J8 mercredi 16 juin. Le suivi quotidien de la campagne par Séda Mavian, correspondante de NAM à Erevan

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Les rumeurs de corruption électorale mettant en cause les formations les plus « riches » et les plus représentatives de l’ancien régime, Arménie (Hayastan) de RK, J’ai l’Honneur (Pativ Ounèm) d’Artour Vanètsian (soutenu par SS) et Arménie Prospère (Bargavatj Hayastan) de Gaguik Tzaroukian, vont bon train. Trois faits mettant en cause chacune d’entre elles, ont d’ores et déjà été attestés, donnant lieu à l’ouverture d’une instruction judiciaire et à des mises en détention provisoire (rappelons qu’une réforme de la loi pénalise désormais la corruption et la violation électorales d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à sept ans).
Le 10 juin, Aramayis Aproyan, candidat à la députation sur la liste d’Arménie Prospère, a été arrêté et placé en détention provisoire pour avoir organisé l’achat du vote d’électeurs contre la livraison de paquets alimentaires.
Le 13 juin, l’ancien maire d’Armavir et candidat sur la liste Pativ Ounèm (J’ai l’Honneur) Roubèn Khlghatian, a été arrêté pour avoir préparé l’achat des voix d’au moins 147 électeurs d’Armavir en collaboration avec un habitant du village de Djanfida, lequel a également été écroué ainsi qu’une troisième personne, tandis que huit autres personnes sont suspectées dans cette affaire (le 14, Khlghatian a fait appel de la décision judiciaire de mise en détention provisoire). Cela concernerait une somme de 9 millions de dram, soit environ 14 500 euros.
Enfin, on a appris qu’à la veille de la venue, le 7 juin, de RK à Kapan, le directeur du centre culturel municipal, Viguèn Hovhannisian, a imposé à ses employés d’assister à la rencontre avec RK en précisant qu’il ne saurait y avoir d’exception. Selon Daniel Ioanissian, directeur de l’Union des citoyens informés (Irazèk kaghakatsinèri miavorum), une ONG spécialisée dans la défense et la propagation du civisme, « Viguen Hovhannisian et ses semblables seront traduits en justice, ainsi que tous les fonctionnaires qui se permettent de donner de semblables instructions à leurs subordonnés ».
Plus généralement, le pays bruit d’incessantes rumeurs au sujet des pressions exercées en amont par RK et son alliance Hayastan, sur les électeurs. J’ai moi-même été le témoin de la façon dont les promesses démagogiques de RK ou de de ceux qui agissent en son nom peuvent se déployer à l’échelle de tout un village (en l’occurrence Davit Bèk) lorsqu’on fait lui croire que RK, une fois élu, financera l’ensemble des projets économiques conçus par l’une des personnalités influentes du village (en l’occurrence par le commandant de la brigade d’autodéfense) pour le transformer sur le papier en un pôle de modernité et de développement (fermes, serres, énergie solaire, conductions d’eau, etc.). A Kadjaran, il n’est un mystère pour personne que le combinat de cuivre-molybdène, qui emploie plusieurs milliers de personnes et dont Vahé Hakobian, ancien préfet du Siounik et n°2 de la liste Hayastan, est membre du conseil d’administration, est un foyer de subversion électorale. Le 7 juin, lors du passage de RK dans la ville, les journalistes de Radio-Azatoutioun ont constaté que la grosse majorité des supporters venus l’écouter étaient les ouvriers et employés du combinat. Enfin, le nombre impressionnant des agences électorales de RK qui ont poussé sur le territoire comme des champignons en générant un volume important d’emplois intérimaires, constitue manifestement un cadeau électoral, même si rien n’y est opposable. Compte tenu de ces considérations, on peut estimer que l’élection constituera indéniablement un test du niveau de conscience morale et civique de la société. Jadis achetables pour quelques milliers de dram, les électeurs d’Arménie, délivrés depuis 2018 de la tentation monétaire, seront-ils rattrapés par les anciennes pratiques et les vieux démons, cèderont-ils au retour de la tentation de monnayer leurs voix pour régler, même occasionnellement, leurs indéniables problèmes matériels ? C’est ce que nous verrons.

