Fort Nizarky: prison des horreurs devenue refuge de ses victimes

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Une corde pend du plafond de la cuisine, le sol est maculé de taches de sang indélébiles: Fort Nizarky, où des dizaines de Kurdes irakiens ont été emprisonnés, torturés et assassinés, est aujourd’hui habité par ses victimes, chassées de leurs villages lors des opérations Anfal.

« Je n’enlèverai jamais cette corde. C’est en mémoire des gens qui ont été pendus dans cette pièce, de ceux qui sont morts ici, dans cette prison », affirme dans sa cuisine, entouré d’une demi-douzaine d’enfants, Moustapha Arab Youssef, 35 ans, dont le frère est mort à Fort Nizarky, dans le Kurdistan irakien (nord).

L’histoire de Moustapha est banale dans le fort, où vivent 300 familles dans des conditions précaires. Trois cents familles dont un ou plusieurs parents ont été tués à Fort Nizarky. Trois cents familles dont au moins un parent a survécu à l’enfer qu’on y vivait.
Au début des opérations Anfal, qui auraient fait jusqu’à 180.000 morts dans le Kurdistan irakien en 1988 sur ordre de Saddam Hussein, dont le procès pour génocide s’est ouvert lundi à Bagdad, l’armée irakienne a parqué dans cette prison des milliers de Kurdes.

« Notre village de Syre a été bombardé. Au début, on a senti une odeur un peu fraîche, pas désagréable. Mais quelques minutes après, on pleurait, nos yeux piquaient. Des animaux et des enfants ont commencé à s’évanouir », se souvient Majid Khalid Weisy, 35 ans, en référence à l’utilisation d’armes chimiques.

Quelques jours plus tard, après une promesse « d’amnistie », les villageois sont rassemblés par l’armée irakienne et emmenés à Fort Nizarky, qui jouissait déjà d’une sinistre réputation: des centaines de Kurdes y croupissaient.

« Nous étions assis les un contre les autres, au milieu de la cour, sous le soleil pendant des heures », raconte Loukman Khalid Weisy, 31 ans.

« Il y avait des hommes, des femmes, des enfants. On n’avait rien à manger. Pour l’eau, on nous donnait de temps à temps quelques gouttes, pas plus d’une gorgée. On ne pouvait pas bouger, on faisait nos besoins sous nous. Certains s’évanouissaient, mouraient. On ne pouvait rien faire », détaille-t-il.

D’après lui, les exécutions étaient variées, balle dans la tête ou pendaison, mais la méthode préférée des soldats du fort, affirme-t-il, mettait en oeuvre des blocs de ciment.

« Ils allongeaient la personne et lui lançaient le bloc sur la tête. Un jour, un vieillard a demandé du feu à un des gardiens, il avait gardé une cigarette à rouler. Le gardien lui a répondu: « +tiens, voilà du feu+. Et il a mis le feu à sa barbe avant de le tuer », assure Loukman.

« Quand on leur demandait:+Ayez pitié, pour l’amour du prophète+, ils répondaient: +Le prophète est en vacances. Dieu est parti+ », ajoute-t-il.

Son père, Hassan Khalid Weisy, 69 ans, un ancien peshmerga (combattant kurde), ne comprend toujours pas: « Qu’ils nous fassent ça à nous, les hommes, leurs adversaires, mais pas aux femmes, aux enfants. Je boirais du sang de Saddam que nous ne serions pas vengés ».

Après avoir été parqués à Fort Nizarky pendant 10 à 20 jours, les Kurdes étaient transférés vers des villages de résidence obligatoire ou déportés pour être exécutés dans des charniers qu’on continue à découvrir.

La famille Weisy a vécu dans le village de résidence obligatoire de Baherke, près d’Erbil, pendant trois ans, avant de tenter de revenir à Syre. « Le village était rasé. On ne pouvait plus y vivre, alors on s’est installé dans le fort », explique Loukman.

Les nouveaux habitants ont construit des murs, repeint ceux couverts de sang et de cervelle, enlevé des barreaux. Entre les murs des prisons, des moutons paissent et des nuées d’enfants jouent au football ou avec des lance-pierres. Mais les conditions de vie restent pénibles, tout est vétuste.

« C’est quand même bizarre de vivre ici, où on a vécu les pires heures de notre vie. J’aimerais partir, mais je n’en ai pas les moyens », concède Loukman. « Il n’y a pas une journée où je ne revois pas en rêve les scènes que j’ai vécues ici ».

raffi
Author: raffi

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