et sa culture. Fixer une date de commémoration nationale des souffrances dues à l’esclavage est souhaitable d’autant que l’esclavage perdure dans de nombreuses régions du monde et devrait être éradiqué.

L’article 4 de la loi du 23 février 2005 dispose que « Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre mer, notamment en Afrique du Nord » et « accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit »

La première partie de l’article 4 est inacceptable parce qu’il évoque le seul « rôle positif » de la présence française sans rappeler ce que furent les méfaits considérables de la colonisation et les agissements des grandes puissances européennes : la conquête militaire, les massacres, les exactions, la répression policière, l’exploitation économique, le temps du mépris et le temps du dépeçage. Tout le continent africain a été partagé entre quelques états européens : la France, l’Angleterre, la Belgique, l’Allemagne, les Pays Bas, l’Italie, l’Espagne et le Portugal qui s’arrogeaient les droits de surhommes blancs, glorieux d’avoir vaincu des peuplades hostiles et de leur avoir apporté une colonisation qu’ils n’avaient pas sollicitée.

Cet article a heurté à juste titre les descendants de ceux qui ont souffert de cette colonisation et qui l’ont considéré comme une provocation. Une réécriture de cet article est indispensable. C’est ce que j’ai indiqué dès le 24 décembre (Libération – Le Monde) tout en précisant qu’il ne serait pas équitable de refuser de prendre en considération certains aspects positifs de la présence française.

Fernand Braudel écrivait en 1963 dans « Le Monde actuel » :

« Ce legs, aussi important qu’il paraisse parfois serait de peu d’utilité et éminemment périssable si les héritiers n’avaient aussi acquis au cours de la pénible épreuve de la colonisation de quoi leur en permettre aujourd’hui l’utilisation rationnelle. L’enseignement, un certain niveau de la technique, de l’hygiène, de la médecine, de l’administration publique, sont les meilleurs biens légués par les colonisateurs, la contrepartie positive aux destructions opérées par le contact européen dans les vieilles habitudes tribales, familiales, sociales sur lesquels reposaient toute l’organisation et la culture »

Les manuels scolaires ont très longtemps vanté les mérités de la colonisation sans y déceler le moindre aspect négatif. Aujourd’hui le bilan de la colonisation tel que généralement exposé dans les manuels scolaires n’indique aucun des aspects positifs que rappelait Fernand Braudel. Il n’est pas raisonnable de passer en un demi-siècle d’un panégyrique de la colonisation à son dénigrement total.

Souvenons nous aussi du contexte social français à l’époque de la colonisation, de l’exploitation indigne du prolétariat : des enfants de dix ans travaillaient douze heures par jour, sans éducation, sans congés, sans couverture médicale.

Si deux mémoires antagonistes ne peuvent se concilier, si l’une refuse de reconnaître les méfaits et l’autre d’admettre les aspects positifs, peut-être est il plus raisonnable qu’un terme neutre soit adopté et que les manuels scolaires reconnaissent la place conséquente de l’histoire de la présence française dans les territoires autrefois d’outre mer en précisant que ces territoires ne correspondent plus à ceux d’aujourd’hui

Les reproches des historiens quant à l’intervention du politique et plus spécifiquement du législateur dans le champ de l’histoire ne sont pas fondés : l’histoire n’est pas le pré carré des historiens. L’idée qu’un peuple se fait de son histoire est un facteur considérable de son avenir et il est légitime que le Parlement, qui représente la nation, puisse intervenir occasionnellement afin de fixer des perspectives et des repères moraux. A cette fin les élus procèdent démocratiquement et publiquement avec leurs convictions politiques -ni plus, ni moins présentes que chez les historiens.

raffi
Author: raffi

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