Des propos scandaleux
« Le fils de pute » (J’ai l’Honneur, SS), « Notre Crimée » (J’ai l’Honneur, Vanètsian), « Brûler Pachinian » (Hayastan, une militante de la FRA), « couper les mains » et « aplatir sur l’asphalte » (Pacte Civil, NP) … Durant cette campagne, les expressions scandaleuses ne manquent pas. Revenons sur celle qui est la plus édifiante du point de vue politique.
Le 9 juin, ArtourVanètsian a été interviewé en Russie (que faisait-il en Russie en pleine campagne électorale ?) par un animateur connu, Vladimir Soloviov, qui lui demande : « A qui est la Crimée » (Tchey Krim ?). Vanètsian le reprend : « Notre Crimée », dit-il (Krim nach). Etonné et un brin ironique, le journaliste l’interroge : « Elle est arménienne ou russe ? » (armianski ili rousski ?). Et Vanètsian de répondre : « C’est la vôtre, évidemment »  (vièrnèyè vach). La raison pour laquelle ce bout de dialogue a fait scandale se passe d’explication. Il révèle en tous cas à quel point une part importante, pour ne pas dire majeure, de la classe politique arménienne est soumise à la Russie à un point que l’on a peine à imaginer, se comportant ni plus ni moins que comme des vassaux envers un seigneur, tout en dénonçant la vassalité dont ferait preuve, depuis la défaite, NP vis-à-vis de Poutine.

Un marteau
Hier, fidèles à la politique d’Arménie Lumineuse de prôner la civilité, la paix civile et la concorde, la députée Ani Samsonian a dénoncé sans le nommer, l’usage par NP depuis le 12 juin, d’un marteau censé matérialiser le passage de la révolution de velours à la révolution d’acier : « Non contents d’adopter une rhétorique agressive, les dirigeants politiques usent à présent d’instruments qui sont associés au fait de frapper, de battre, de détruire ; le marteau, par exemple. Demain on peut s’attendre à ce qu’ils exhibent une hache ! (…) C’est inacceptable ! Nous nous faisons tous les efforts possibles pour atténuer l’agressivité parmi la population mais dans le même temps, les dirigeants politiques se montrent de plus en plus explicites sur ce qu’ils feront s’ils accèdent au pouvoir ».
Hier encore et dans le même esprit, les candidats et militants du parti social-démocrate Décision du Citoyen (Kaghakatsou vorochoum) ont organisé une « aktsia » dans le but d’appeler à la paix civile, organisant un lâcher de colombes devant une église de Yèrèvan.

