La question des « prisonniers politiques », par Ara Toranian

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La problématique des libertés a été mise au centre du débat public arménien par M. Armen Roustamian, dirigeant de la FRA, qui a déclaré récemment qu’il n’y avait plus de prisonniers politiques en Arménie depuis la fin du régime de Ter Petrossian. Ces propos, qui interviennent dans le contexte de l’entrée de son organisation dans le gouvernement, résultent-ils d’un excès de zèle à l’égard de ses nouveaux partenaires ou, déjà, de l’euphorie du pouvoir ? Ils jettent en tout cas le doute sur la validité de l’argumentaire qui justifie la collaboration du Dachnagstounioun avec les autorités par la nécessité de « changer les choses de l’intérieur », notamment en matière de démocratie. Une intention louable, paraissant cependant mal engagée si l’on en juge par cette déclaration qui pose la question de savoir lequel, du pouvoir ou de la FRA, commence déjà à déteindre sur l’autre ?

Car, hélas, il y a bien eu depuis la fin du régime Ter Petrossian des prisonniers politiques en Arménie. À tel point que Serge Sarkissian a procédé en mai 2009 a une grande amnistie qui a débouché sur la libération d’une cinquantaine d’entre eux, la plupart arrêtés à la suite des manifestations du 1er mars 2008. Cette initiative avait d’ailleurs été saluée à l’époque par le représentant du Parti Dachnak Artsvik Minassian. Idem en 2011, à l’occasion des 20 ans de l’indépendance, quand une nouvelle grâce présidentielle avait permis au reliquat de prisonniers politiques, dont un certain Nigol Pachinian, d’être élargie. Une mesure qui avait incité Lévon Ter Petrossian, beau joueur, à déclarer fin mai 2011 lors d’un meeting à Hrazdan, que « l’époque où l’Arménie comptait des prisonniers politiques est révolue ».

Cette période n’a été que de courte durée puisque depuis, malheureusement, des nouveaux détenus ont pris la place des anciens. Ils sont, convenons-en, très peu nombreux. Mais un seul serait déjà de trop. On citera tout de même pour mémoire Chant Haroutounian, condamné en 2014 à une sanction disproportionnée de 7 ans de réclusion, à la suite d’une manifestation ridicule au cours de laquelle une trentaine de pieds nickelés prétendaient « faire la révolution », en marchant sur le Palais présidentiel armés de bâtons et de pétards. Une farce pathétique qui a coûté à quelques-un de ses participants des peines allant de 4 à 6 ans de prison.

Il faut citer également Volodia Avedissian, un ancien colonel qui avait organisé une fronde en 2013 pour obtenir l’augmentation des retraites des vétérans de la guerre du Haut Karabagh. Il avait été arrêté au plus fort de son mouvement de protestation, après une accusation opportune de pot de vin portant sur un montant de 2000 dollars et condamné pour cela à 6 ans de réclusion. En Arménie, on ne badine pas avec la corruption…

Il y a aussi l’affaire Guévorg Safarian, militant bien connu de l’opposition radicale en détention provisoire depuis la nuit du réveillon pour des violences à agents, là encore très contestées. On pourrait également évoquer les cas de Vartkes Gaspari qui lutte contre le régime en s’allongeant à toute occasion sur la chaussée – il a été heureusement libéré au bout d’un mois d’incarcération – ou encore, dans une certaine mesure, Vardan Petrossian, humoriste corrosif à l’égard du gouvernement, qui paie très cher un accident de la route ayant fait, il est vrai, deux victimes. Aurait-il cependant subi le même sort s’il avait été un protégé du pouvoir ?

On peut toujours objecter que tous ces gens très impliqués dans l’opposition ne sont pas des prisonniers politiques pour autant, aucun n’ayant été poursuivis pour ses opinions. Mais ne jouons pas sur les mots. Car à ce compte-là, toutes choses égales par ailleurs, il n’y aurait pas non plus de prisonniers politiques en Azerbaïdjan, mais des droits communs condamnés pour « espionnage » comme Leïla Yunus (aujourd’hui en «liberté»), ou « escroquerie » et « fraude fiscale », comme c’est le cas de la journaliste Khadija Ismayilova. Le propre des persécutions politiques est ne jamais dire leurs noms, sauf peut être en ce moment en Turquie où Monsieur Erdogan ne se donne même plus la peine de sauver les apparences…

On pourrait également évoquer, en ce qui concerne l’Arménie, la question des « non-prisonniers politiques », à propos de certains personnages puissants dont la violence du comportement a défrayé la chronique et qui ne doivent leur impunité qu’à leur proximité avec le régime. Et ce, sans parler de la délinquance en col blanc, économique ou fiscale, qui semble faire l’objet d’une répression à géométrie variable… Ce en quoi, même si ça n’excuse rien, le pays ne constitue pas une exception…

L’Arménie n’est certes pas une dictature, loin s’en faut, même si le pouvoir tend à se succéder à lui-même à chaque échéance électorale par des moyens discutables et discutés. Dans ce domaine, les carences en matière d’alternance incombent au moins autant à l’incurie de l’opposition et au manque de crédibilité de ses représentants qu’aux fraudes imputées aux autorités. Pour autant, ce n’est pas en niant les dysfonctionnements démocratiques de cet État qu’on « améliorera les choses de l’intérieur » ou de l’extérieur… Mais au contraire en les pointant, en les reconnaissant et en œuvrant pour des changements positifs. Cela va de soi. Mais peut-être est-ce encore mieux, parfois, en le disant.

Ara Toranian

La rédaction
Author: La rédaction

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