Le 18 mars, à l’issue d’un tête-à-tête avec Gaguik Tzaroukian, leader d’« Arménie Prospère », deuxième force parlementaire, Nikol Pachinian a annoncé sur sa page Facebook la tenue d’élections législatives le 20 juin prochain. Ce scrutin anticipé est considéré comme la seule voie pour sortir le pays de l’impasse dans laquelle il est plongé depuis la fin de la guerre. Ces élections anticipées sont-elles, pour autant, la panacée ? Les interrogations sont nombreuses et en tous genres. La décision en elle-même ne fait pas débat; l’essentiel est de savoir dans quels environnements juridique et législatif ce scrutin se déroulera-t-il ; quelles seront les règles du jeu écrites et non-écrites ; les forces politiques s’accorderont-elles sur un code de conduite ? Même si, à vrai dire, à l’ère des technologies de l’information et des fake news, un code de conduite convenu ne suffit pas à assurer le bon déroulement d’une campagne électorale ni à garantir qu’elle ne sera pas une simple tribune d’où jailliront des accusations de « trahison », mais plutôt une véritable occasion de discussions sérieuses et de débats sur l’avenir de l’Artsakh et de l’Arménie.
En fin de comptes, ces élections anticipées ne sont pas qu’une réalité intérieure. L’Arménie ne traverse pas une crise intérieure habituelle. Elle est en crise parce que la guerre turco-terroriste contre l’Artsakh a démoli l’intégralité de la stratégie et de la géographie du système sécuritaire de l’Arménie post-soviétique ; elle a détruit toute la psychologie collective de l’Arménie indépendante qui était ancrée à cette stratégie, à ces jalons géographiques et psychologiques obtenu après la victoire de la première guerre d’Artsakh, qui ont été anéantis dans la guerre des 44 jours. En résumé, les élections prévues le 20 juin ne sont nullement un moyen « anticipé habituel » pour sortir d’une impasse habituelle, comme on en rencontre souvent dans des pays au régime parlementaire tel qu’Israël, par exemple, qui se prépare cette année à organiser des élections anticipées pour la quatrième fois consécutive. Dans le cas de l’Arménie, c’est un événement sans précédent ; par conséquent, les approches à son sujet se doivent d’être sans précédent aussi. Cela peut sembler étrange de prime abord, mais, vu le contexte, la participation de l’ensemble des Arméniens, et non pas uniquement ceux d’Arménie, dans ce processus électoral est primordiale. Bien entendu, on comprend que seuls les citoyens d’Arménie ont le droit de se rendre dans l’isoloir pour remplir leur bulletin de vote. Mais, aucun citoyen d’Arménie sain d’esprit ne niera que le pays est en proie à une nouvelle réalité inédite, où au fond à la base de tout, se trouve la nécessité d’une nouvelle architecture étatique, et qu’il est impossible d’y parvenir sans concentrer les efforts et les ressources de tous les Arméniens.
Il est temps de réfléchir à des canaux publics, civils et politiques grâce auxquels les Arméniens dans leur ensemble pourront participer à l’élaboration du contenu des débats électoraux en Arménie et apporter leur contribution à la substance et à l’agenda préélectoral, afin qu’au lieu des intérêts personnels et claniques du monde des affaires et des partis politiques, ce soit, enfin, les intérêts nationaux de l’Etat qui priment. Le nouveau panorama politique à composer au travers de ces élections anticipées se doit d’être légitime par l’intégration de tous les Arméniens.
Hakob Badalyan
Traduit de l’arménien