Interview exclusive de Marina Dédéyan

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L’écrivaine vient de sortir son septième roman, là où le crépuscule s’unit à l’aube. Corinne Zarzavatdjian l’a rencontrée pour les Nouvelles d’Arménie Magazine.

Nouvelles d’Arménie Magazine : Quand avez-vous commencé à écrire ce septième roman ?
Marina Dédéyan :
J’ai commencé à écrire ce livre en septembre 2018, mais cette histoire a toujours été en moi, comme un puzzle dont je rêvais de rassembler les morceaux. Plus de trois ans à me replonger dans ces récits, mes souvenirs mis bout à bout, toutes ces anecdotes familiales que me racontait ma grand-mère Baba sur Julia, sa mère « qui avait appris à confectionner des camélias si parfaits qu’un papillon s’y serait trompé » et j’ai reconstitué leur histoire. Julia, mon arrière-grand-mère, est l’héroïne de mon roman. Au-delà de son histoire, c’est l’évocation d’une époque et la rencontre de personnalités telles que Marcel Pagnol, Eugène Fabergé, Nijinski et bien d’autres encore. Mon arrière-grand-mère est décédée dans les années 50, je ne l’ai donc jamais connue mais c’était fascinant de la faire revivre, comme si elle se trouvait à mes côtés.

NAM : Comme si ce roman était l’occasion d’un dialogue entre l’héroïne et son arrière-petite-fille ?
M. D. :
Oui, sûrement. Un roman, c’est aussi une rencontre avec un sujet qui vous touche et vous emmène dans l’univers de l’intime, c’est le cas de celui-ci.

NAM : Pour chacun de vos ouvrages, vous nous emmenez vers de nouvelles destinations, après le Moyen-Orient médiéval, l’Empire byzantin, la fondation de la Russie, l’Inde et la Bretagne, c’est un voyage à travers la Russie, à l’aube du XXe siècle. Pourquoi cette destination et cette culture, un clin d’œil à vos origines ?
M. D. :
Je porte chaque roman en moi et l’histoire arrive au bon moment. Ici, lorsque ma mère tentait de rassembler tous les souvenirs de Baba, sur la vie de ses parents. J’aime écrire sur la rencontre entre des cultures au travers de périodes et de pays différents et à des tournants de l’Histoire. Je trouve mes sources d’inspiration dans tout ce qui me construit. On est tous une caisse de résonance de ce que l’on reçoit, en l’occurrence ma double identité, arménienne et russe.

NAM : Vous avez écrit pendant la pandémie. Quelles ont été les difficultés auxquelles vous avez été confrontée pendant cette période d’isolement ?
M. D. :
L’ambiance dans laquelle j’écris m’influence forcément. Lorsque j’ai commencé à écrire sur la Révolution de 1917, la guerre éclatait en Artsakh comme une réminiscence du génocide. Je racontais dans mon livre la fin d’un monde et en même temps, il y avait la guerre et la pandémie. Mes personnages vivaient la même chose : la haine, la barbarie, la misère et la peur. Même si le mot est souvent galvaudé, c’est aussi un livre sur la résilience, résilience incarnée par mes personnages. La façon dont ils ont réussi à survivre et à se reconstruire pendant cette période de grands traumatismes.

NAM : Que vous apporte cette double culture, à la fois russe par votre mère et arménienne par votre père ?
M. D. :
J’ai été baignée d’histoires russes depuis toute petite, ma grand-mère était une conteuse extraordinaire. Du côté arménien, c’était plutôt une transmission spirituelle et intellectuelle. Les deux me nourrissent différemment et m’enrichissent depuis toujours.

NAM : Comment votre roman a-t-il été perçu par votre famille ?
M. D. :
Ce n’est pas évident d’écrire sur sa famille car l’on a peur de trahir et l’on cherche aussi à ne pas les exposer, par pudeur. J’ai fait lire les cinquante premières pages à ma mère et ma sœur. Je me souviens de ce moment, j’attendais avec fébrilité leurs réactions ! Elles m’ont complètement soutenue.

NAM : Quel regard portez-vous sur vos précédents livres ?
M. D. :
Je pense que la plume évolue, la qualité littéraire gagne en maturité, enfin j’espère ! Pour chacun de mes romans, j’essaie d’aller plus loin, j’ai toujours cette ambition de progresser et de me remettre en question.

NAM : Dans quelle mesure retrouve-t-on vos origines arméniennes dans vos romans ?
M. D. :
Les Arméniens sont cités dans trois de mes romans car je tenais à évoquer mon identité arménienne. On écrit toujours sur des failles, sur des traumatismes qui nous suivent de génération en génération comme si le phénomène de la création trouvait son inspiration dans ce terreau. Le traumatisme provoqué par le génocide et l’exil de mes ancêtres a contribué fortement à ma vocation de romancière.

NAM : D’après vous, existe-t-il une écriture « arménienne » ?
M. D. :
Ce qu’il y a d’arménien en moi et dans mon écriture, c’est la sensibilité et l’acharnement dans mon travail, ce côté « travailleur » et pugnace » des Arméniens. Être d’origine arménienne, c’est être conscient des autres et vigilant, comme un phare qui s’allume en cas de danger. Je pense que les Arméniens ont eu de tout temps un rôle de passeurs et de médiation entre les cultures.

NAM : En tant que Française d’origine arménienne, comment qualifiez-vous votre implication ?
M. D. :
J’essaie de m’impliquer pour l’Arménie à ma façon, avec les mots qui parfois peuvent être une arme redoutable pour dénoncer la barbarie. On n’a pas le droit de se taire. Écrire ce roman pendant la guerre de l’Artsakh m’a donné une autre force, car j’avais l’impression d’être accompagnée par mes ancêtres, qui me parlaient. n

Propos recueillis par Corinne Zarzavatdjian

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J’aime être en avance à un rendez-vous et attendre mon invité, pour découvrir sa façon de se mouvoir et de s’adresser aux autres. Il y a tellement de choses à dire. Marina Dédéyan arrive avec assurance, un pas volontaire, un port altier, le sourire aux lèvres comme une politesse affichée et une délicatesse à l’égard des autres. On a tout de suite envie d’être son amie. Elle s’assoit, commande un thé pendant que je parcours mes questions.
J’ai hâte de la découvrir. Il y a des familles de médecins, d’architectes ou encore d’artistes, chez les Dédéyan, on est passionné par les mots, la littérature et l’histoire et depuis plusieurs générations. Déjà à Smyrne en 1860, les Dédéyan fondaient une imprimerie et une maison d’édition qui traduira en arménien les plus grands chefs-d’œuvre de la littérature française et européenne, tels que Les trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas ou encore les Misérables et Ruy Blas de Victor Hugo. Ils permettront ainsi aux Arméniens de découvrir la France et ses génies littéraires. Ils iront même jusqu’à créer un dictionnaire car l’arménien littéraire n’existait pas encore. L’engouement profond pour ces romans donnera lieu à des vocations. Aujourd’hui, c’est une passion qui se transmet de père en fille !
Là où le crépuscule s’unit à l’aube écrit par Marina Dédéyan raconte avec une grande délicatesse une fresque familiale dans la Russie, à l’aube du XXe siècle. Marina Dédéyan nous offre un récit émouvant qui dévoile l’histoire de ses arrière-grands-parents maternels avec, en toile de fond, les tourments d’une vie chamboulée par la révolution russe. Un très beau roman. D’origine russe par sa mère et arménienne par son père, Marina est la fille de l’historien et arménologue Gérard Dédéyan.

Corinne Zarzavatdjian

La rédaction
Author: La rédaction

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