La diaspora arménienne est-elle à la hauteur pour relever les challenges en Arménie?

Se Propager
arton110295

L’avènement de l’indépendance de l’Arménie il y a plus de trois décennies a-t-il bousculé la diaspora face à une situation nouvelle qu’il fallait intégrer dans son ADN diasporique communautaire ?

Car au-delà de l’effet de joie immense de cette indépendance de l’Arménie libérée du joug soviétique, les défis à relever étaient immenses tant pour les citoyens arméniens au premier chef, que les 7 à 8 millions d’Arméniens de la diaspora.

Il fallait relever les conséquences désastreuses du séisme meurtrier de décembre 1988 qui ravagea 40 % de l’Arménie. Il fallait faire face à la guerre de libération de l’Artsakh et son lot quotidien de drames et de joies de victoires. Il fallait faire relever le défi du chaos économique suite à la dislocation de l’ensemble de l’appareil économique et énergétique et freiner les départs massifs vers l’étranger. Il fallait intégrer rapidement la nouvelle carte politique dessinée à la faveur des mouvements d’indépendance.

Au-delà de tous ces challenges, il fallait tant pour les citoyens d’Arménie et surtout de la diaspora, avoir une nouvelle vision de l’Arménie et des changements immenses qui s’étaient produits en quelques mois avec cette indépendance arrivée comme une massue au-dessus des têtes de millions d’Arméniens. Une indépendance rêvée depuis plusieurs générations, mais qui surprit tout le monde par sa rapidité dans la réalité arménienne.
Cette nouvelle vision de la diaspora sur l’Arménie était le défi majeur, au-delà de l’aide humanitaire et économique.

Alors que les communautés arméniennes de la diaspora, nourries aux idéaux des partis politiques traditionnels arméniens avaient fait de l’indépendance de l’Arménie leur objectif majeur durant de nombreuses décennies, comment imaginer de nouveaux objectifs ? Comment rêver encore alors que le rêve s’est réalisé ? Et surtout, comment changer les réflexes crées durant de longues années face à la « libération » de l’Arménie soviétique qui était libérée ?

La solidarité face au séisme de 1988, l’aide matérielle, financière et quelquefois physique pour le soutien de la guerre de libération de l’Artsakh ont placé cette diaspora face à la réalité. Un défi qu’elle releva et fut à la hauteur de ses capacités, certes limités, mais réelles.
L’humanitaire a pris le pas sur l’investissement dans un pays hérité des réflexes soviétiques aux antipodes des réflexes des Arméniens de la diaspora habitués au libéralisme et à la loi des marchés et de la libre entreprise. L’aspect de l’investissement économique fut relevé que partiellement par les Arméniens de la diaspora, en raison de l’instabilité de l’Arménie, des risques encourus, de la corruption et surtout de la mentalité ambiante dans cette ex-république soviétique, même si c’est l’Arménie de nos cœurs…

Mais une diaspora qui n’est pas sur place en Arménie, peut difficilement contribuer à distance à ces défis économiques. Et malgré les investissements importants réalisés par nombre d’Arméniens de la diaspora, il convient de reconnaitre que ces investissements ne sont pas à la hauteur de l’espéré, ni même du potentiel réel de la diaspora. Une diaspora qui n’a pas toutes les garanties de sécurité pour ses investissements, même se la situation en Arménie et la législation ont progressivement permis de gagner la confiance pour ces Arméniens de l’étranger, désireux de « faire affaire » en Arménie, en enrichissant le pays, tout en s’enrichissant.

Car, il faut bien l’admettre, pour relever l’économie d’un pays, l’humanitaire reste insuffisant et que seules les lois économiques régissent la croissance d’un pays. Et sur cet aspect, la diaspora n’a pas utilisé tout son potentiel. Cette diaspora était-elle à la hauteur de cet immense challenge ? La question reste posée au regard du poids économique de cette diaspora dans le monde, et sa faible implication dans l’économie de l’Arménie où il est vrai que la transparence n’est pas toujours de mise, dissuadant bon nombre d’investisseurs.

La diaspora a également échoué dans sa participation à la vie politique de l’Arménie depuis l’indépendance. Les partis traditionnels qui vivaient en parallèle de l’Arménie soviétique avaient développé des logiques aux antipodes de régime soviétique en cours en Arménie. Le fossé étant immense. Il faut bien reconnaitre que cette vie des partis politiques en diaspora, était difficilement adaptable à la mentalité post-soviétique de l’Arménie fortement teintée de 70 ans de soviétisme.
Ces partis politiques dits « traditionnels » de la diaspora qui avaient assuré la force vive et réglé le dynamisme des communautés arméniennes se sont rapidement avérés inadaptés à la nouvelle République d’Arménie, troisième du nom si on considère l’Arménie soviétique comme une République arménienne.

Cette inadaptation des partis politiques arméniens de la diaspora à la mentalité politique en Arménie, fut largement stigmatisée et utilisée par le monde politique d’Arménie pour creuser davantage le fossé existant, afin d’écarter tout danger réel ou imaginaire d’immiscions. En un mot « aidez-nous économiquement, financièrement et par tous les moyens, mais ne vous occupez pas de notre vie politique interne ». Une phrase que nous entendons parfois en Arménie. Ainsi le retour des partis politiques arméniens de la diaspora en Arménie fut compromis, les partis locaux ne laissant que très peu de place à ceux enracinés en diaspora et qui désiraient revenir au pays.

Un challenge politique raté avant tout par la différence de pensées entre les citoyens d’Arménie et ceux de la diaspora. Comment imposer des idées venues d’ailleurs dans un pays qui est loin d’être un désert politique, où la vie politique est le reflet de la vie et des préoccupations quotidiennes des citoyens arméniens ?

Aussi, même si le défi d’un retour dans la vie politique d’Arménie fut un semi-échec pour les Arméniens de la diaspora, l’étendue des besoins de l’Arménie, permet à tout Arménien de la diaspora, de s’investir en Arménie, afin de combler une partie de ces besoins du pays.

Krikor Amirzayan

Krikor Amirzayan
Author: Krikor Amirzayan

Krikor Amirzayan est un caricaturiste et journaliste arménien. Ses œuvres – articles et caricatures – paraissent dans différents titres de la presse en Arménie et en diaspora. En France il est l'un des rédacteurs du site d'information www.armenews.com. Il est l'auteur de deux livres de caricatures L'Indépendance (Erevan, 1995) et Oh ! Arménie, Arménie ! (Erevan, 1999). Il vit à Valence (France). En 2002 l'Express l'a désigné parmi « Les 50 qui font bouger Valence » Krikor Amirzayan a réalisé de nombreuses expositions de ses caricatures. Krikor Amirzayan a été décoré de la Médaille d'or du ministère de la Diaspora de la République d'Arménie, médaille qui lui fut remise le 14 novembre 2014 à Bourg-lès-Valence par l'ambassadeur d'Arménie en France Viguén Tchitétchian1. En juillet 2017 il reçut le 1er Prix de la "Défense de la langue arménienne" à Erévan par le ministère arménien de la Diaspora

Autres opinions

Se connecter

S’inscrire

Réinitialiser le mot de passe

Veuillez saisir votre identifiant ou votre adresse e-mail. Un lien permettant de créer un nouveau mot de passe vous sera envoyé par e-mail.

Retour en haut