En 1992, lorsqu’ils ont fui l’Abkhazie en guerre entre Tbilissi et les séparatistes soutenus par Moscou, les Géorgiens ayant trouvé refuge dans l’ouest de leur pays ont cru ne plus jamais revoir l’armée russe.
Le destin leur a joué un mauvais tour car les troupes de Moscou campent aujourd’hui tout près de chez eux.
Et les ont même bombardés dans la nuit du 8 à 9 août, faisant trois morts, dans le vieux hôtel « Egris » à Senaki, où des réfugiés continuaient encore jeudi à nettoyer les débris de murs et de vitres cassés.
Originaire du village d’Ochamshiri, Rosa Indjgia a 65 ans, mais les horreurs qu’elles a vécues et les cernes profondes sous ses yeux la font ressembler à une grand-mère octogénaire.
Elle n’a même plus de larmes pour pleurer son époux, Meïra, 69 ans, qui a été tué devant leur immeuble par les éclats d’une des trois bombes qui se sont abattues sur Senaki.
Les Russes ont bombardé la voie ferrée, distante d’une cinquantaine de mètres, explique une voisine, et les éclats ont touché cet hôtel lépreux, transformé en foyer pour une cinquantaine de réfugiés géorgiens d’Abkhazie.
« Mon fils aîné a été tué par les Russes en 1992 en Abkhazie et maintenant ils ont pris mon époux », murmure-t-elle en regardant apposé sur le mur, la photo de son mari, sosie parfait du président israélien Shimon Peres.
Elle soupire en racontant que son fils cadet âgé de 19 ans est soldat dans l’armée géorgienne et se trouvait à Tskhinvali, en Ossétie du Sud, lorsque le conflit entre la Géorgie et la Russie a commencé. « Il est vivant, grâce à Dieu », dit-elle.
A la périphérie, un chemin poussiéreux mène à deux immeubles dont on se demande par quel miracle ils tiennent encore debout, tellement ils sont délabrés. Ils abritent environ 150 réfugiés ayant également fui l’Abkhazie en 1992.
Ce jeudi, un camion du Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a apporté pour la première fois une aide humanitaire internationale.
Des couvertures, de la vaisselle et des ustensiles de cuisine ainsi que des bidons pour stocker de l’eau.
Les gens s’attroupent. Chacun attend d’être appelé par son nom et récupérer son carton.
Cette aide est-elle suffisante? « Ce n’est rien, rien, rien », hurle d’une voix rauque dans un accès de toux Volodi Berïa, sans abandonner sa cigarette.
Melita Sunjic, une représentante du HCR sur place, intervient pour lui expliquer qu’il s’agit d’un premier pas et que d’autres cargaisons bien plus importantes vont bientôt leur parvenir.
Mais Berïa, la soixantaine, n’a pas l’air convaincu. « Nous n’avons même pas d’eau courante », s’époumone-t-il.
Avant de s’en prendre aux troupes russes, qui occupent une base militaire de l’armée géorgienne, à moins de trois kilomètres de là.
« Ecoutez-moi! Aujourd’hui, on marque 40 ans depuis l’invasion de la Tchécoslovaquie par l’armée soviétique », assure Berïa qui a participé à l’opération en tant que soldat.
Selon lui, l’opération des forces russes en Géorgie est bien plus meurtrière que celle du Pacte de Varsovie contre le Printemps de Prague.
« Pourquoi font-ils ça? Jadis, nous étions comme un seul peuple avec les Russes, et maintenant ils nous bombardent », lance-t-il.
Ilia Loukava, un homme maigre au visage buriné, l’interrompt et assène: « Personne ne veut les soldats russes ici. Là où ils vont, ils apportent le malheur ».
