Comme la mort d’un proche parent

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La nouvelle est apparue ces jours derniers, d’abord sur les réseaux sociaux, puis dans la presse d’Arménie : « la librairie du 45 de l’avenue Machdots a cessé d’exister ».

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La nouvelle va sans doute passer inaperçue dans le tohubohu général qui règne actuellement en Arménie, et plus particulièrement auprès de la nouvelle génération des Erévaniens nés après l’indépendance. Pourtant, bien plus qu’une librairie, c’est un témoin important de l’histoire de la ville d’Erevan qui disparait. Parmi les librairies héritées de la période soviétique « Louys » qui vient de fermer ses portes pouvait être considérée comme la « mère des librairies » de la capitale arménienne. Et sa fin n’est pas sans nous rappeler la disparition de « notre Librairie Samuélian ». Le bâtiment de la librairie a une histoire très intéressante.

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A l’origine, il avait été construit en 1940 pour abriter un bureau de tabac dans un cadre typiquement «oriental ». L’auteur du décor en était le maitre-ébéniste Hovhannès Naghachyan. Un petit rappel de la vie de ce personnage quelque peu oublié n’est pas inutile.

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H. Naghachyan est né le 16 janvier 1876 à Kanakér, alors un petit village situé au nord d’Erevan. A 14 ans, il devient apprenti-ébéniste à Tiflis. Au début des années 1900, il fonde un atelier à Alexandropol – l’actuelle Gumri- et y organise la production de meubles sculptés. Dans les années 1903-1909, il conçoit et réalise les portes et l’iconostase de l’église Saint Alexandre Nevski de la garnison russe de Kars ainsi que de la cathédrale russe Saint Nicolas à Erevan, un certain nombre de balcons en bois, et bien d’autres œuvres dans le style russe. Mais il crée également un type original d’art du meuble auquel on donnera plus tard son nom. A partir de 1920, il s’installe et travaille à Erevan. Il y a enseigné à l’Institut polytechnique et à l’École technique de la construction. A partir de 1935, il réalise divers types de meubles luxueux dans un « style arménien » (les meubles de la Bibliothèque publique d’Erevan, du Palais des pionniers, les portes du Madénataran). Il est également connu pour avoir conçu un nouveau type de canapé-armoire, des plateaux en bois, des coupes, des bas-reliefs aux motifs variés. En 1947, il participe aux expositions organisées à Moscou, Leningrad et Kiev. Il décède à Erevan le 17 novembre 1968.

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En 1975 et 1976, deux expositions individuelles lui ont été dédiées dans la capitale arménienne.
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Magasin de partitions, librairie, bouquiniste, galerie d’art

A partir du milieu des années 1950, le local est d’abord transformé en magasin de partitions musicales. A la fin des années 1960, des livres commencent également à y être vendus. On y trouve en particulier des stocks d’invendus et des livres scolaires. Dans les années 90, Andranik Choghounts rachète les murs pour y créer une véritable librairie.

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Garen Gasparyan, le dernier propriétaire de la librairie, a été pendant trois décennies une des figures d’Erevan, celui qui accueillait avec modestie et professionnalisme tous ceux qui franchissaient le seuil de sa librairie. On pouvait y croiser des touristes souvent plus attirés par le décor, mais aussi des scientifiques du Madénataran voisin en recherche d’ouvrages rares, des étudiants, de nombreux Arméniens de la Diaspora. On peut considérer que ce lieu était devenu une véritable institution, un des centres névralgiques de la culture arménienne, à l’image de la librairie Samuélian du quartier Latin à Paris.
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Garen avait débuté sa vie professionnelle en tant que journaliste, d’abord au journal « Pioner Gantch » [L’appel du pionnier] de 1978 à 87, puis au quotidien « Avangard » où il a travaillé pendant deux ans. En 1990, il était entré à la rédaction du prestigieux journal « Hayasdani Hanrabedoutioun [République d’Arménie]. Avec un brin de provocation, il aimait répéter aux journalistes qui l’interrogeaient « qu’il avait quitté sans aucun regret le métier de journaliste pour se consacrer à celui de libraire ». Garen racontait également qu’il y avait lu tous les grands auteurs arméniens lors de ses études en philologie.

Personnellement, j’avais eu l’occasion de découvrir cette librairie durant mon année d’étude à l’Académie de Théologie de Saint Etchmiadzine. Alors que je me rendais plusieurs fois par semaine au Madénataran pour mes recherches en vue de la rédaction de mon mémoire de maitrise d’histoire, après pratiquement chaque séance, je poussais la porte de la librairie. Comme mes condisciples, comme de nombreux chercheurs du Madenataran et d’autres institutions, nous sollicitions l’aide de Garen Gasparyan, lorsque nous recherchions des ouvrages introuvables ailleurs. On y trouvait en particulier un grand choix de livres édités avant la soviétisation de l’Arménie, ce qui lui avait valu cette réputation de « boukinisdagan krakhanout» [librairie bouquiniste].
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Au fil du temps, le bouquiniste était également devenu un peu « galériste » puisqu’il acceptait de recevoir et de vendre les œuvres de peintres, de graphistes, de potiers et de céramistes, d’artistes souvent non-conformistes ou « hors milieu ».

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La librairie sera prochainement transformée en café. Le nouveau propriétaire des lieux affirme qu’un coin-librairie y sera aménagé et permettra aux nouvelles générations de découvrir ce lieu magnifique. Il y manquera l’accueil de Garen et cette ambiance si particulière.

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Un grand merci à lui, pour ce qu’il a été, et ce qu’il restera pour toujours pour nous.

Sahak Sukiasyan
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La rédaction
Author: La rédaction

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