La laïcité en Turquie sert à l’oppression

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Info Collectif VAN – www.collectifvan.org – L’avocat et chroniqueur turc Orhan Kemal Cengiz nous habitue à ses analyses incisives de la Turquie. Il n’hésite pas à pointer les a priori des Occidentaux également : « Avec la République de Turquie nous avons instauré un Etat nation, mais est-ce un progrès comparé à un empire qui était multiethnique et où vivaient de multiples nationalités ? L’erreur fondamentale que font les Occidentaux est de penser que l’Empire ottoman était un Etat régi par une loi religieuse, la charia ! Rien ne pourrait être plus faux que cela. (…) La laïcité en Turquie n’a jamais été un instrument de libéralisation; au contraire, elle est devenue un instrument d’oppression entre les mains des élites kémalistes ». Le Collectif VAN vous livre la traduction de cette analyse de Orhan Kemal Cengiz.

Les kémalistes occidentaux ne comprennent pas la Turquie !

Samedi 8 décembre 2007

Orhan Kemal Cengiz

Il y a quelques années, j’ai vécu une expérience qu’un kémaliste turc aurait adorée ! J’ai été invité par un collègue britannique (un avocat) à dîner chez lui. C’était une personne très férue d’histoire et qui s’intéressait beaucoup à la Turquie. Notre conversation fut très agréable au début, mais après un certain temps, l’atmosphère s’est tendue. Puisque que nous parlions de l’histoire de la Turquie, nous avons inévitablement abordé le sujet du kémalisme et de son effet sur la Turquie. J’ai dit : « Je pense que de nombreux problèmes auxquels nous sommes confrontés en Turquie aujourd’hui, prennent racine dans le processus de fondation de la République Turque ». J’ai senti que mes commentaires sur le kémalisme rendaient mon collègue mal à l’aise, et à la fin de la soirée il était fâché et il a crié, « Tu ne comprends pas Atatürk, Orhan ! » Cette nuit-là, j’ai compris que l’Atatürkisme et le Kémalisme ont beaucoup de partisans non seulement à l’intérieur des frontières de la Turquie, mais dans les pays occidentaux aussi, et que certains partisans étaient de vrais fans d’Atatürk et de la “révolution” que lui et ses amis avaient introduite dans notre pays. Le temps a passé, mais j’ai compris que ce dont j’avais été témoin cette nuit-là, il y a 10 ans à Londres, n’était pas un incident isolé et que de nombreux Occidentaux voyaient, à un certain degré, la Turquie et le rôle d’Atatürk de façon similaire.

Les kémalistes turcs aimeront sans doute cette histoire, car ils y trouveront peut-être l’affirmation de leur compréhension de la “révolution”. Cependant, pour moi, cette attitude occidentale est assez révélatrice quand on analyse pourquoi tant d’Occidentaux ont aussi grossièrement échoué à comprendre la Turquie. Les Occidentaux se méprennent fondamentalement sur le rôle d’Atatürk et de la révolution kémaliste, car ils présupposent de l’existence de certains faits qui n’existaient pas dans ce pays.

De fausses présomptions…

Tout d’abord, ils présupposent que la Turquie avant Atatürk était un pays arriéré régi par la loi islamique. Ensuite, et c’est également faux, les Occidentaux pensent que la République de Turquie était un Etat totalement nouveau, qui n’avait rien à voir avec l’Empire ottoman. Ils pensent en fait, que c’était un Etat archaïque avec un système politique archaïque, et que les kémalistes ont aboli ce système et l’ont remplacé par un nouveau système qui s’alignait sur les valeurs occidentales. Si vos présomptions sont fausses, vos idées et théories basées sur ces présomptions sont inévitablement défectueuses. Examinons la première. Sur la base de quelle critère pouvons-nous affirmer que l’Empire ottoman avait un système arriéré par rapport à la république nouvellement fondée ? Avec la République de Turquie nous avons instauré un Etat nation, mais est-ce un progrès comparé à un empire qui était multiethnique et où vivaient de multiples nationalités ? L’erreur fondamentale que font les Occidentaux dans cette analyse est de penser que l’Empire ottoman était un Etat régi par une loi religieuse, la charia !

