La Realpolitik du Pape

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Comment ne pas être choqué par l’attitude du pape qui s’est gardé de nommer le génocide arménien lors de la visite du Catholicos Karékine II au Vatican, le 6 mai dernier ? Evoquant indirectement cette tragédie, Benoît XVI a parlé des « Arméniens chrétiens qui au début du XXe siècle, ont enduré de cruelles persécutions ». Il a également fait mention de « l’histoire récente de l’Eglise apostolique arménienne » qui s’est « écrite avec les couleurs contrastées de la persécution et du martyre, de l’ombre et de l’espoir, de l’humiliation et de la renaissance spirituelle ». Mais cette commisération calculée, n’a pas été jusqu’à répondre à la demande morale formulée par le patriarche de l’église apostolique. Karekine II avait en effet émis le voeux, devant son homologue romain, que « toutes les nations condamnent universellement le génocide des Arméniens, pour que ceux qui détiennent le pouvoir et l’autorité déterminent la responsabilité de ces crimes ».

Ce non-engagement du Pape, ce manque d’empathie teinté de Realpolitik, s’inscrit dans le droit fil de son silence sur ce même sujet lors de son voyage en Turquie à la fin 2006. Soucieux de calmer le monde musulman après ses propos inconséquents contre l’Islam proférés quelques mois plus tôt, Benoit XVI avait multiplié les amabilités pour complaire à ses hôtes : il avait été prier comme un musulman à la Mosquée Bleue d’Istanbul, il s’était prononcé en faveur de l’entrée de la Turquie en Europe et bien sûr, il ne s’était permis aucune allusion sur le génocide des Arméniens. Bref, il avait appliqué une scrupuleuse politique de la génuflexion, en caressant la joue de l’Etat turc et en taisant tout ce qu’il ne veut pas entendre. Serait-ce donc là le nouveau message du Vatican ? Sacrifier les opprimés sur l’autel de la bienséance diplomatique qui en l’occurrence se conjugue avec les intérêts du plus fort ?

On brocarde à juste titre le cynisme d’un Bush, qui utilise des périphrases en lieu et place du mot génocide pour ne pas contrarier Ankara. Mais du moins les Etats-Unis, même s’ils aiment à prodiguer des leçons de morales, ne prétendent-ils pas marcher sur les pas du Christ… De la même manière, on s’attriste de l’attitude d’Israël, qui eu égard à l’histoire du peuple juif, se devrait de reconnaître le génocide des Arméniens. Mais du moins son silence peut-il s’expliquer par les considérations stratégiques afférentes à un état de guerre quasi permanent.

Mais qu’est-ce qui pourrait bien justifier la pantalonnade morale de Benoit XVI sur ce sujet ? Les intérêts de l’Union européenne, qui a ouvert le processus en vue de l’adhésion d’Ankara ? Le pape serait-il ainsi devenu son petit télégraphiste religieux, à l’instar de ce qu’on été en leur temps les chefs moscovites de l’Orthodoxie pour la diplomatie soviétique? Ou bien serait-il guidé par d’autres forces, plus obscures? D’origine allemande, l’ancien cardinal Joseph Ratzinger, n’est-il pas pourtant fondé à connaitre mieux que tout autre l’importance du devoir de mémoire? De surcroit, l’implication de son pays auprès de la Turquie au moment du crime ne justifierait-elle pas, d’un point de vue chrétien, une dénonciation encore plus claire? On ne comprend pas, on se perd en conjectures. D’autant plus que son attitude s’inscrit en faux par rapport à celle de son prédécesseur qui avait signé en 2000, au cours d’une visite de Karekine II à Rome, une déclaration dénonçant le génocide des Arméniens. Un geste suivi un an plus tard par une cérémonie oecuménique au mémorial de Dzidzernakapert, dans l’enceinte duquel Jean-Paul II avait une nouvelle fois évoqué « l’extermination d’un million et demi de chrétiens arméniens » et «le premier génocide du XXe siècle ».

Plus encore qu’une marque de froideur à l’égard de cette tragédie, plus qu’une injustice vis-à-vis de ses martyrs, cette attitude du pape constitue un véritable recul en matière d’éthique politique. Elle est d’autant plus choquante qu’elle intervient après que vingt pays séculiers ont eux choisi la morale plutôt que leurs intérêts d’Etat, en reconnaissant le génocide des Arméniens.

Si le pape, au lieu d’incarner le bon exemple, montre son contraire, on ne sait vraiment plus à quel saint se vouer. Et l’on souffre pour le monde catholique dans son ensemble, et plus particulièrement encore pour sa partie arménienne, qui a plus que jamais besoin, en ces moments de doute, de la plus grande compassion.

Ara Toranian

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Author: raffi

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