Etre une femme en Turquie

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Les droits de femmes ont considérablement progressé ces dernières années en Turquie, même si dans la pratique de nombreux progrès restent à faire. Make Europe publie l’article d’un chercheur du centre de recherche European Stability Initiative sur la question. Celui-ci analyse les enjeux de la crise politique que traverse actuellement le pays.

Au printemps 2007 quatre grandes manifestations ont eu lieu en Turquie : à Ankara, à Istanbul, à Smyrne et à Samsun. Les groupes qui ont organisé ces manifestations voulaient protester, comme c’est connu, contre la possible accession d’Abdullah Gül, l’actuel ministre des affaires étrangères, au poste de président. Même l’armée a protesté avec une lettre sur son site Internet dans laquelle elle s’est dite prête à «défendre la laïcité».

Il existe en Turquie une peur d’une islamisation du système politique et de la société, et un président du parti conservateur-islamique AKP dont la femme porte le voile canalise cette peur. Parmi les participants aux manifestations, on retrouvait beaucoup de femmes du camp kémaliste ou laïc, ce qui a poussé le journal libéral Radikal à titrer après les manifestations : «La force des femmes».

Pour le camp laïc, la libération des femmes était déjà acquise dans les premières années de la République, entre 1924 et 1934 : abolition de la polygamie, introduction du Code Civil (modèle suisse) et du Code Pénal (traduction en grande partie du Code Pénal italien de 1889) et suffrage pour les femmes. Selon eux, la Turquie était légalement moderne, même si la société restait trop conservatrice et liée à la religion pour pouvoir avancer plus loin. Cette interprétation est très répandue en Turquie, mais elle est fort éloignée de la réalité.

Les responsabilités du front laïque

Au cours des dernières années du vingtième siècle, la Turquie était en réalité le seul pays d’Europe qui, légalement, traitait les femmes comme inférieures par rapport aux hommes, tant dans le code civil que dans le code pénal. Le chef de la famille était le mari, la femme avait besoin de sa permission si elle voulait travailler et un homicide commis au nom de l’honneur était puni moins sévèrement qu’un homicide «normal». Un violeur n’était pas puni s’il se mariait avec la victime, le viol était un crime contre la société et non contre un individu et il n’existait pas entre époux. Le problème, c’était donc les lois elles-mêmes.

Cette situation a toutefois complètement changé avec l’introduction d’un nouveau code civil moderne en 2001 et avec l’adoption en 2004 d’un code pénal qui souligne l’importance d’un pas vers un système post-patriarcale qui s’affranchit des ombres de la tradition, de la charria ou des coutumes du dix-neuvième siècle. Non seulement les lois sont importantes en elles-mêmes, mais aussi le mode dans lequel elles ont été faites : un grand processus de consultation avec l’opposition impliquant aussi la presse et de nombreuses ONG. Une nouvelle qualité de démocratie en Turquie. Une victoire pour les femmes et pour le pays.

En réalité, cependant, si les lois sont changées, les faits parlent encore un vieux langage. Dans une vaste étude du Forum Economique Mondial de 2006, la Turquie était à la 105ème place sur 115 pays en ce qui concerne l’égalité entre les hommes et les femmes. En Europe, la Turquie est le pays avec le pourcentage plus faible de femmes au parlement et sur le marché de travail et avec le taux le plus haut de femmes analphabètes.

Polarisation

Le paradoxe des réformes récentes est qu’elles ont été accomplies en grande partie sous le gouvernement de l’AKP, que les laïcs accusent de vouloir introduire la charria, enfermer les femmes dans les maisons, les forcer à porter le voile, etc. La peur de l’islamisation est restée fort présente dans une partie de la société laïque qui n’a pas confiance dans le changement d’une organisation qui a des racines dans le mouvement islamiste vers un parti musulman-démocratique qui s’engage à effectuer des réformes démocratiques et à prendre un chemin clair vers l’Union européenne. Cependant, avec ces accusations, le camp laïc oublie qu’il n’a pas fait beaucoup pour les droits humains, les droits des femmes, la démocratisation du système politique et la modernisation des lois lorsque c’était lui était au pouvoir.

La solution à cette polarisation n’est certainement pas d’appeler l’armée à intervenir, mais de se confronter démocratiquement et de s’habituer à une situation plus pluraliste : se baser sur les faits et pas sur les sentiments. La transposition des lois dans la réalité et l’amélioration de la situation actuelle des femmes dans le domaine de l’éducation, dans le marché de travail et dans la politique dépend en effet de la poursuite du processus démocratique. Si le processus pourra continuer après les élections du 22 juillet est pour l’instant seulement probable. Pas garanti.

Ekrem Eddy Güzeldere*

14 juin 2007

*Ekrem Eddy Güzeldere est analyste au bureau du centre de recherche European Stability Initiative à Istanbul. Celui-ci a publié en juin 2007 un nouveau rapport sur la situation des femmes en Turquie qui peut être lu sur son site internet

http://www.esiweb.org/index.php?lang=de&id=156&document_ID=90

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Author: raffi

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