Rien ne pourrait être plus faux que cela !

Il n’y a pas un seul exemple, dans toute l’histoire ottomane, du Sultan ne pouvant justifier une seule action sans avoir eu le soutien du Şeyhülislam, le plus haut responsable religieux. Pour les Ottomans, l’Etat était le concept premier et le plus important, et tout le reste était au service de l’Etat et de ses intérêts présumés, y compris la religion. Les sultans ottomans réussissaient très bien à couvrir toutes leurs actions par la religion. Ils avaient même l’approbation des autorités religieuses pour les crimes abominables qu’ils commettaient tels que le massacres de leurs frères, et qui, manifestement, ne peuvent en aucun cas être justifiés par le Coran, le livre sacré des musulmans.

Alors, et en ce sens, l’Islam n’a jamais régi le système ottoman, au contraire, l’Islam et la religion ont été utilisés par l’élite dirigeante ottomane comme un moyen fort de légitimation. De même, pour le système juridique, les lois islamiques étaient confinées au domaine de la loi privée. Dans ce contexte, nous devons comprendre que la “laïcité” fortement soutenue par la nouvelle république, n’était pas un outil pour abolir la “Charia”, mais c’était un rouage dans sa tentative de “création” d’un Etat nation ! L’Empire ottoman régissait ses relations avec ses citoyens par le biais de congrégations (y compris des congrégations non musulmanes) auxquelles appartenaient les citoyens. La laïcité turque a servi deux desseins. Premièrement, elle a brisé la puissance du Sultan ottoman qui était censé être le Calife, le leader religieux des musulmans. Deuxièmement, la république a mis fin à la structure ottomane multi-ethnique, multi religieuse en détruisant les relations entre l’Etat et les congrégations (y compris celles non musulmanes).

De fait, si vous regardez l’histoire de la République de Turquie, vous observerez clairement que l’Etat turc prend le rôle de “l’athéiste” quand il faut traiter avec les citoyens musulmans et le rôle du “musulman sunnite” quand il s’agit de citoyens non musulmans et d’Alévis. La laïcité en Turquie n’a jamais été un instrument de libéralisation; au contraire, elle est devenue un instrument d’oppression entre les mains des élites kémalistes… “Les Kémalistes occidentaux” ne tiennent pas compte des particularités de la Turquie, et ils essaient de la comprendre d’un point de vue orientaliste étant donné les idées fausses qu’ils ont sur l’Etat ottoman et la vie politique à cette époque. L’Empire ottoman n’était pas un Etat islamique arriéré. Sa vision impériale était bien plus ouverte que celle de la nation turque d’aujourd’hui. C’était une mosaïque de diversité religieuse et ethnique. 80 ans après l’instauration de la République, il est vraiment difficile de dire qu’en terme de mentalité, nous sommes plus avancés que les Ottomans.

L’autre point que j’aimerais mentionner, c’est que bien des choses qui existent aujourd’hui viennent de l’époque ottomane, comme par exemple, cette maladie qui a émergé dans les dernières décennies de l’Empire, la mentalité Unioniste (Ittihat ve Terakki ou “Union et Progrès”), qui est toujours très vivace et qui continue d’affecter profondément nos vies.

Par conséquence, les kémalistes occidentaux ne seront pas capables de comprendre la Turquie d’aujourd’hui, à moins qu’ils ne se débarrassent des stéréotypes orientalistes, savoir, que l’Empire ottoman était un système arriéré et que la République est un système hautement civilisé. Il n’y a rien de tel; nous avons réussi à conserver toutes les misérables habitudes politiques de l’Empire, et nous avons délaissé sa richesse. C’est ce dont nous souffrons aujourd’hui…

* L’auteur peut être contacté à orhan.kemal@tdn.com.tr

©Traduction C.Gardon pour le Collectif VAN – 20 décembre 2007 – 11:53 – www.collectifvan.org

raffi
Author: raffi

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