« La guerre a des effets sur la fécondité, mais aussi sur les bébés in utero. »

Se Propager
arton90276

Santé Arménie, sous l’impulsion du docteur Patrick Alecian, organise un colloque exceptionnel le lundi 28 mars 2022 : « Les guerres contemporaines : détruire aujourd’hui pour effacer demain ». (*)

Patrick Alecian, psychiatre, pédopsychiatre, psychanalyste s’est investi depuis 1982 dans des travaux institutionnels en faveur des enfants et adolescents (Protection judiciaire de la Jeunesse, protection de l’enfance, Fondation santé des Etudiants) en plus d’avoir une activité clinique en cabinet. Il a contribué aux travaux de création des Maisons des Adolescents en administration centrale puis sur le territoire français. Son orientation clinique institutionnelle est surtout centrée sur les violences commises par et sur les mineurs, dans la perspective transgénérationnelle et les psycho traumatismes individuels, complexes.
Depuis les combats déclenchés par l’Azerbaïdjan contre la République d’Arménie il travaille avec Santé Arménie et ses collègues psychologues et psychiatres de France et de l’étranger à la prévention primaire et secondaire de la vicariance du psycho traumatisme de guerre.
A la demande du Recteur de l’Université d’Etat de médecine à Erevan, en lien avec l’Université de Paris-Est Créteil (UPEC), il œuvre à une organisation inter-universitaire franco-arménienne pour un enseignement clinique du développement de l’enfant et de l’adolescent, à la connaissance des troubles psychiatriques infanto-juvéniles ainsi qu’aux conséquences des psycho traumatismes de guerre.

NAM : Quelle est la genèse de ce colloque ? Pourquoi avoir choisi d’organiser un tel événement sur la thématique de l’identité post-traumatique ?
Patrick Alecian : Les troubles psycho traumatiques complexes se sont développés sur certains territoires de guerre dont l’Arménie et l’Artsakh sur des décennies. A côté des traumatismes individuels, un traumatisme collectif se met en place ou se renforce. Les transmissions transgénérationnelles sont impactées, la mémoire ne se construit pas de la même manière qu’après des circonstances traumatiques ponctuelles. L’éducation des enfants est perturbée gravement. Dans ce colloque nous posons la question à des experts à propos de ces différences. Les réponses seront précieuses pour conduire des réponses de santé publique auprès des populations concernées.

NAM : Le stress qui suit un traumatisme s’imprime dans le cerveau mais aussi dans le corps des victimes. Est-ce la différence entre ce qu’on appelle le psycho trauma et le poly traumas ?
PA : Les polytraumatisés sont impactés au niveau de plusieurs organes : viscères, squelette, système nerveux. Les psycho traumatismes existent soit dans ce cadre soit spécifiquement même sans blessure physique apparente.

NAM : Les différentes guerres et conflits qui ont eu lieux en Arménie et au Karabagh s’étendent sur une trentaine d’années, soit une génération. A ce titre, peut-on parler d’une génération sacrifiée ? Y a-t-il des conséquences sur les familles ?
PA : Ce ne sont pas différentes guerres bien qu’il y ait eu des phases de combats. C’est une seule œuvre de destruction en continu depuis 1987 qui intègre aussi des stratégies mentales de genèse d’effroi. Il s’agit d’exterminer, de faire fuir et d’effacer toutes traces de présence. Même les poussières ne doivent plus dire que des tombes ont existé.

NAM : Quelles sont les conséquences des guerres sur les femmes qui sont grand-mère, mère, sœur, fille ? Est-ce que cela peut entraîner des conséquences in-utéro pour les femmes enceintes et victimes des conflits ?
PA : Du point de vue de la psychanalyse et des observations cliniques, mais aussi les nouvelles découvertes de la médecine et de la psychologie : oui la guerre a des effets sur la fécondité, mais aussi sur les bébés in utero. La question est plus complexe quand il s’agit de territoires d’où l’on veut exterminer définitivement toute trace d’une population y compris jusqu’à l’idée même de l’extermination par les auteurs des massacres qui vont pratiquer dénis et démentis. Pour moi c’est une image, une « sculpture » que j’observe dans les entretiens de supervisions avec les psychologues : elles me parlent de femmes qui dans les années 1987 et suivantes ont perdu père, puis dans les années 2016 mari ou frère, et enfin récemment leur fils. Ces trois absents autour des femmes dans ces territoires sont le symbole, la métaphore tragiquement réelle de la volonté d’effacer l’extermination qui a été menée ici pendant 40 ans mais ailleurs aussi (Biafra par exemple).

