Les thèses de Darwin remises en question par un pseudo scientifique turc.Selon les dernières informations sur le sujet, l’Académie a fait interdire l’ouvrage dans les universités françaises…
Frère dominicain et scientifique, l’auteur de « Dieu versus Darwin » s’alarme des attaques répétées contre la théorie pourtant universellement admise de l’évolution des espèces
L’offensive du Dessein intelligent
Il y a dix ans, quand je publiais « les Créationnistes », un essai sur ces mouvements anti-évolutionnistes, nés dans les milieux protestants américains au cours du xixe siècle, ils ne me paraissaient pas vraiment redoutables. Et pourtant. Aujourd’hui, aux Etats-Unis, la moitié des Américains croit encore en une création récente et « spéciale » des premiers humains ! Ces dernières années, on a vu apparaître une offensive d’un genre nouveau : la thèse du Dessein intelligent, l’Intelligent Design ou ID. La complexité du monde vivant (par exemple les systèmes irréductibles que sont l’oil ou la bactérie) prouverait l’intervention d’une « intelligence supérieure », d’un Créateur. C’est une vision extrêmement déterministe du monde.
La première génération des créationnistes purs et durs revendiquait « la Bible ou rien » contre les théories de Charles Darwin formulées en 1859. Celle de la creation science, à partir des années 1960, tente de faire passer le récit de la Genèse pour une hypothèse scientifique, pouvant être enseignée dans les public schools au même titre que l’évolution. Aujourd’hui, les néocréationnistes, eux, se montrent beaucoup plus subtils. Ils utilisent la moindre faiblesse des théories scientifiques actuelles pour les invalider à leur profit.
Ils ne citent jamais directement le nom de Dieu, ne mettent pas la Bible au premier plan et ne se présentent pas eux-mêmes comme des créationnistes. Tous, néanmoins, anciens comme néos, estiment qu’en niant le dogme de la Création les théories évolutionnistes sapent les fondements moraux de la société. Avortement, relativisme, matérialisme, féminisme, etc. sont, à leurs yeux, autant de branches de l’arbre de l’évolution à abattre.
Vers la théocratie
Ne nous leurrons pas, ce que souhaitent vraiment les créationnistes, c’est l’établissement d’une théocratie aux Etats-Unis. Ils fonctionnent comme de puissants lobbys. Politiquement, ils ont de forts appuis du côté de la droite chrétienne et des républicains. C’était Ronald Reagan pour ceux de la deuxième période, c’est George W. Bush aujourd’hui pour les défenseurs du Dessein intelligent. Le président américain s’étant même déclaré, en août 2005, pour l’enseignement des deux théories (darwiniste et ID) à l’école. Quant aux généreux donateurs, qui financent à coups de millions le Discovery Institute de Seattle, le think tank du créationnisme scientifique, ce sont souvent les mêmes qui ont subventionné la campagne de Bush, et généralement des intégristes de la pensée avec des visions politiques extrêmement réactionnaires. On peut comparer les croisades créationnistes à ces mouvements de réarmement moral actuellement à l’ouvre dans certains pays musulmans, que l’on qualifie d’islamisme. On retrouve d’ailleurs la convergence des trois « ismes » : un littéralisme ou concordisme, dans le fait de lire le texte sacré à la lettre ou en ne s’autorisant que de très modestes interprétations ; un fondamentalisme, qui naît à la fin du xixe siècle et prône le retour aux sources de la foi ; et un intégrisme, puisqu’il s’agit de faire rentrer l’ensemble de la société dans le cadre de ces « fondamentaux ».
