Les frères Taviani, réalisateurs transalpins trop discrets, auraient-ils réalisé leur nouvelle Nuit de San Lorenzo ? Réponse : non. Et on repassera pour les affubler de dithyrambes.
LE MAS DES ALOUETTES
Un film de Paolo Taviani, Vittorio Taviani
Avec Paz Vega, Moritz Bleibtreu, Angela Molina
Durée : 1h58
Date de sortie : 30 mai 2007
Dans la Turquie de 1915, la famille arménienne des Avakian vit en paix. Le patriarche vient de mourir, et tout le monde se réunit pour un dernier hommage, y compris le colonel turc Arkan. Tout respire la solidarité et le respect. Pourtant la menace gronde, avec des groupuscules extrémistes nationalistes, partisans de la « Grande Turquie ». Parmi eux, le turc Egon, fiancé secret de Nunik, l’arménienne. L’Europe gronde et subit les affres de la Grande Guerre, et le parti des Jeunes Turcs décide du massacre des Arméniens. Tous les hommes doivent être exécutés, quel que soit leur âge. Les Avakian se réfugient avec tous leurs amis au Mas des Alouettes. Mais ils sont rapidement découverts, et n’échappent pas à leur tragique destin. Les femmes, survivantes, vont tenter de vivre sans eux.
Revenus de loin après les triomphaux Padre Padrone et Good Morning Babylonia (deux opus qui malgré l’inévitable usure du temps, contiennent encore des moments de génie qui se manifestent dans l’utilisation de la lumière et la composition des plans), les frères Taviani signent depuis plus d’une dizaine d’années des fictions qui hélas s’enlisent dans la grandiloquence et le format télévisuel de leurs productions. Ce n’est pas avec Le mas des alouettes, leur nouvelle fresque humaniste-humanisante (qui repose assurément sur des ambitions nobles) qu’ils vont retrouver leur vigueur d’antan. A travers un hommage aux victimes du génocide arménien contesté par la Turquie, ils adoptent – conformément au roman – le point de vue d’une famille décimée et furètent sur le même territoire qu’il y a peu Atom Egoyan et Ararat et tombent dans les mêmes ornières: académisme poussiéreux, reconstitution pataude, effets lacrymogènes gênants, anti-manichéisme appuyé, Arsinée Khanjian pontifiante.
Comparativement aux autres films des deux cinéastes, celui-ci porte en lui quelque chose de mécanique, de forcé, de moins caressé par la grâce. Qui laisse très distant et malgré son sujet intense, ne génère pas grand-chose de viscéral. En gros, la forme maniérée est totalement inadaptée au sujet politique, engagé et rude. Dommage donc que l’acharnement des frères Taviani à faire du cinéma cérémonieux (on perçoit qu’ils ont une haute idée du septième art et cette exigence fait plaisir) rime toujours avec une incapacité à renouveler une grammaire. Qui plus est démonstrative sur ce coup. M’enfin, comme dirait un collègue-ami, c’est toujours plus honnête et digne que la boursouflure du Vent se lève, de Ken Loach.
R l v