NAM : On dit que le corps n’oublie rien. Généralement, il y a un « avant » et un « après ». Mais si nous prenons le cas de l’Arménie, quelles sont les conséquences sur l’être humain qui subit des traumatismes répétés de génération en génération ?
PA : Les hommes développent des troubles de leur relation au quotidien dans les gestes, la perception de leur corps et les liens sociaux. En Arménie, après les combats durant la guerre de 44 jours en 2020, se sont développés des conduites à risques par exemple dans la conduite automobile. Les suicides aussi se sont multipliés. Ce sont en fait des aggravations de comportements qui ont existé après les phases de combats précédentes.

NAM : Est-ce que les personnes traumatisées transmettent à leurs enfants, de façon inconsciente ou non, leurs traumatismes/douleurs ? Si oui, de quelle façon ?
PA : A mon sens les personnes traumatisées sont dans la transmission du traumatisme et non pas auteurs originaires. Un peu comme le bébé reçoit deux messages verbaux de sa maman : par l’intérieur du corps et par la voix qui revient au corps par les résonances extérieures. Les enfants sont impactés par la violence du traumatisme parce que dans la violence qui anime la source (agresseur), il y a une volonté d’extinction non seulement de la personne qu’elle veut abattre mais aussi tout ce qui la concerne. Par ailleurs, les parents impactés sont émetteurs de messages non verbaux qui intriguent les enfants : par exemple ne jamais parlé d’un disparu, ne jamais parlé de circonstances historiques ou contemporaines. On peut les comprendre mais voilà : l’enfant intrigué est déjà sous le coup d’un message à caractère dysphorique sur ces sujets-là : curiosité, excitation, anxiété.

NAM : Quelles sont les conséquences sur les civilisations de vivre et de subir des guerres dites de « nouvelles générations » qui utilisent des armes aux technologies surpuissantes parfois interdites ? Comme l’usage de drone.
PA : Les psychiatres des armées ont fait des rapprochements cliniques à propos des effets des combats de la première guerre 14-18 et la première guerre de l’ONU contre l’Irak où les stratégies de bombardements ont décidé de tous les effets de destruction. Les mutilations observées alors ont été comparées aux mutilations des soldats dans les tranchées de 14-18. La technologie a fait ses preuves de destruction. Dans la symbolique collective je l’appelle Technos, à savoir un avatar de la pulsion de mort. Il y a eu une affiche en Azerbaïdjan début 2021 qui montre un enfant d’une dizaine d’années qui contemple le Karabagh et en hauteur un drone. Dessin aux allures angéliques qui montre comment on transmet la pulsion de destruction.

NAM : Pour tenter de sortir de cette spirale traumatique, libérer la parole par la thérapie suffit-elle ? Peut-on soigner par d’autres types de thérapies (Yoga, EMDR, etc.) ?
PA : Les nouvelles techniques apportent beaucoup pour la phase aigüe, l’EMDR par exemple. Mais sur le long terme ce sont les psychothérapies avec des investissements interpersonnels importants, ou encore en groupe ou encore en thérapies multifamiliales qui sont les plus efficaces. Aves les enfants les médiations artistiques sont importantes aussi : arts plastiques, musiques, jeux vidéo impliquant les soignants adultes comme partenaires. J’attends aussi de lire des résultats de l’utilisation de thérapies virtuelles à visées cognitives et comportementales, très recherchées dans les pays de l’Est. Il faut aussi éviter de trop en faire quand des améliorations spontanées surviennent. Cependant la population d’Arménie de ces jeunes soldats, futurs vétérans est à haut risque d’évolution, si on les réfère à l’évolution des vétérans de l’armée américaine revenus d’Afghanistan ou d’Irak. L’Arménie n’a pas le choix : elle doit adopter une politique de Santé Publique pour les 40 prochaines années centrée sur les psychos traumatisme qu’il soit individuel ou collectif. Elle doit passer devant toutes les autres priorités. Celles-ci ne seront efficaces qu’articulées secondairement au psycho traumatisme. Une politique prudente doit aussi intégrer dans les priorités tout ce qui relatif à la périnatalité et l’enfance en termes de traitement prévention des effets destructeurs de cette guerre de 35 ans qui, encore une fois, doit être comprise comme un des souffles les plus violents qui se soit abattue sur une population.