La palme de la démagogie
Le summum de la démagogie a été atteint hier par Tigrane Oulikhanian, (député, transfuge d’AP, président du parti Alliance, tête de liste de Notre Maison c’est l’Arménie/Mère Toune Hayastan’né), sur la chaîne télévisée Free News où il était interviewé. A la question de savoir pourquoi l’agression azérie subie par l’Arménie depuis le 12 mai sur son territoire national dans les régions du Guègharkounik et du Siounik n’a pas entraîné l’application des dispositions militaires prévues dans le traité d’alliance stratégique et militaire liant l’Arménie à la Russie et dans celles de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC)*, ni même une condamnation par ces dernières, Oulikhanian répond : « Je promets par la suite de dire pourquoi ça n’a pas eu lieu et ce que nous ferons, nous, si nous gagnons, pour que ça se fasse ». Au journaliste qui le presse d’en dire un peu plus, Oulikhanian explique tranquillement deux choses. D’une part qu’il est naturel que l’OTSC ne fonctionne pas puisque ses dispositions doivent être adoptées à l’unanimité (mais alors comment se fait-il que RK puis SS ont pu baser la sécurité de l’Arménie sur un système vicié à la base). D’autre part, que si le traité militaire arméno-russe ne fonctionne pas, c’est parce que NP, bourré de complexes, n’a pas avec Poutine le langage viril et le ton autoritaire qui conviennent, ajoutant : « On doit exiger de la Russie qu’elle intervienne, lui exprimer fermement nos exigences en faisant valoir à ses yeux le contrefort précieux que représente l’Arménie pour sa propre sécurité ». Oulikhanian, deuxième « homme fort » d’Arménie derrière RK ? Oulikhanian, l’homme puissant qui fera entendre raison à Poutine en roulant des mécaniques ? Le téléspectateur jubile mais le meilleur est pour la suite. « Si nos intérêts ne sont pas satisfaits par l’amitié arméno-russe, pas la peine, alors, d’avoir des relations avec elle ». Il le répète : si nous n’avons pas d’intérêt à avoir avec la Russie des relations privilégiées, alors ce n’est pas la peine d’avoir avec elle la moindre relation. Etonnement du journaliste : est-ce bien vous, Tigrane Oulikhanian, considéré comme très pro-russe au point d’avoir naguère défendu l’idée d’une intégration à la Fédération de Russie, qui vous exprimez ainsi, prêt à passer l’éponge avec dédain sur une amitié quasi bicentenaire ? Mais oui, répond Oulikhanian, c’est bien lui qui parle ainsi, parce qu’il place l’intérêt national au-dessus de toute considération. On remarquera cependant qu’il n’est pas question d’un changement d’alliance et de quitter l’OTSC, et que le journaliste ne cherchera pas à approfondir, s’en tenant à cette déclaration qu’il ne semble pas vraiment prendre au sérieux.
Pourquoi m’appesantir sur le cas précis d’Oulikhanian ? Parce que la campagne électorale actuelle, c’est aussi cela : un défilé de prosateurs plus démagogues les uns que les autres, multipliant des promesses plus grosses les unes que les autres, affirmant qu’ils pourront régler les problèmes de l’Arménie rapidement et facilement, expliquant qu’en fait ce n’est pas si compliqué que cela et que si NP n’y arrive pas, c’est parce que -outre le fait que son statut de vaincu le prive de toute autorité-, il n’est décidément pas doué et se comporte invariablement comme un ours mal léché.
Pour finir, et puisqu’il est ici question d’Oulikhanian et des relations arméno-russes dont j’ai traité dans la chronique d’hier, j’en profite pour revenir sur un point précis de son programme, où il évoque la nécessité de « changer le format » de la relation arméno-russe, que j’avais interprété comme la manifestation du dessein d’une plus grande intégration de l’Arménie à la Russie. Or hier Oulikhanian a donné à ce segment de phrase inscrit dans sa brochure, une autre explication : « Par là je veux dire une chose simple : le nouveau format dont je parle, c’est tout simplement la question de l’Artsakh. Je veux dire qu’il faut que la Russie aborde la question de l’Artsakh sous une forme nouvelle, qu’elle la reconnaisse comme elle a reconnu l’Adjarie et l’Ossétie du Sud ». Pourquoi ne pas avoir écrit les choses noires sur blanc au lieu d’énoncer une généralité que chacun peut comprendre comme il veut et qui n’engage à rien celui qui l’émet ?
*OTSC : alliance militaire régionale créée en octobre 2002, regroupant la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l’Arménie. On remarquera que l’adhésion arménienne s’est faite sous RK.

