Comment devenir le salaud parfait

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Il y a au moins deux manières de voir ce dossier. La première est simple : il s’agit ni plus ni moins d’une affaire d’Etat. Le signe le plus évident de sa gravité, dont nul ne peut encore dire si elle est terminée en dépit du voeu exprimé par le premier ministre, c’est l’émotion provoquée dans la classe politique, chacun voulant se prononcer et condamner l’outrage. Le président de la République lui-même a été contraint de réagir. La réprobation, à gauche comme à droite, est unanime. Un tel consensus est bien la marque d’un dossier touchant autant à l’identité nationale qu’au respect de nos règles les plus civiles.

De quoi s’agit-il ? L’un des plus hauts responsables de l’UMP, Patrick Devedjian, discutant dans la rue avec deux collègues, a qualifié Anne-Marie Comparini, élue du MoDem, de « salope ». Une caméra et un micro passaient par là. L’interjection a été happée, isolée parmi un flot de décibels, puis aussitôt diffusée sur Internet. Et ce « salope » a fait vibrer tout ce que la France a su préserver en matière d’indignation nationale.

Vous avez dit salope ? Vous l’avez dit en privé ? Vous serez pendu publiquement ! « Ce n’est pas une façon de parler aux femmes, ni à qui que ce soit d’autre », a rappelé Nicolas Sarkozy, ami de la concorde et du beau langage. « Il ne faut jamais insulter les gens et encore moins les élus », a observé François Fillon, adepte du rappel aux bonnes règles. « Il n’est pas tolérable qu’on puisse qualifier ainsi une femme, politique ou pas », a relevé la garde des sceaux Rachida Dati. La gauche, pour une fois tout entière unie, a condamné fermement ce dérapage jugé indigne. Il en va visiblement de la cause des femmes et du respect des grands équilibres moraux du pays.

L’autre manière de considérer l’écart de langage de Patrick Devedjian relève du relativisme. Après tout, se dira-t-on, le crime n’est pas pendable. L’injure mérite moins d’anathèmes qu’un détournement de fonds publics ou qu’une mauvaise politique appliquée en toute rigueur à une ville ou à un pays. Il ne s’agit que d’un juron parmi les millions proférés chaque jour en France. Du coup, des excuses répétées, un coup de fil à la victime et un communiqué plein de regrets auraient dû suffire à calmer un emballement très emballé.

Mais le mal était fait. Le secrétaire général délégué de l’UMP était devenu, en quarante-huit heures, le salaud parfait. Pauvre de lui ! Ce « salope ! » le poursuivra davantage qu’une condamnation avec privation des droits civiques. L’injure figure pourtant dans tous les bons dictionnaires. Faut-il l’interdire ? L’abolir par décret ? En appeler définitivement à la bienséance ? Faut-il aseptiser la langue ? Se boucher les oreilles au nom de la langue de bois ?

Le Dictionnaire des gros mots de Patricia Vigerie (tiens, une femme), paru chez Favre, nous apprend que salope (pages 193-194) s’est installé dans notre langue vers 1600 en combinant les mots sale et hoppe (venant de huppe, oiseau réputé pour sa saleté) pour désigner une femme sale, une souillon. Le terme s’est ensuite sexualisé comme il arrive souvent dans la langue française, et salope a désigné une femme dévergondée. Bref, salope marque le mépris et charrie un jugement moral. Et comme rien n’est simple, salope peut aussi qualifier un homme. Dans ce cas, l’injure cherche à disqualifier la virilité de la personne visée.

On sait, par les livres d’histoire, que les hommes politiques sont souvent grossiers et qu’ils ont toujours eu recours à l’injure, en privé comme en public. Et les femmes ? Ne leur arrive-t-il jamais de laisser échapper un gros mot ? De traiter un collègue de « gros con » ? D’en qualifier un autre de « connard » ? Non, bien sûr ! Continuons donc d’accabler M. Devedjian et de parler comme il nous plaît…

par Laurent Greilsamer

LE MONDE

Article paru dans l’édition du 03.07.07.

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Author: raffi

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