« Trop souvent, on dit de l’Arménie qu’elle est un peuple oublié. Aujourd’hui, nous sommes réunis pour dire que cela ne sera jamais le cas » : c’est ainsi que Gabriel Attal, secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre Jean Castex et porte-parole du gouvernement français, a choisi de justifier la nécessité de commémorer le 106 anniversaire du génocide des Arméniens, devant la statue Komitas à Paris, ce 24 avril après-midi.
Et cette année plus que jamais, il était nécessaire d’être nombreux, tout d’abord comme l’a rappelé le représentant du président Emmanuel Macron parce que, la veille, la République française a de nouveau été frappée à Rambouillet – or, « cette volonté de vivre libre au prix du sang, s’il y a un pays qui la connait, c’est bien l’Arménie » – mais aussi et surtout parce que cette cérémonie a eu lieu alors que la menace du panturquisme est plus que jamais présente, comme on l’a tristement vu en Artsakh il y a quelques mois, et comme on le voit ces derniers temps jusque sur le sol français.
Le porte-parole du gouvernement a particulièrement insisté sur l’amitié qui unit les deux pays, « deux nations sœurs. Et aucun des maux de l’une ne peut laisser l’autre indifférente« , a-t-il assuré, rappelant que la France a toujours été aux côtés de l’Arménie : elle « a été le premier pays occidental, et l’un des seuls, à dénoncer sans ambiguïté l’ingérence turque » en Artsakh, avec l’arrivée de djihadistes sur la ligne de front. « Nous avons aussi été aux avants-postes pour l’aide humanitaire, a martelé Gabriel Attal. La position de la France est invariante et inflexible : elle est et restera du côté des Arméniens. Nous soutenons ardemment la volonté de paix du peuple arménien. Nous serons là pour aider le peuple arménien pour soutenir son patrimoine. Nous serons là pour aider les Arméniens à retrouver les siens. Nous serons aussi inflexible et vigilant face à tous les comportements agressifs, toutes les tentatives d’ingérence. La nationalisme religieux est un venin puissant qui ne demande qu’à se répandre dans la brutalité ». Il s’est dit particulièrement fier d’être membre du gouvernement qui a décidé de la dissolution des Loups gris.
« Le travail de mémoire n’est jamais superflu. Nous devons regarder le passé dans les yeux, a déclaré Gabriel Attal. Apprendre aussi. Enseigner le génocide arménien dans sa brutalité. Nous devons battre en brèche le négationnisme. L’éducation est la mère des batailles, c’est la meilleure des réponses« .
Et commémorer le 24 avril fait partie de ces actes utiles : « C’est une journée de souvenir. Se souvenir que l’humanité a parfois failli. Se souvenir que la haine est parfois l’anti-chambre de la barbarie. Se souvenir qu’on peut tomber pour ce que l’on est. » Mais Gabriel Attal n’a pas voulu ne faire que regarder le passé : « L’Arménie vivra. Elle n’a jamais abjuré, elle n’a jamais cédé. Elle est trop libre, trop indépendante, elle refuse la fatalité tragique, ne donnera jamais raison à ses bourreaux. S’il est bien un endroit où rien ni personne ne fera taire l’énergie, la volonté, l’envie et la vie, c’est bien l’Arménie« . C’est ainsi qu’il a conclu son discours d’une dizaine de minutes, qui a été applaudi par les milliers de personnes présentes, bien que loin de la tribune.
En effet, en surcroît d’une situation sanitaire particulière cette année, le service de sécurité a été particulièrement strict. Même accréditées, beaucoup de personnes ont dû attendre de très très longues minutes avant de pouvoir atteindre l’espace devant la scène, alors que les manifestants – pancartes et drapeaux à la main – ont dû rester éloignés de la statue du père Komitas. Mais ce n’est pas cela qui a réellement découragé les Arméniens : si le préfet avait requis une jauge de 500 personnes maximum, ce sont plus de 3000 qui étaient présentes sous un soleil radieux ! A noter la forte représentativité des jeunes, qui n’ont pas hésité à faire entendre leur voix, et ce avant même le début des discours.
Avant Gabriel Attal se sont exprimés Anne Hidalgo, maire de Paris, Valérie Pécresse, présidente de la région Ile-de-France, ainsi que Mourad Papazian et Ara Toranian, coprésident du CCAF. Dans le public, on notera la présence de nombreux élus et personnalités bien connues, Arméniens ou amis de l’Arménie : Hasmik Tolmadjian, Christian Ter Stepanian, Audrey Pulvar, Alain Terzian, Dominique Sopo, François-Xavier Bellamy, François et Sophie Devedjian, Nicolas Aznavour, Astrid Panosyan, Pierre Ouzoulias, René Rouquet, Roger Karoutchi, Laurence Patrice, Luc Carvounas, Hélène Luc, Esther Benbassa, Patrick Klugman, Francis Szpiner, Roselyne Sarkissian, Arnaud Ngatcha, Anouch Toranian, Jeanne d’Hauteserre, Delphine Bürkli, Geoffroy Boulard, les pasteurs Léonian, le père Krikor Khatchatryan, l’imam Hassen Chalghoumi, les représentants des Kurdes, Claude Moutafian, Robert Kéchichian, … Entre autres !
Le début de la cérémonie a eu lieu à 15h par les traditionnels dépôts de gerbe devant la statue du célèbre compositeur arménien. A noter la triste présence, pour la première fois seul, du porte-drapeau Jean Chaghouguian, quelques jours seulement après le décès de son acolyte de toujours, Achot Schemavonian, emporté par le Coronavirus. Les manifestants n’ont pas manqué de lui faire un clin d’oeil, certains portant des images à son souvenir aux côtés de slogans et affiches dénonçant la Turquie et l’Azerbaïdjan, et demandant la paix pour l’Arménie.