Soulignons, du reste, que le créationnisme n’est pas le seul fait des chrétiens, même si le gros des troupes est formé des évangéliques américains. Il y a des créationnistes juifs et musulmans. Le Coran, comme la Bible, affirme que Dieu a créé l’univers et tout ce qu’il renferme en six jours…
Créationnisme musulman
La Turquie est exemplaire de ce mouvement. C’est l’un des principaux foyers de créationnisme « scientifique » musulman. Après le coup d’Etat militaire de 1980 et l’arrivée au pouvoir de musulmans très actifs, les intégristes turcs ont enfourché le cheval de bataille de l’anti-évolutionnisme pour servir leur discours politique. Dans cette mouvance extrémiste est née, en 1991, une Fondation pour la Recherche et la Science, le BAV (Bilim Arastirma Vakfi). Son but : faire disparaître de la société turque, et au premier chef de l’enseignement, l’idée d’évolution. Il distribue des plaquettes et des livres violemment hostiles au darwinisme signés par un certain Harun Yahya. Pour l’auteur, dont on ignore l’identité réelle, Darwin est le grand Satan, à l’origine de tous les maux de notre époque – racisme, colonialisme, nazisme, communisme, capitalisme… et même des attentats du 11 septembre 2001 ! Pour ma part, c’est dans la bibliothèque du Congrès que j’ai découvert ces ouvrages.
Les créationnistes américains sont en effet très actifs hors de leurs frontières. Ils exercent un prosélytisme ocuménique. En Turquie justement, on sait que le BAV entretient des relations régulières avec les membres de l’Institut de Recherche créationniste américain (ICR). Leurs liens remontent probablement aux expéditions américaines des années 1980 pour retrouver l’arche de Noé. L’an passé, en Australie, où le mouvement s’est implanté dès le début des années 1970, une organisation chrétienne de Floride a fait parvenir des DVD de présentation des thèses de l’Intelligent Design à plus de 3 000 collèges. Et un peu partout, au Canada, en Corée du Sud, en Suède, aux Pays-Bas, en Suisse, ou même à Moscou, le créationnisme américain cherche à s’exporter.
Le réseau français
En France, il ne faut pas s’alarmer ni se voiler la face. La présidente de l’Inra (Institut national de la Recherche agronomique) me confiait récemment que certains de ses chercheurs étaient créationnistes, et qu’ils ne s’en cachaient pas. Dans nos écoles, les professeurs enseignent déjà l’évolutionnisme a minima, redoutant des réactions hostiles, notamment dans les rangs des petits musulmans. Nous avons aussi nos instituts. Le Cercle d’Etude historique et scientifique, qui compte 600 membres, a été fondé en 1971 pour rejeter toutes les thèses présentes ou à venir contraires à la Bible. L’association se rallie au point de vue des « scientifiques créationnistes bibliques » qui accordent une importance capitale au phénomène du Déluge. Et, dans la mouvance intellectuelle du Dessein intelligent, l’Université interdisciplinaire de Paris (UIP), qui est en réalité un organisme à fonds privés, reçoit des aides de la Fondation John Templeton « pour le progrès de la religion dans les sciences ».
Un jour, le secrétaire général de l’UIP m’a invité à rejoindre son camp en me disant qu’il me proposait une « Ferrari » (le Dessein intelligent) pour attirer plus vite de nouveaux fidèles. Je lui ai répondu que le Christ était bien entré dans Jérusalem à dos de mule, lui. Où est le message biblique dans tout ça ? Je ne vois que des simplismes et des amalgames. Pour moi, le sens de la religion, c’est d’abord de se poser des questions. On me demande souvent comment je peux croire à la fois en Dieu et en Darwin. Mais je ne « crois » pas en Darwin, je suis sensible à ce que les scientifiques me disent aujourd’hui du vivant et du cosmos. Comme je suis conscient du fait que toute hypothèse scientifique sur l’origine du monde laisse ouvert le problème du commencement de l’univers. L’interrogation sur le sens de l’existence humaine reste toujours à reprendre. Mais nous sommes en droit de refuser toute revendication de type intégriste. Mon premier souci est de rendre à Dieu ce qui est à Dieu et à Darwin ce qui est à Darwin.
Né en 1961, Jacques Arnould, frère dominicain, ingénieur agronome, docteur en histoire des sciences et en théologie, est actuellement chargé de mission au Cnes (Centre national d’Etudes spatiales). Il est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages traitant du rapport entre science et religion, dont « les Créationnistes » (Cerf). Il vient de publier chez Albin Michel « Dieu versus Darwin. Les créationnistes vont-ils triompher de la science ? ».
Marie Lemonnier
Le Nouvel Observateur