La marche triomphale de NP dans le Sud (mardi 15 juin)
Sissian Goris, Agara, Kapan … Hier, NP qui par deux fois dans les mois précédents avait été empêché de fouler le Siounik à sa guise à cause de groupes de manifestants conduits par les maires des villes de la région décidés à barrer l’entrée du « traître » dans une région considérée comme la citadelle de l’Arménie, a réalisé un parcours triomphal. Certes il était accompagné d’une foule imposante de supporters venus de toutes les régions d’Arménie, et nul ne sait à combien se monte le volume de la population locale qui se joignait à chaque fois au cortège; néanmoins la prestation fut impressionnante. Accompagné notamment de sa femme Anna Hakobian, d’Ararat Mirzoyan, d’Alain Simonian et de Lilith Makounts (respectivement président, vice-président de l’Assemblée Nationale et présidente du la fraction Mon Pas/Im Kayle à l’AN), NP a déambulé dans les rues des villes de Siounik envahies par ses supporters en martelant par porte-voix un discours simple et bien rodé, reproduit à l’identique dans chaque localité : « Chers Gorissètsi (habitants de Goris), nous vous saluons tous, nous vous aimons tous, nous sommes fiers de vous tous, nous nous inclinons devant vous tous, et nous vous demandons pardon pour toutes nos erreurs et manquements. Mais le message le plus important que nous vous transmettons aujourd’hui, c’est qu’il y a de l’avenir en Arménie « ». Et de lancer le slogan du parti : « Il y a de l’avenir ! » (Apaga ka !), repris en cœur par la foule : « De l’avenir il y a !» (Ka apaga!). En continuant comme suit : « Applaudissons les Gorissètsi qui sont aux balcons et derrière les fenêtres ! ». Applaudissements. « Aujourd’hui nous sommes venus de toutes les régions d’Arménie pour saluer votre courage et pour vous donner du courage (toukh talou) ! Le 20 juin, rendez-vous dans les bureaux de vote pour affirmer qu’en Arménie, il y a de l’avenir ! «. « Chers Gorissètsi, chers supporters … ! » … Par devant, des enfants groupies crient son nom et reprennent en chœur le slogan de leur voix juvénile.
Il y a des passages plus musclés, aussi, où le discours devient menaçant. Dans le viseur de NP : les fonctionnaires acquis à l’ancien régime, au premier rang desquels les maires du Siounik, dont on suppute qu’ils font activement pression sur leurs employés et leurs administrés pour promouvoir le vote anti-NP (et pro RK) : « Quant à ces nuls de fonctionnaires locaux*, je m’occuperai d’eux personnellement ! Je promets qu’après le 20 juin on les aplatira sur l’asphalte ! », et « Puisqu’ils ne comprennent que le langage de la force, c’est par la force qu’on leur répondra ! ».
* Je traduis par « nuls » le mot de « taptpouk » utilisé par NP, difficilement traduisible en français.

Au programme du jour
A J-4 de l’échéance, les 25 forces restées en lice dont 21 partis et 4 alliances, poursuivent leur course effrénée à la victoire. A l’agenda du jour, nous notons :
• Le Congress (LTP) rencontrera les jeunes à 16h dans un café de Yèrèvan (le Say Cheese)
• Hayastan (RK) sillonnera le Chirak (Artik, Maralik, Achotsk, Amassia) pour terminer à Gumri où il convie à un rassemblement à 19h.
• Arménie Souveraine (Davit Sanassarian) se rendra dans deux quartiers périphériques de Yèrèvan (Zeytoun à 11h puis Nor Nork à 18h).
• Arménie Lumineuse (Edmon Maroukian) restera pareillement à Yèrèvan, donnant rendez-vous aux électeurs et aux journalistes à Nor Nork.
• Le Pacte Civil (NP) remontera du Siounik, où il est resté hier soir, au Vayots Dzor (Gorayk, Djermouk, Vayk, Malichka, Yèghèknadzor, Arèni).
• Libre Patrie (Azat Hayrènik, Andréas Ghoukassian) sera dans l’Aragatzotn et le Lori, à Aparan, Spitak et Vanadzor. A 20h, Andréas Ghoukassian donnera une conférence de presse à Arabkir (Yèrèvan).
• Le Pôle social-démocrate (Sasna Tzrèr), se partagera entre le Guègharkounik (Tjambarak, Sèvan), le Kotayk (Hrazdan) et Yèrèvan (quartiers de Davtachèn, Nork Marach, Avan).
• Arménie Prospère (Gaguik Tzaroukian) sera dans le Lori (Vanadzor).
• La parti national-chrétien Zartonk (Ara Zohrabian et Vahagn Tchakhalian) convie à une conférence de presse à Yèrèvan (midi).

Aujourd’hui, cela fait dix jours que l’Arménie ressemble à une route à deux voies, qui ne cesse d’être empruntée du matin au soir dans les deux sens par des véhicules roulant à toute allure, se croisant sans arrêt et faisant halte aux mêmes relais (quoi qu’à des heures différentes), en laissant sur le bord des populations étourdies.
Sèda Mavian

La rédaction
Author: La rédaction

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