En prenant le 8 mai dernier la décision de rallier Nikol Pachinian plutôt que de courir le risque d’une dissolution ou d’une confrontation avec la rue, l’Assemblée nationale arménienne s’est donné les moyens de sa propre survie, mais n’a pas ouvert la voie à un vrai changement, lequel passe par de nouvelles élections. Ainsi, prudence s’est à nouveau avéré mère de sûreté, mais pas d’avancées. Face à un tel Parlement, qui semble vouloir le soutenir comme la corde soutient le pendu, Nikol Pachinian n’a donc guère le choix. C’est sur la dynamique du mouvement de masse, auquel il doit tout, qu’il lui faut encore compter. Et il ne s’en prive pas. Quitte à s’exposer à des accusations de populisme.
La manifestation monstre du 17 août, qui a mobilisé des dizaines de milliers de personnes, atteste, si besoin était, de sa popularité. Une force dont il use pour asseoir son autorité, à défaut de se la voir reconnue de bonne foi par une assemblée issue du régime précédent, qui lui a donné une majorité de circonstances, pas de conviction. Celle-ci lui a jusqu’à maintenant suffi pour exercer le pouvoir, dans la limite des affaires courantes. Mais pas à ancrer sa politique dans le long terme. Quand bien même le cap qu’il a fixé s’est-il traduit par des premières mesures de lutte contre la corruption.
La situation reste cependant fragile. Pour aller plus loin et voter de nouvelles lois, la coalition Yelk en est pour l’instant réduite à composer avec des forces dont la sincérité à son endroit est plus que sujette à caution. Parmi celles-ci figure en particulier (mais il n’est pas le seul) le parti de l’oligarque Gagig Tsaroukian, courtisé depuis des années par Levon ter Petrossian, instrumentalisé par Serge Sarkissian, mais créé à l’origine pour servir les intérêts de Robert Kotcharian, bête noire des autorités actuelles. Lequel vient d’annoncer son retour dans l’arène politique.
Comment dès lors aller de l’avant, en restant dépendant d’une structure aussi peu identifiable ? Comment construire sur de tels sables mouvants ? Et comment sortir de cette impasse, imposée par les limites d’une Constitution qui interdit l’organisation de nouvelles élections avant mai 2019 ? Si toutefois le Parlement n’essaye pas à ce moment-là de revenir à la situation précédente, en nommant par exemple un autre Premier ministre que Pachinian. Un comble ? Pourtant le risque existe.
Aussi, au-delà des calculs mesquins, des tentations revanchardes, des combinaisons politicardes, n’en va-t-il pas aujourd’hui de l’honneur de cette assemblée frappée d’un soupçon d’illégitimité de s’entendre au plus vite sur un scénario de sortie de crise pour enfin permettre à la volonté populaire de s’exercer, 27 ans après la déclaration d’indépendance ?
Après une période révolutionnaire dont le caractère pacifique et responsable a été souligné par le monde entier, le moment n’est-il pas venu pour l’Arménie de retrouver le chemin de la démocratie représentative et de se mettre en conformité avec son régime parlementaire? Sans compter que plus d’un quart de siècle après la désoviétisation, son peuple y a franchement bien le droit !
Au-delà de toute vision court-termiste de leurs intérêts, il ne dépend aujourd’hui que de la volonté des forces politiques arméniennes de prendre la mesure de la situation et d’assumer leur mission historique et leur raison d’être : rendre effective l’expression de la souveraineté populaire en se mettant enfin d’accord sur une date pour des élections et les modalités d’un scrutin libre et régulier, quelle que soit la solution formelle envisagée. Il s’agit d’un devoir national qui engage non seulement la crédibilité du pays, mais aussi son avenir. Alors quel jour ? Quel mois ? Quelle année ?
Ara Toranian