Alexandre del Valle, le lundi 19 mai 2008 à 04:00
Alors que Paris s’apprête, le 1er juillet, à présider l’UE pour six mois, que le dossier des frontières de l’Europe et de la candidature turque commence à diviser la majorité présidentielle, la commission des Affaires étrangères et le groupe UMP à l’Assemblée nationale veulent amender le projet de révision constitutionnelle conçu par le ministre des Affaires européennes, Jean-Pierre Jouyet.
Le texte vise à supprimer le verrou à l’adhésion turque que constituait l’obligation de référendum pour toute nouvelle adhésion. Il est vrai que le président Sarkozy, d’accord avec son homologue allemande Angela Merkel sur ce point, a réitéré son opposition à l’adhésion de la Turquie dans l’UE, « car elle n’est pas en Europe mais en Asie ». Mais cette position « élyséenne » n’est pas partagée par le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, ni par Jean-Pierre Jouyet. Ce dernier estime que « la France n’entend pas casser les négociations avec la Turquie » et que « la présidence française sera objective, impartiale et équilibrée vis-à-vis de la Turquie » en défendant « l’intérêt général des Vingt-sept » et non la position française.
Ne pas décevoir l’électorat turco-sceptique
Cet « intérêt des 27 », distinct de celui du Président, consisterait selon Jouyet, à laisser ouvertes deux « voies pour la Turquie » : l’adhésion ou un partenariat privilégié, option toutefois totalement exclue par Ankara et Bruxelles. Toute la difficulté pour Nicolas Sarkozy consistera par conséquent à ne pas décevoir l’électorat turco-sceptique, majoritaire en France, et qui a contribué à le faire élire, tout en ne désavouant pas la position pro-turque de ses ministres issus de la gauche qui plaident pour la poursuite des négociations avec la Turquie en vue de l’adhésion et donc l’ouverture de nouveaux chapitres de « l’acquis communautaire ». Cela alors que la Turquie occupe toujours l’île de Chypre et persiste à refuser de reconnaître la République chypriote et à ouvrir ses ports et aéroports aux pavillons chypriotes, en violation du droit international et de l’Union douanière européenne.
D’évidence, l’ambiguïté de la position française officielle sur la Turquie divise la majorité parlementaire, opposée à la suppression de l’obligation de référendum pour la ratification des nouvelles adhésions à l’UE. Craignant que le seul verrou institutionnel à l’adhésion turque ne disparaisse, trente députés UMP, conduits par Richard Mallié (UMP, Bouches-du-Rhône), ont ainsi exprimé leur crainte auprès de Nicolas Sarkozy le 6 mai dernier.
« Capacité d’absorption » de l’UE
Favorable à un « enrichissement » du texte constitutionnel, le président français semble avoir compris le message, puis avalisé l’amendement proposé par l’UMP, notamment par deux de ses fidèles : Frédéric Lefèvre, porte-parole du parti, qui veut rendre obligatoire un référendum pour les pays n’étant pas « géographiquement » en Europe ; et Patrick Devedjian, secrétaire général de l’UMP, pour qui un référendum devrait être obligatoire pour toute adhésion de pays « non européens ». Quant au député UMP des Bouches-du-Rhône Richard Mallié, chef de file des partisans du rejet de l’intégration turque, il préconise le maintien de l’obligation référendaire pour les pays dont la population est inférieure à 5 % de celle de l’Union. Une proposition voisine de celle de la droite libre (UMP), qui suggère un référendum pour toute adhésion de pays de plus de 50 millions d’habitants, restriction conforme aux « critères de Copenhague » qui conditionnent l’adhésion de nouveaux pays à la « capacité d’absorption » de l’UE. Or la Turquie, avec ses 70 millions d’habitants, serait dans vingt ans le plus peuplé des Etats de l’UE… Nul doute que la question de l’obligation référendaire concernant les nouvelles adhésions, mise en place sous la présidence Chirac, continuera de diviser la majorité. Il est clair que la suppression de ce verrou cher aux turco-sceptiques contredirait l’un des engagements majeurs du Président, et par conséquent une part de sa popularité au sein de l’UMP, dont nombre de militants ont déjà assez mal compris « l’ouverture » tous azimuts à gauche…
Alexandre del Valle est l’auteur du livre Le Dilemme turc ou les vrais enjeux de la candidature d’Ankara, Les Syrtes.
Edition France Soir du lundi 19 mai 2008 n°19800 page 17