Des vertus de la guerre

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Les fermes mises en garde du président arménien à destination de l’Azerbaïdjan le montrent : la menace d’une reprise du conflit armé sur la question du Haut Karabagh n’est pas une vue de l’esprit. Cette dégradation de la situation, due à la logique de guerre dans laquelle s’est installé Bakou, est préoccupante. Non seulement parce que pour tout peuple, la perspective de devoir se battre pour préserver son droit à l’existence ne comporte en soi rien de particulièrement réjouissant. Mais aussi parce cette échéance intervient à un moment où, de Los Angeles à Erevan, l’arménosphère est en proie à des préoccupations d’une toute autre nature.

Après l’euphorie de la libération de l’Arménie du joug soviétique, la victoire au Karabagh, le mouvement international de reconnaissance du génocide, l’humeur est en effet depuis quelques années à la morosité. A quelques encablures de l’heure des bilans – l’Etat fêtera dans le courant de l’année prochaine ses vingt ans d’existence – un premier constat s’impose : l’Arménie n’aura pas été en mesure, dans certains domaines aussi essentiels que la défense des droits de l’homme et des libertés, de satisfaire aux attentes suscitées par son indépendance. On savait à l’époque que le défi de la souveraineté serait difficile à relever du point de vue de la sécurité extérieure ou de l’économie. Mais du moins pouvait-on nourrir quelque espérance sur la vague démocratique qui, dans le sillage de l’effondrement de la dictature soviétique, avait porté sur les fonds baptismaux la promesse d’un Etat de droit. Les 10 morts du 1er mars 2008 auront constitué à cet égard un terrible rappel aux réalités d’une république qui ne s’est jamais vraiment donnée les moyens de ses ambitions émancipatrices originelles. Et qui aura fini par se fossiliser dans le système oligarchique et se pétrifier socialement dans une somnolence mortifère. Une situation que ne parviendront pas à masquer les faux semblants de la bulle immobilière du centre-ville d’Erevan, laquelle, éclatant aujourd’hui au grand jour, montre sa véritable nature : celle d’un « cash » misère.

Mais la diaspora, dans cette pente déclinante, ne demeure pas non plus en reste. Depuis quelques années, ses combats propres, comme la reconnaissance du génocide, marquent le pas. Ses mobilisations tournées vers l’Arménie subissent les contre-coups des désillusions du pays. Et ce, malgré une augmentation constante de ses effectifs, qui ne constitue hélas que le triste reflet de l’hémorragie démographique de l’Arménie. A cela s’ajoute le doute existentiel provoqué par l’affaire des protocoles qui exprime les difficultés des fils des rescapés à mettre à jour le paradigme politique bâtit sur la réactualisation de la cause arménienne dans les années 75. Un modèle dont ils gèrent tant bien que mal l’héritage, sans toutefois savoir comment l’adapter aux attentes des nouvelles générations qui ne pourront pas toujours nourrir leur arménité de sueur, de sang et de larmes.

La guerre n’est jamais à souhaiter. Et celle qui menace avec l’Azerbaïdjan tombe particulièrement mal puisqu’elle intervient pour les Arméniens dans une étrange période de flottement, d’incertitudes théoriques et de divisions politiques à l’intérieur du pays. Si une telle échéance venait à se matérialiser, à Dieu ne plaise, nul doute qu’elle ne recèlera pas cependant que des effets négatifs. Le danger extérieur aura en effet pour vertu de ressouder la cohésion intérieure. Classique. Et de modifier substantiellement la hiérarchie des priorités. Quand un peuple subit une menace physique sur son existence, tous les autres problèmes passent au second plan. Et il reviendra à l’agresseur le double mérite d’avoir tiré la nation arménienne de sa torpeur, d’avoir réalisé contre lui son unité nationale.

Pour autant, ce schéma qui avait prévalu au début des années 90 avec le mouvement de libération du Karabagh, ne fera que repousser la question fondamentale que pose l’état de crise endémique du pays : celle de la capacité des Arméniens à prendre soin d’eux-même et à se doter d’un système juste et démocratique susceptible de leur permettre de maîtriser librement leur destin. Les enfants battus font paraît-il des parents tyranniques. Est-ce la fréquentation pendant tant de temps des empires despotiques qui nous incline à être si peu soucieux de justice envers nous-mêmes ?

Un peuple sans mémoire se condamne à la servitude. Et si le peuple arménien doit à nouveau entrer en lutte, il ne pourra pas cette fois-ci considérer la défense du territoire sans poser les jalons de son développement politique, penser sa résistance sans jeter les bases de son émancipation démocratique. C’est ce que disait déjà feu Monte Melkonian et c’est l’essence même de ce droit à l’autodétermination qui constitue pour nous-mêmes et le monde entier le fondement et la justification de notre action. Une leçon qui vaut pour la guerre, mais qui pourrait aussi utilement nourrir notre réflexion collective – et servir – à la faveur de la paix. Qui peut le plus peut le moins.

Ara Toranian

raffi
Author: raffi

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