La « fraternité turque » et le début du grand jeu : que signifie la présence d’Erdogan à la parade de Bakou ?

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Le chroniqueur militaire de Spoutnik, Alexander Khrolenko, analyse le « sous-texte géopolitique » du défilé de Bakou et la symbolique de l’arrivée non accidentelle du chef de l’Etat turc à l’événement.

Date de publication : 11 décembre 2020

Le défilé militaire à Bakou le 10 décembre marque la victoire de l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh et le succès militaire régional de la Turquie. La présence du président turc Recep Tayyip Erdogan au défilé symbolise l’élargissement de la zone d’influence de l’OTAN dans le Caucase du Sud et la région de la mer Caspienne.
La préparation pour le défilé militaire commémorant la victoire dans le Haut-Karabakh est en cours à Bakou. Les célébrations auront lieu le 10 décembre avec la participation de plus de 3000 militaires et de quelque 150 pièces d’équipement militaire. Le défilé mettra également en vedette certains des trophées militaires capturés à l’ennemi « pendant la guerre patriotique ».
Le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev a ordonné l’instauration d’un jour de la Victoire en République d’Azerbaïdjan. Et les médias d’État traitent cette victoire comme un événement historique dans l’histoire nationale séculaire. Les notes de l’agence de presse d’Etat azerbaïdjanaise : « La présence du président turc Recep Tayyip Erdogan comme invité d’honneur au podium du défilé de la Victoire est une confirmation visible de la fraternité turque ».
Plus tôt, le ministre turc de la défense Hulusi Akar a évoqué la poursuite de l’aide à la formation des soldats azéris qui se traduirons aussi par des manœuvres conjointes. Et pourtant, l’aide fraternelle d’Ankara dans la confrontation armée avec la partie arménienne du conflit ne doit pas être trop idéalisée. La Turquie est membre de l’Alliance de l’Atlantique Nord, dont les principales tâches sont la projection de la force et le contrôle des ressources énergétiques sur la planète, et l’Azerbaïdjan possède beaucoup de pétrole et de gaz.

La Fraternité au combat
Après 44 jours de combats au Karabakh, l’Azerbaïdjan et l’Arménie, avec la médiation de la Russie, ont accepté un cessez-le-feu complet. Les soldats de la paix russes opèrent dans la région, aucun coup de feu n’est entendu, mais la stabilisation complète de la situation est encore loin.
En parallèle, un centre conjoint russo-turc est en cours de création en Azerbaïdjan pour suivre la situation au Karabakh. Des unités de démineurs turcs assistent leurs homologues azerbaïdjanais dans le déminage. Dans l’ensemble, l’influence militaire et politique de la Turquie dans le Caucase du Sud a nettement augmenté. Une tentative d’extension à l’Asie centrale est également possible.
Spoutnik a déjà fait état de la probabilité d’installation au Haut-Karabakh de combattants pro-turcs de Syrie, qui ont participé aux combats et ne se pressent pas de rentrer chez eux après un accord de paix. En outre, si le concept de politique étrangère turque de « deux pays – une nation » est vrai et ferme, alors la suite logique serait « deux pays – une armée » et un centre de commandement unifié.
Afin de protéger les intérêts économiques et politico-militaires du « grand frère » Erdogan dans la région, la partie azerbaïdjanaise n’est pas tenue de se conformer pleinement aux formalités légales d’adhésion à l’alliance. Peut-être, dans cette configuration de relations, l’Azerbaïdjan a-t-il déjà un pied dans l’OTAN.
Ankara cherche à faire revivre l’ancienne grandeur de l’Empire ottoman (une expansion inévitable qui n’a jusqu’à présent été contenue que par des ressources militaires limitées). Bruxelles et Washington peuvent-ils résister à la tentation de « diriger » l’armée azerbaïdjanaise indirectement (via Ankara) dans une région complexe et chaude ?

La pression économique
La Turquie a officiellement approuvé la déclaration tripartite sur le Karabakh le 9 novembre, mais elle est clairement déçue par le déploiement de l’opération de maintien de la paix russe. L’objectif ultime de reprendre le contrôle total du Karabakh n’a pas été atteint. Ankara est prête à envoyer des troupes en Azerbaïdjan, et cette option est inscrite dans la décision du Parlement turc pour l’avenir. Je crois que beaucoup de gens dans l’armée turque pensent que les militaires russes leur ont « volé » une victoire nette.
La publication américaine National Interest notes : « Les Azerbaïdjanais célèbrent le 10 novembre comme un jour de victoire sur l’Arménie dans la guerre du Karabakh. Mais lorsque le sentiment grisâtre de la victoire s’estompera, ils réaliseront que c’est le début de la fin de la véritable indépendance de l’Azerbaïdjan. Cependant, le « rêve néo-ottomane » d’Erdogan, heureusement pour les Azerbaïdjanais, a jusqu’à présent été brisé par l’économie.
Les opérations militaires en Syrie, en Libye, en Irak, en Méditerranée orientale et dans le Caucase du Sud sont coûteuses. La dette extérieure de la Turquie a atteint 421 milliards de dollars, dont 181 milliards doivent être remboursés dans un délai d’un an. Au cours des trois derniers mois, la livre turque a perdu 15% par rapport aux devises mondiales (25% depuis le début de l’année). Les exportations turques dues à l’épidémie de coronavirus au cours du premier semestre ont chuté de 26%. Les analystes occidentaux n’excluent pas que dans la situation économique difficile actuelle, Ankara exigera dès demain de Bakou une compensation pour l’aide militaire au Karabakh sous la forme de ressources énergétiques bon marché (et d’un « corridor vert » pour les biens de consommation turcs dans le pays).
Il y a là une contradiction stratégique cachée, car dans les « cinq années à venir », l’Azerbaïdjan doit, avant tout, restaurer et coloniser sept régions annexées (cela coûtera environ 10 milliards de dollars). Ce n’est pas un hasard si après le 9 novembre, les médias azerbaïdjanais mettent l’accent sur l’autosuffisance de l’armée nationale et l’indépendance de la victoire militaire de Bakou dans le Karabakh montagneux. D’autre part, les intérêts stratégiques de la Russie doivent être pris en compte. Le grand jeu dans le Caucase du Sud continue.

Traduit par S. Sarkissian

Benjamin Daniel
Author: Benjamin Daniel

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