Dieu et mon droit…

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Des tracteurs dans une église.- Examen d’athéisme.- La cathédrale inaugurée par Jean Paul II.- Des prêtres qui ont manié la Kalachnikov.- Résistance à l’expansion de l’islam.- De l’utilité de l’Iran

Erevan.- De notre envoyé spécial

Dieu ne fut jamais en congé en Arménie. Même au plus fort des soviets virulents, quand le Parti communiste disait veiller aux problèmes du prolétariat en général et de votre famille en particulier, les Arméniens continuaient à fréquenter l’église. A condition qu’ils aient une église à proximité ! A la campagne, le kolkhoze local se dépêcha souvent de convertir les murs paroissiaux en grange à blé ou en hangar à tracteurs.

La piété n’allait pas sans prudence. Une dame d’une soixantaine d’années me raconte qu’étant étudiante, elle dut passer un examen d’athéisme. Elle révisa les bases du matérialisme dialectique, rédigea sa copie en réfutant âprement la doctrine idéaliste, obtint une bonne note … et s’en alla brûler un cierge dans une église pour se faire pardonner d’avoir écrit ces fadaises.

Bien avant Clovis, l’Arménie adoptait le christianisme

La religion est constitutive de l’identité arménienne. L’Eglise locale, à laquelle 94 % de la population se rattachent, jouit d’une indéniable autorité morale. Elle pourrait reprendre à son usage la devise du Royaume-Uni, « Dieu et mon droit » (voir encadré).
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Tout Arménien est fier d’appartenir au « premier Etat chrétien de la planète », fier de citer la date officielle du renoncement au paganisme, « en l’an 301, pensez, deux siècles avant votre Clovis », me fait gentiment remarquer un prêtre francophile.

Cette ancienneté suscita en 2001 un glorieux 1 700e anniversaire oecuménique, salué par un voyage du pape Jean Paul II. Ne reculant devant rien, ce pays pauvre réussit à bâtir pour l’occasion, au centre d’Erevan, une cathédrale neuve grâce aux dons d’Arméniens du monde entier.

La nef est vaste et claire. De simples fenêtres à vitres blanches donnent une impression inusitée d’ouverture sur la ville. Il serait presque dommage qu’un riche donateur vienne offrir des vitraux bariolés… J’y entre un dimanche, lors d’une liturgie de l’après-midi. Elle est empreinte d’une piété ostensible dont on n’a plus guère l’habitude en Europe du nord. Des chants psalmodiés comme chez les orthodoxes, avec plusieurs officiants dans le choeur. Beaucoup de femmes, quel que soit leur âge, ont la tête couverte d’une mantille blanche et brodée. L’encens est abondant. On baise dévotement l’Evangile. Quand un fidèle quitte l’église, c’est à reculons, pour ne pas tourner le dos à l’autel. Et souvent il entre aussitôt dans un bâtiment latéral, pour y acheter des cierges d’un jaune tirant sur l’orange, minces comme des crayons.

Des prêtres les armes à la main, comme en Croatie…

Je visite le monastère de Gandzassar (Haut-Karabagh), perché sur une montagne boisée. Vue imprenable sur la vallée, avec cette science du paysage qu’ont certains monastères cisterciens. L’église St Jean-Baptiste (Sourp Hovannès Mkrtich) est une merveille du XIIIe siècle, accessible depuis peu grâce à une route goudronnée. L’une des façades est si brodée, si torsadée qu’on dirait une passementerie de pierre. A l’intérieur, la chapelle a la rudesse enveloppante des grottes, une grotte qui sentirait très fort la cire et l’encens. L’autel trône sur un colossal rehaussement de granit, ce qui conduit le chrétien, en contrebas, à se sentir encore plus humble.

Le prêtre de Gandzassar, Ter Hovhannès, est un beau gars de 35 ans, vigoureux, marié à une dame qui tient la boutique où l’on vend des crucifix et des images pieuses (comme les popes, les prêtres arméniens ont droit au mariage). Au début des années 90, pendant la guerre contre l’Azerbaïdjan, il a lui-même combattu.

