Le Soir
Pascal MARTIN
Le Soir jeudi 15 février 2007
Négationnisme
Une conférence sur le « prétendu génocide arménien » déchaîne les passions
L’organisation ce jeudi d’une conférence baptisée « Regard sur le prétendu génocide arménien », organisée par l’Association pour la pensée d’Ataturk en Belgique (APAB) installée à Schaerbeek, agite depuis plusieurs jours les communautés turque et arménienne de Bruxelles.
En cause : l’intitulé de la conférence, une offense pour ceux qui prônent la reconnaissance du génocide arménien. Mais surtout le profil de l’orateur : Yusuf Halacoglu, président de la « Société turque d’histoire », est présenté par ses détracteurs comme le « pape » du négationnisme. « Un historien étatique », lance le journaliste indépendant Memet Koksal qui voit en lui « le porte-parole des théories négationnistes turques, toujours écouté par la Haute Assemblée nationale », le parlement sis à Ankara.
Yusuf Halacoglu n’est pas inconnu en Occident. Selon Memet Koksal et le Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie (Mrax), il fait l’objet d’une instruction judiciaire en Suisse pour avoir incité à la discrimination raciale, à Winterthur, en 2004.
Pour l’ancien président de l’Apab, Pala Mahir, qui a recommandé la venue de Yusuf Halacoglu à Bruxelles, « il s’agit au contraire du plus grand des historiens, le plus compétent ».
La polémique qui entoure la conférence qui sera organisée ce soir à Saint-Josse, dans les locaux de la Diyanet, ajoute aux tensions qui opposent depuis des années partisans et adversaires de la reconnaissance du génocide arménien. Mais elle ne se limite pas à la confrontation des points de vue. La commune de Schaerbeek se retrouve en effet sur la sellette pour avoir alloué à l’Apab une subvention annuelle de 10.000 euros destinés à l’éducation culturelle et linguistique des enfants. L’échevine Tamimount Essaïdi promet d’agir pour éviter que soit financé à l’avenir tout « comportement inacceptable, notamment de négationnisme ».
Angoisses également à l’Office régional bruxellois de l’emploi (Orbem) qui financent trois temps plein ACS (agents contractuels subventionnés) engagés en 2000 par l’Apab. L’Orbem évoque pour sa défense deux inspections réalisées en 2002 et 2005. Celles-ci ont abouti à des « appréciations satisfaisantes », commente son directeur général Eddy Courthéoux. Elles ont porté sur le projet attitré de l’association, qui consiste à prodiguer des cours de langue ou à défendre les valeurs démocratiques au sein de la communauté turque.
A priori, rien qui ne puisse exalter le nationalisme turc ou nier le génocide arménien. Mais, si l’on en croit Memet Koksal, le rapport d’activités remis chaque année par l’Apab aux autorités belges serait différent de celui qui parvient entre les mains de l’ambassade de Turquie à Bruxelles. L’Apab aurait donc deux discours ? « A vérifier », tient à préciser Eddy Courthéoux.
Benoît Cerexhe, le ministre bruxellois de l’Emploi qui a la tutelle de l’Orbem, a demandé une enquête afin de déterminer si l’activité des ACS correspond bien à la philosophie dont se prévaut l’association. « Si ce n’est pas le cas, je serai prêt à retirer le financement public », menace-t-il.
Reste à voir sur quelle base juridique : si le Sénat a reconnu en 1997 le génocide arménien, le Parlement traîne toujours la patte. « Ce serait effectivement à examiner », concède Benoît Cerexhe pour qui l’absence de législation poserait « problème ». Un point de vue que partage Jean Demannez, le bourgmestre de Saint-Josse. Ne pouvant interdire la conférence en invoquant son contenu, il évaluera d’ici ce soir s’il y a lieu de l’interdire pour risque de troubles de l’ordre public.