Propos recueillis par Delphine Muron

(*)
RDV : lundi 28mars janvier 2022 de 17h00 à 20h00
Adresse : Salle Colbert | 126, rue de l’Université –75007 Paris

Programme :

16h00 – Point presse – Sur accréditation obligatoire auprès de Nadia-Maro Deghirmendjian : +33 (0) 6 74 53 66 15 | presse@mgdallevents.com en présence de :
Professeur Charles Gheorghiev, Chef du service de psychiatrie, hôpital d’instruction des armées Sainte-Anne (Toulon)
Arsène Mekinian, Professeur de Médecine Interne à l’hôpital Saint-Antoine à AP-HP, spécialiste de maladies auto-immunes rares. Président de Santé Arménie

17h00 – Ouverture du colloque par le Président de Santé Arménie, Professeur Arsène Mekinian

La coopération entre l’Université de Paris Est Créteil (UPEC) et la Yerevan State Medical University (YMSU), Monsieur le Doyen de l’UPEC, le Professeur Pierre Volkenstein, Créteil

27 septembre 2020 : les conséquences des destructions des guerres contemporaines : de la clinique aux questions anthropologiques, Dr. Patrick Alecian, psychiatre, pédopsychiatre, psychanalyste (SPP), Paris

Les soins de réhabilitation fonctionnelle aux soldats polytraumatisés : corps et mémoire
Dr. Kariné Chahbazian, neurologue, PH, SSR neurologique-neurochirurgical hôpital de Bicêtre, Univ. Paris Saclay
Discutante : Mme Anahit Dasseux Ter Mesropian, psychologue, psychanalyste, HIA Percy, Clamart

Qu’est-ce qui fait trace dans le trauma ?
Professeur Charles Gheorghiev, Chef du service de psychiatrie, HIA Sainte-Anne, Toulon
Discutante : Dr. Claire Granier, psychiatre, responsable Centre Ressources Soins du psychotraumatisme, GH Paul Guiraud à Villejuif ; Institut de recherche biomédicale des Armées (IRBA)

Développement de l’enfant : entre adversité et trauma, mémoire individuelle et collective
Professeur J.M. Baleyte, pédopsychiatre, Professeur d’université et praticien hospitalier, CHI de Créteil, UPEC
Discutant : Dr. Sevan Minassian, psychiatre, pédopsychiatre, Maison des adolescents de Cochin Port-Royal

19h40 – Conclusion du colloque par le Dr. Patrick Alecian

Inscription obligatoire : contact@santearmenie.org (public)
Présentation d’une pièce d’identité, pass sanitaire et port du masque obligatoires

capucine
Author: capucine

La rédaction vous conseille

A lire aussi

Sous la Présidence d’Honneur de M. Nicolas DARAGON, Maire de Valence, Président de l’Agglomération, Vice-Président de La Région, L’UGAB Valence-Agglomération

Le ministère des Affaires étrangères de l’Azerbaïdjan a de nouveau accusé l’Arménie de ne pas avoir fourni de cartes des

Lors de la séance plénière de l’Assemblée nationale de la semaine prochaine, l’opposition parlementaire, les factions « Hayastan » (Arménie)»

a découvrir

Se connecter

S’inscrire

Réinitialiser le mot de passe

Veuillez saisir votre identifiant ou votre adresse e-mail. Un lien permettant de créer un nouveau mot de passe vous sera envoyé par e-mail.

Retour en haut