Face à l’injustice, le silence est une faiblesse. Le secret, une arme

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Lorsque le monde se dérobe, la cause la plus juste, comme celle des Arméniens qui revendiquent le droit de vivre sur leur terre d’origine, ce minimum-là, n’a plus aucune valeur. Les Arméniens ne militent pas pour des terres, ni pour des territoires au fond. Ce peuple sédentaire s’est tant déplacé à l’intérieur de ses propres terres, au gré d’une histoire
tourmentée, qu’il a perdu une grande légitimité pour persister à y vivre. Et aujourd’hui, même, dans le réduit actuel de ses frontières, ce droit est fragilisé. L’Arménie est devenue une  » représentation « ; comparée aux vastes plateaux qu’elle occupait jadis.

Entre les survivants du génocide, la diaspora extra caucasienne issue de l’ex URSS, les récents réfugiés d’Artsakh, les futurs exilés que nous réservent encore l’Histoire, une minorité d’Arméniens du monde peut s’enorgueillir de vivre depuis x générations sur ses terres ancestrales. Même en Arménie intra-muros actuelle, la population stabilisée depuis la soviétisation a, très souvent, des origines antérieures extra-muros.
Non, la terre arménienne ne peut pas être la cause, de la cause arménienne. La terre a été cédée, partagée, abandonnée à d’autres en dépit de la cause. La cause arménienne dépasse la terre et donc la géographie. La cause arménienne est le combat, pas la terre. Réduire le problème à une dispute de territoire, c’est accréditer la logique du plus fort qui s’empare du plus faible. Tandis que combattre le plus fort avec cette arme qu’il ne possède pas, c’est
autrement plus efficace.

Si les gains diplomatiques au niveau mondial, activés depuis la révolution de velours et particulièrement depuis la guerre des 44 jours, ont opéré un changement de stature dans la perception de l’Arménie, c’est en partie grâce au travail de fond qui a précédé la révolution de 2018, en diaspora. Pendant que l’oligarchie se vautrait dans un immobilisme coupable et condamnait l’Arménie à en payer le prix, un jour ou l’autre, les 20 ans qui ont précédé cette
renaissance arménienne ont été occupés en diaspora à labourer son propre terrain, celui de la condamnation du Génocide de 1915.

C’est ce travail qui a préparé la diplomatie mondiale à appréhender, avec discernement, l’ouverture de l’Arménie aux chancelleries, occidentales notamment. Si l’Azerbaïdjan et la Turquie trouvent quelques obstacles à leurs funestes desseins, si le cas politique arménien trouve écho chez certaines puissances, c’est, en partie, lié à ce travail long et diffu.

La faillite que représente l’abandon de l’Artsakh doit faire réfléchir tous les Arméniens du monde et ne surtout pas être ramené à une surprenante fatalité. La perte doit être porteuse de leçon et d’espoir, d’enseignement et de sagesse.
Lors de l’écroulement de l’URSS, tous les désordres institutionnalisés par les soviets ont volé en éclats, ses provinces et leurs frontières découpées à la fantaisie d’un Staline ont révélé leur poison. Les pogroms de Soumgaït, Kirovabad, Bakou, Shahumyan, qui ont précédé l’indépendance du pays, ont renoué avec la pratique des massacres armeno-tatars qui avaient cours avant la parenthèse URSS. Finalement, le Haut-karabagh aurait pu tomber définitivement dans les mains de l’Azerbaïdjan au tout début des années 90 d’indépendances, si le sort de la guerre de résistance n’avait pas penché en faveur des arméniens,…et si les Russes l’avaient voulu ainsi.

Dans ce scénario, l’Arménie aurait assumé une indépendance à laquelle elle ne rêvait plus, mais aurait peut-être forger une arme ou une armée pour reconquérir, un jour, l’Artsakh perdu. Les mentalités depuis 30 ans auraient été autres… Une idée aurait germée, dans le secret. Le secret, une notion qui aurait accompagné le pouvoir depuis son indépendance.

Non, c’est bien l’Azerbaïdjan qui a joué le rôle de victime toutes ces années, pratique pour se faire des amis, d’autant mieux que les pétrodollars pleuvaient. C’est cette stratégie longue et payante qui a été choisie, car il y a toujours un moment où le fruit est mûr et tombe de lui-même.

Aujourd’hui, l’Artsakh est perdu, certes, mais l’Histoire retiendra que durant longtemps, il a été indépendant. Ce capital existe et doit être défendu, tout comme le combat pour la reconnaissance du Génocide, tant qu’il ne sera pas reconnu par la Turquie, Israël, et les quelques autres. Car si le chemin est long, beaucoup plus de pays désormais accompagnent les Arméniens et la République d’Arménie dans ce combat, et au bout, tous savent qu’il y a
la promesse d’une victoire.

Aujourd’hui, l’Arménie semble bien faible alors qu’elle n’a jamais été aussi puissante et visible. C’est parce qu’elle découvre qu’elle est seule et qu’elle en a pris conscience. Loin de l’Ararat les arméniens du monde avaient goûté cette solitude, cette impuissance. En Arménie, la vodka a longtemps brouillé les pistes.

Il est enfin venu le temps, pour l’Arménie, de travailler dans le secret et pour son propre destin. Le secret, certainement, si ce n’est déjà fait…

Max Jacob a su trouver les mots dans un poème, première ode écrite sur le génocide arménien dans l’empire ottoman. Sensible aux témoignages des massacres de Smyrne dont son ami, Joseph Altounian, a échappé en 1895, à l’époque certainement ignorant la dimension épouvantable du génocide de 1915 qui avait eu lieu, Jacob arrive à mêler
l’horreur du destin d’un peuple et l’espoir d’un futur pour ses enfants. En rapprochant ses premiers vers des tout derniers, cet entrelac est flagrant et terriblement actuel.

Max Jacob est mort à Drancy, sur la route d’Auschwitz, horreur d’un génocide auquel il a échappé…

Les Alliés sont en Arménie

Gémis donc, Haiasdan, crie pour qu’on t’entende
Le monde entier, le dos tourné, plante des choux
Ne faut-il pas que l’on achète et que l’on vende
Qu’on se marie et qu’on mettre au coffre des sous.
Mais quel autre que Dieu peut écouter la plainte
D’un peuple tout entier au pied de l’Ararat ?

Oui, recherche Haïasdan, ton ancienne limite
Et de tes anciens rois la glorieuse suite.
Tes larmes vont tarir, regarde l’avenir !
C’est apprendre à régner que d’apprendre à souffrir.

MAX JACOB

Avril 1916
https://www.cairn.info/revue-archives-juives1-2015-1-page-10.htm

capucine
Author: capucine

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