Dans le Caucase, personne ne vous entendra crier

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Alien, le fameux film de Ridley Scott, raconte l’histoire de l’équipage d’un vaisseau spatial confronté à une forme de vie extraterrestre hostile qui va chasser et tuer les membres de l’équipage un par un. Le film mélange horreur et science-fiction, créant une terrible tension et introduisant l’un des monstres les plus emblématiques de l’histoire du cinéma. « Dans l’espace, personne ne vous entendra crier » est la célébrissime accroche de ce film. L’efficacité percutante de cette phrase provient de ce qu’elle entre en résonance avec nos peurs les plus profondes. Être piégé dans l’immensité vide de l’espace, quelle horreur ! L’humain n’est pas fait pour être seul. L’idée que personne ne puisse entendre nos cris implique une vulnérabilité, une impuissance face à une menace terrible, une peur extrême, un danger terrifiant. Solitude, impuissance, terreur : le combo démoniaque.
Cela fait plus d’un an que cette phrase me revient constamment en tête, depuis le début du blocus de l’Artsakh, en fait. Je me suis finalement décidé à y consacrer la tribune de ce mois car je trouve que cette métaphore décrit très bien la situation d’un peuple en état de siège, soumis à un blocus et une épuration ethnique brutale, dans une indifférence quasi-générale. Elle exprime l’isolement international, les menaces constantes, les cris ignorés, les confinements physique et psychologique. L’Artsakh indépendant devait sans doute se trouver, très loin, au fin fond de l’Espace, puisque durant toutes ces années l’ONU n’avait pas trouvé le moyen de s’y rendre. L’organisation internationale a attendu que les Arméniens soient chassés pour aller sur place et estimer qu’il n’y avait rien à redire à cela. Le jeu trouble de la force de maintien de la paix Russe a laissé les Artsakhiotes dans une situation d’extrême vulnérabilité. À son grand déshonneur, la Russie a peu à peu, levé sa protection. La République d’Arménie, elle, était hors-jeu. Les Arméniens du Karabagh ne pouvaient compter que sur eux-mêmes alors qu’ils étaient affamés, épuisés et sans armes face à une troupe de 60 000 soldats azéris prenant position autour d’eux. Les habitants du vaisseau spatial de l’Artsakh se retrouvaient enfermés avec un monstre ne rêvant que de fureur. Les gens ont préféré fuir, comme dans le film, et laisser le vaisseau à la Bête. Même si abandonner ce vaisseau, c’était abandonner 3 000 ans d’Histoire ininterrompue.
Désormais, comme dans la série des Alien, nous attendons les suites, les « séquelles » comme on dit. Où donc la Bête va-t-elle resurgir ? Aujourd’hui, cette solitude arménienne interpelle d’autant plus que le conflit israélo-palestinien montre à quel point l’opinion publique peut prendre parti et se mobiliser. La manifestation contre l’antisémitisme regroupait toutes les confessions, pas uniquement les Juifs. De même, les manifestations de soutien aux Palestiniens réunissaient tout un panel de mouvements politiques bien plus large que les seules associations musulmanes ou arabes. Pourquoi donc, dans les manifestations lors de la Guerre des 44 jours ou du blocus, n’y avait-il que des Arméniens ou leurs amis très proches ? Cette solitude arménienne se prolonge dans l’espace virtuel. Sur Tik Tok et autres réseaux sociaux, des posts, à propos de Gaza, que ce soit pour l’un ou l’autre camp et qui ne soient ni le fait d’Arabes, ni de Juifs, sont innombrables. On y trouve aussi de nombreux juifs qui manifestent leur soutien aux Palestiniens. Pour les Arméniens, rien de tout cela. Quelle voix intellectuelle ou politique turque s’est exprimée après l’attaque de l’Artsakh ? Pour être juste, il faut admettre que de nombreux autres conflits se déroulent dans l’indifférence générale. Les Arméniens sont des Yéménites comme les autres.
Pourtant, je reste persuadé que la Cause arménienne est une « Cause Phare » en ce qu’elle alerte sur l’avenir proche du reste du monde. 1915 n’était-il pas prophétique ? Pourquoi la Cause arménienne ne franchit-elle pas le plafond de verre de l’universalité et est-elle ramenée ,en permanence, à un conflit interethnique, comme l’appelait, avec mépris, François Mitterrand. Je veux me hasarder à quelques explications. Le monde n’a toujours pas compris que l’expérience turque était la plus longue expérience fasciste de l’Histoire, ni que le pantouranisme était tricoté de la même laine que le nazisme. Pendant ce temps, les Arméniens se focalisent sur un axe de communication qui, à mon sens, fait pschiit : ils se gargarisent d’être la première nation chrétienne. Comme si cela intéressait quelqu’un ! Cette information déclenche un haussement de sourcil vaguement curieux chez quelques érudits catholiques, mais a-t-on vu la moindre affichette de soutien dans les églises de France ? La moindre prise de parole forte des Églises ? Parle-t-on de l’Artsakh aux JMJ ? En revanche, la Gauche, de son côté, trouve l’argument carrément repoussoir. Pour elle, le chrétien est un colonialiste et le musulman un colonisé. Elle ne se rend pas compte qu’au Moyen-Orient ,c’est l’inverse et que la question du Haut-Karabagh était une pure question d’émancipation d’un peuple indigène opprimé, un peuple abandonné, dans le froid de la solitude interstellaire, dans un Caucase, où personne ne l’entend crier. n

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