Ara Toranian : « Nous sommes tous Arméniens »
Des thématiques qui ont été au coeur des discours. C’est Ara Toranian qui s’est exprimé en premier, commençant par ces mots : « Le pire n’est jamais certain, dit-on. Mais il peut arriver. Et il est hélas des régions du monde, des situations, des peuples, plus exposés, nous le savons bien, à l’inexorable »… Et « le temps, ce grand thérapeute, n’a aucune prise sur les crimes imprescriptibles. Et loin d’en atténuer la perception, il en avive au contraire l’horreur, a-t-il martelé, assurant dès lors que le temps ne fait que rendre plus impérieux l’exigence de justice. Surtout lorsque les causes qui ont engendré un génocide comme celui de 1915, faute d’avoir été traitées, combattues, éradiquées sont potentiellement en situation de produire les mêmes effets. C’est ce que nous a clairement montré l’offensive anti-arménienne de la coalition turco-azerbaïdjanaise du 27 septembre. »
Vindicatif, il a ajouté : « Oui, 100 ans après le génocide de 1915, le modèle idéologique qui a conduit au pire est toujours là, avec son cocktail de panturquisme et de djihadisme qui constitue la matrice politique de l’AKP de M.Erdogan et de ses épigones au pouvoir à Bakou. » Interpelant le secrétaire d’Etat Gabriel Attal, il a dit espérer le soutien du gouvernement français, et notamment suite aux provocations qui ont eu lieu ces derniers temps jusque sur le sol français. C’est par les très beaux et juste mots du pasteur allemand Martin Niemöller que le coprésident a conclu :
» « Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste.
Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste.
Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester. »
Aujourd’hui je voudrais croire, je voudrais espérer, que nous sommes tous des Arméniens. »
Mourad Papazian : tristesse et colère
Puis Mourad Papazian lui a succédé à la tribune. Tristesse et colère ont été les deux maîtres-mots de sa prise de parole. Tristesse, parce que « les épreuves que nous avons vécues entre le 27 septembre et le 9 novembre dernier ont démontré qu’en 2020, on peut laisser un peuple se faire massacrer ». Et colère parce que les sonnettes d’alarme avaient pourtant été tirées depuis de nombreuses années par la communauté arménienne. « La paix, c’était le rêve des Arméniens. La paix et la démocratie, a-t-il dit. Au lieu de cela, nous avons eu la guerre et l’occupation. La guerre lancée par deux régimes autoritaires : Turquie-Azerbaïdjan ; Erdogan-Aliev. Une guerre qui n’a pas été empêchée. »
Dans un discours de plus de 10 minutes, il a expliqué à quel point il fallait stopper ces deux hommes puissants, que ce soit en Arménie, en Artsakh, mais également dans l’Europe entière, et en France en particulier : « Il faut interdire ses organisations satellites, fermer les mosquées qui relaient la propagande d’Etat turc en France, expulser les Imams et les leaders qui refusent la charte de l’Islam en France et les règles de la République ! Ca suffit, Erdogan ne doit pas faire sa loi en France« .
Valérie Pécresse : « Il faut que la France soit là »
A sa suite, Valérie Pécresse a pris la parole, vantant les Arméniens et leur « leçon de survie donné à ceux qui dénigrent le sentiment national« .
Engagée, elle a ensuite dit que la France et l’Union européenne n’avaient pas le droit de détourner les yeux, « de se réfugier dans les coulisses diplomatiques. Elles doivent se rappeler que les Arméniens sont nos amis et nos alliés. Il faut que la France soit là. »
Anne Hidalgo : « Oui, une loi pénalisant la négation du génocide arménien est la seule solution »
La maire de Paris a également fait part de son amitié à l’Arménie, cette « terre qui se tient debout. Une terre de résilience, une terre d’exception, qui porte des valeurs universelles. » Parlant de Patrick Devedjian et de ses combats, elle a assuré qu’une « loi pénalisant la négation du génocide arménien est la seule solution. »
Puis elle a annoncé que l’Arménie aura dans la capitale française une place à son nom, mais également un centre culturel. Puis elle a révélé qu’elle se rendra dans le pays en automne prochain, pour les célébrations de la capitale arménienne. Elle ira non seulement à Erevan, mais également au plus près des lieux de combats. « Cette commémoration est très particulière puisqu’elle suit une guerre. Le but de cette guerre : l’éradication de toute présence arménienne au Haut-Karabagh, voire une invasion de l’Arménie elle-même, a-t-elle dénoncé. Je crois que le dessein était à peine voilé. 3500 sont morts au combat, dont plusieurs de l’université française en Arménie (UFAR). Je veux avoir une pensée particulière pour l’un d’entre eux, Gévorg Ospelian, qui a 19 ans seulement est mort cette semaine des suites de ses blessures sur le champ de bataille. C’est le 5e étudiant de l’UFAR tué dans cette guerre. Profitons de ces commémorations pour lui rendre hommage à lui, et à ses camarades morts au front, si nombreux, si jeunes« . Rappelant pourquoi elle avait ainsi pris l’initiative de faire voter au Conseil de Paris un voeu demandant à la France de reconnaître le droit de l’Artsakh à l’autodétermination.
Elle a conclu par des mots qui semblaient en écho à ceux d’Ara Toranian : « L’Arménie et la France sont liés. L’Arménie, c’est notre histoire. Aujourd’hui, nous sommes tous Arméniens. »
Après les discours, les manifestants ont débuté une marche pour la justice, qui s’est terminée aux alentours de 18h.
Texte Claire Barbuti / Photos : Claire Barbuti et Jean Eckian / Vidéo : Marie-Aude Panossian