Kalachnikov à la main, de nombreux prêtres arméniens firent de même, par fidélité nationale. Cela me fait penser à la Croatie où des prêtres catholiques ont pris les armes contre les Serbes pendant le siège de Vukovar, en 1991. Je repense aussi au vicaire épiscopal que j’avais rencontré en 1992 à Zagreb. Comme je lui demandais ce dont il avait besoin dans la lutte contre Milosevic, du tac au tac, il avait fièrement répondu :
-« Des armes » !

En 1994, quand la guerre du Haut-Karabagh a pris fin, Ter Hovhannès est retourné au culte. Il sourit en évoquant cette période de sa vie. Il ne s’y appesantit pas, proclamant juste sa conviction d’avoir fait ce qu’il devait faire au moment idoine.

Une photo de Khomeiny orne la mosquée

L’Arménie se félicite d’avoir réussi à garder au cours des siècles ses spécificités identitaires. Aucun culte extérieur n’a jamais réussi à s’y imposer, ni le mazdéisme ni le zoroastrisme apportés par les Perses, et pas même l’orthodoxie russe.

Mais plus que tout, l’Arménien tire gloire d’être resté fidèle à son Eglise malgré la pression ottomane, alors que le contexte aurait pu, comme à Sarajevo, le faire bifurquer vers l’islam.

Il y a bien une mosquée à Erevan, près du marché central. C’est l’une des rares survivances de l’architecture d’Orient, mémoire d’un passé révolu où beaucoup de musulmans vivaient à Erevan.

Construite en 1765, riche en faïences émaillées d’un bleu intense, restaurée et rouverte au culte il y a sept ans, elle reste vide presque toute la semaine. Sous un dôme de vingt mètres de haut, la vaste salle de prière sert surtout aux diplomates étrangers et hommes d’affaires arabes en poste à Erevan.

Une photo du leader chiite libanais Nasrallah, une autre de l’Iranien Khomeiny sont collées sur une vitre. C’est l’Iran qui a participé à la restauration de l’édifice.

« Sachez, me dit-on, que nous avons de meilleures relations avec l’Iran qu’avec la Turquie. L’Iran nous est indispensable, il nous ouvre la route vers le sud alors que la frontière avec la Turquie est fermée. Il tolère notre culte, pourvu que nous renoncions au prosélytisme et que nous restions extrêmement discrets. N’oubliez pas que plusieurs dizaines de milliers de familles arméniennes vivent encore en Iran, surtout au nord ».

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En pèlerinage en Iran, sur la tombe de saint Thaddée

Mon interlocuteur me signale que tous les ans, en juillet, 3 000 à 4 000 Arméniens convergent vers une vallée du nord-ouest de l’Iran pour trois jours de fêtes et de prières dans une église dont ils ont la charge, Qareh Kelisa, « l’église noire ».

C’est le plus vieux monument chrétien d’Iran. Rivé à la montagne, il a résisté à au moins quinze siècles de guerres et de séismes. La chronique locale veut que Qareh Kelisa s’élève sur la tombe d’un des douze apôtres, saint Thaddée, qui annonça l’Evangile en Arménie.

La piété locale est si forte que Thaddée, de même que Barthélémy, l’apôtre qui l’accompagnait, font partie du panthéon arménien. Comme s’ils étaient de la famille.

Dominique Jung

A SUIVRE.- Mardi : Une frontière cadenassée

Une Eglise qui ne reconnaît ni le Vatican ni Moscou

L’Eglise d’Arménie appartient à la très complexe galaxie chrétienne mais y conserve jalousement son autonomie. Elle est dite autocéphale, c’est-à-dire qu’elle a son propre chef ; elle n’admet ni la tutelle du Vatican, ni celle du patriarche orthodoxe de Moscou.

Le catholicos, chef de l’Eglise arménienne (qui n’a rien de catholique au sens romain du terme), siège à Etchmiadzine, petite ville réputée « sainte », proche de Erevan, où Jean Paul II s’est rendu en visite en 2001.

Le christianisme joua un rôle politique dès les origines.

C’est un moine, Mesrop Mashtots, qui donna, en 406, son alphabet à l’Arménie, évinçant les graphies étrangères utilisées auparavant. L’alphabet de Mesrop Mashtots, toujours en usage, est vénéré comme l’est l’alphabet cyrillique (du nom de saint Cyrille) chez les orthodoxes russes.

Édition du Dim 12 août 2007

Dernières Nouvelles d’Alsace – 2007

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Author: raffi

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