Jacques Chirac a achevé dimanche matin une visite d’Etat de plus de deux jours en Arménie, et il devait regagner Paris dans la journée.
L’avion présidentiel a décollé d’Erevan à 11H45 heure locale (06H45 GMT).
« La tragédie du génocide » a été dans tous les discours prononcés par le chef de l’Etat depuis son arrivée en Arménie.
Jacques Chirac, qui était accompagné d’une importante délégation et d’invités d’origine arménienne, a notamment enjoint la Turquie de faire l’examen de son passé avant d’adhérer à l’Union européenne.
« Tout pays se grandit en reconnaissant ses drames et ses erreurs », a-t-il jugé samedi en conférence de presse.
« Quand de surcroît il s’agit de s’intégrer dans un ensemble qui revendique l’appartenance à une même société et la croyance en de mêmes valeurs, je pense qu’effectivement la Turquie serait bien inspirée (…) d’en tirer les conséquences », a poursuivi le chef de l’Etat français qui a rendu hommage « à tous les survivants de cette tragédie ».
M. Chirac a entamé la première journée de sa visite d’Etat par un hommage samedi à ces victimes au pied du Tsitsernakaberd, le « Monument au génocide des Arméniens », en présence du couple présidentiel arménien. « Souviens-toi », a écrit le chef de l’Etat sur le livre d’or du monument.
Parmi ses invités de la diaspora arménienne, le numéro un mondial du caviar Armen Petrossian confiait être « submergé par l’émotion », le journaliste Daniel Bilalian éclatait en sanglot et le footballeur Youri Djorkaeff observait, figé, la minute de silence.
Jacques Chirac, qui a inauguré une « place de France » a également assisté samedi soir à un concert en plein air devant plusieurs dizaines de milliers de spectateurs, de Charles Aznavour, adulé en Arménie.
« C’est avec une émotion profonde que je découvre la terre d’Arménie », a lancé Jacques Chirac, saluant « l’histoire héroïque et tourmentée de ce peuple d’Arménie issu de la plus haute antiquité ».
Il a rendu hommage à « tous les survivants de cette tragédie », évoquant les tueries de 1915-1917.
Ce concert était également le lancement de « l’année de l’Arménie en France », une série de quelque 400 manifestations culturelles arméniennes qui vont se dérouler en France d’ici au 14 juillet.
La dernière étape du séjour de M. Chirac a été dimanche matin une visite dimanche au Patriarche Suprême et Catholicos de tous les Arméniens, Sa Sainteté Karenine II.
L’Eglise apostolique arménienne est l’une des Eglises d’Orient. Elle a opéré en 555 un schisme pour des raisons théologiques et politiques, après son Concile de Chalcédoine.
En 1996, le pape Jean-Paul II et le Catholicos de tous les Arméniens ont signé une « déclaration commune sur la Christologie », qui enterre les querelles théologiques, sans trancher sur la question de l’exercice de la primauté du pape.
Le chef de l’Etat et son épouse Bernadette se sont entretenus avec le Catholicos de tous les Arméniens au Saint-Siège, situé dans la banlieue d’Erevan. L’église apostolique arménienne est l’une des « Eglises d’Orient ». Le christianisme, arrivé très tôt en Arménie, y est devenu religion d’Etat en l’an 301.
Après leur entretien, Jacques et Bernadette Chirac ont visité la cathédrale de Etchmiadzine, construite au IVe siècle, dont l’intérieur est orné de fresques multicolores. Sur le livre d’or, le président a évoqué le souvenir d' »une émouvante visite dans le coeur spirituel de l’Arménie et du grand peuple arménien ».
« UNE PLAIE POUR CHACUN »
Ses propos sur la Turquie ont été salués par les Arméniens de France qui l’accompagnaient dans ce voyage, le député UMP des Hauts-de-Seine Patrick Devedjian en tête.
« Je crois qu’il a entendu les Français à l’occasion du référendum sur l’Union européenne », en mai 2005, a déclaré ce proche du président de l’UMP, Nicolas Sarkozy.
« Il a observé l’absence de progrès démocratiques de la Turquie constatée par l’Union européenne elle-même, et je crois qu’il est resté fidèle à son engagement constant dans le domaine des droits de l’homme », a-t-il ajouté.
« Ses propos sont dans la lignée du discours du Vel d’Hiv », a-t-il ajouté, en référence à l’intervention de 1995 où Jacques Chirac avait souligné la responsabilité du régime de Vichy dans la déportation des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.
« Un pays doit reconnaître son passé pour préparer son avenir. Ce n’est pas le gouvernement actuel que l’on critique », a renchéri le député UDF François Rocheblonde, président du groupe d’amitié France-Arménie à l’Assemblée nationale.
« Je crois que Jacques Chirac a raison. C’est le rêve de tous les Arméniens depuis longtemps », a déclaré une autre invitée, Jeanette Merian, dont les grands-parents ont été massacrés.
Installé sur les hauteurs de la ville face au dôme immaculé du Mont Ararat, Tsitsernakaberd se présente sous la forme de 12 stèles encerclant une flamme où les Arméniens viennent déposer des fleurs en souvenir de leurs morts. Le dôme est flanqué d’une flèche de même couleur grise.
Le président français, qui était accompagné de son épouse Bernadette, a planté un sapin au milieu de la forêt de petits épineux laissée par les personnalités venues sur le site. L’arbre de Jacques Chirac se situe non loin de ceux plantés par le président russe Vladimir Poutine et le pape Jean-Paul II.
Comme le footballeur Youri Djorkaeff et le P-DG d’Alcatel Serge Tchuruk, Armen Petrossian, spécialiste du commerce du caviar, s’est dit « très ému ».
« Mes parents n’en ont jamais parlé, on l’a su par les livres, par les autres. C’est une plaie pour chacun », a confié à Reuters l’homme d’affaires, dont les parents étaient des Arméniens réfugiés en France.
En conférence de presse, Jacques Chirac a enfoncé le clou en jugeant que la Turquie devait procéder à une reconnaissance similaire avant de pouvoir adhérer à l’Union européenne. « Tout pays se grandit en reconnaissant ses drames et ses erreurs », a-t-il jugé.
« Quand de surcroît il s’agit de s’intégrer dans un ensemble qui revendique l’appartenance à une même société et la croyance en de mêmes valeurs, je pense qu’effectivement la Turquie serait bien inspirée (…) d’en tirer les conséquences », a-t-il poursuivi.
Jusqu’à présent, les Européens n’ont pas fait de la reconnaissance du génocide arménien de 1915 une condition de l’entrée d’Ankara à l’UE.
Selon son entourage, Jacques Chirac, qui est favorable à l’entrée de la Turquie dans l’UE, juge que tout pays qui y adhère doit partager ses valeurs, notamment au regard du réexamen de sa propre histoire, à l’image de ce qu’ont fait l’Allemagne ou la France.
La Turquie a entamé en octobre 2005 des négociations en vue d’une entrée dans l’UE dans dix ou quinze ans.
Pour sa part, le président arménien Robert Kotcharian a assuré ne voir aucun danger dans une éventuelle entrée de la Turquie au sein de l’Union européenne.
Jacques Chirac a également mentionné la dispute autour du Nagorny Karabakh, une enclave habitée en majorité par des Arméniens et qui a fait sécession de l’Azerbaïdjan après un conflit meurtrier ayant débuté à la fin des années 1980.
« Je veux croire que le temps de la paix est venu. Je veux le croire parce que je connais le prix de la guerre », a-t-il déclaré.