Erdogan : de l’usage opportuniste d’une pandémie

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Erdogan s’est opportunément trouvé cette année un allié objectif à sa hauteur : le coronavirus. Sans qu’il n’ait à intervenir en quoi que ce soit, et par la seule nécessité de faire échec à l’épidémie, les manifestations liées au génocide arménien qui chaque 24 avril mettent l’État turc en accusation ne pourront avoir lieu cette année. Nulle part. Une aubaine pour Ankara, en cette période traditionnellement délicate pour son image… Même si rien ni personne ne pourra empêcher les commémorations de se dérouler autrement, dans les limites imposées par les besoins sanitaires.

Le nouveau Sultan peut aussi profiter de cette situation lorsqu’elle lui permet de bombarder dans l’indifférence générale les Kurdes , comme il l’a fait le 15 avril dernier au camp de Makhmour en Irak, alors que les opinions étaient accaparées par la maladie.

De même pourra-t-il continuer à en tirer parti pour infliger une ultime discrimination aux 230 000 prisonniers politiques du pays qui sont exclus des mesures de libération conditionnelle visant à désengorger les pénitenciers menacés par la pandémie. Une ségrégation scandaleuse dénoncée par les ONG de défense des droits de l’Homme, comme Human Rights Watch et Amnesty International.

Les nombreux journalistes, opposants politiques et avocats qui se trouvent en détention provisoire devront donc ajouter les « gestes barrières » à leur enfermement s’ils veulent échapper à la contamination dans un univers carcéral surpeuplé, en attendant leur « jugement ». Il en sera notamment ainsi pour le député kurde Selahattin Demirtas qui a vu sa demande de libération rejetée samedi 18 avril, en dépit de son état de santé alarmant. Idem pour Figen Yüksekdağ ancienne co-présidente du HDP débouté d’un recours similaire au début du même mois.

Rien d’exceptionnel : l’État turc s’accommode traditionnellement mieux des droits communs dont il sait faire le cas échéant bon usage, que de ses opposants politiques. Comme durant toute son histoire. N’avait-il pas en 1915 vidé les prisons afin de garnir les rangs de l’ « organisation spéciale », chargée d’exécuter les basses besognes du plan d’extermination dans les sites abattoirs jalonnant les routes de la déportation ?

Le régime d’Erdogan continue donc de puiser son inspiration à la meilleure source : celle de la tradition criminelle d’un Empire ottoman qu’il rêve de refonder. En atteste entre autres ses ingérences militaires en Afrique, comme le soutien décisif qu’il est en train d’apporter en ce moment même aux troupes de Faïez Sarraj en Libye ( prise de Sabratha,le 13 avril), pendant que l’Occident a le dos tourné, absorbé par la nécessité de trouver des masques…

Et ce sans parler des synergies que le despote tente d’organiser avec les anciennes républiques turcophones de l’ex-URSS, dont l’Azerbaïdjan. Ou encore de ses menées au Moyen-Orient par le truchement des Frères Musulmans et de la mouvance djihadiste. Où et quand ses prochaines « avancées » ?

Face à cette situation, il est plus que jamais vital pour les descendants des victimes du génocide de 1915 d’exercer leur devoir de mémoire et leur droit de suite envers l’État turc. Même si les circonstances exigent cette année que les commémorations soient exceptionnellement ramenées à leur plus simple expression, sur Internet ou dans le recueillement individuel.

Qu’importe en l’occurrence. Se souvenir, c’est aussi agir. C’est résister à la dictature du présent. C’est reprendre le flambeau et se donner les moyens de le transmettre à son tour, le moment venu. Et ce faisant de participer à la construction de l’avenir collectif, dans une histoire dont l’horizon indépassable ne se limite pas au 11 mai 2020.

Cet arrêt du temps, cet arrachement au quotidien pour entendre chaque 24 avril la prière de nos un millions cinq cent mille morts est la condition, si ce n’est suffisante du moins nécessaire, pour bâtir le futur, et au-delà du recueillement, pour demander justice, organiser les solidarités, oeuvrer à la sécurité de l’Arménie, de l’Artsakh et à la paix régionale toujours menacée par les entités affiliées aux panturquisme.

C’est aussi un moyen à la portée de tous d’apporter sa quote-part à la vigilance de l’Europe à l’égard des ambitions mégalomaniaques d’un régime turc qui n’envisage sa relation avec le vieux continent qu’en termes de rapport de forces, de séparatisme, de gain, pour ne pas dire de conquête.

Cette année, les rescapés du génocide « éparpillé façon puzzle » sur toute la planète ne disposeront pas de l’opportunité de reconstituer, ne fut-ce que quelques heures durant, une partie de leur image fractionnée, comme ils le font une fois par an, en se retrouvant et commémorant à l’unisson leurs morts et leurs 2500 ans de civilisation annihilée. La somme de leurs existences individuelles ne pourra exceptionnellement « faire peuple », dans une dimension palpable, concrète, notamment en diaspora.

Conséquence directe de l’épidémie, et à la grande joie d’Erdogan, ils ne jouiront pas du « luxe » de pouvoir se réunir, partager, se reconnaître dans le regard de l’autre et – divine surprise – faire masse, eux qui ne vivent le plus souvent leur part arménienne que dans l’isolement, l’atomisation, le virtuel, le confinement. Mais une chose est sûre : ils n’oublieront pas. Nous n’oublions pas. Et, où qu’ils soient, où que nous soyons, en entretenant la flamme du souvenir, nous éclairerons l’avenir.

La rédaction
Author: La rédaction

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