La tension croissante entre la France et l’Azerbaïdjan freine le processus de paix avec l’Arménie

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Ce point de vue pro-Bakou a été publié par Seymur Mammadov le 19 mars 2024 sur BneIntellinews.com. Basé à Bakou, l’auteur est directeur du club d’experts internationaux EurAsiaAz et rédacteur en chef de l’agence de presse azerbaïdjanaise Vzglyad.az.

Les tensions entre Bakou et Paris ont augmenté depuis l’invasion par l’Azerbaïdjan de la région contestée du Haut-Karabagh en septembre dernier.

Bien que les relations entre la France et l’Azerbaïdjan aient connu des périodes chaudes, elles se sont rapidement détériorées en raison des changements tectoniques de la situation géopolitique et il n’y a guère de raisons d’être optimiste quant à une résolution rapide des problèmes existants. La France abrite une importante diaspora arménienne ce qui en fait un allié naturel d’Erevan.

Il n’en était pas ainsi auparavant. Avant la deuxième guerre du Karabakh en 2020, les deux parties ont fait preuve d’une coopération active et mutuellement bénéfique. Les entreprises françaises ont investi 2,2 milliards de dollars dans l’économie azerbaïdjanaise entre 1995 et 2019, dont 2 milliards de dollars dans le secteur pétrolier et 194,1 millions de dollars dans l’industrie non pétrolière. À l’inverse, l’Azerbaïdjan a investi 2,6 milliards de dollars dans l’économie française.

Plus de 50 entreprises françaises opèrent en Azerbaïdjan, dans des secteurs tels que l’énergie, l’industrie, les transports, l’aérospatiale, le commerce, les services et le secteur agricole. Les entreprises françaises ont participé en tant que contractants à 34 projets financés par le budget de l’État azerbaïdjanais, pour une valeur totale de 6,2 Md$. En 2019, les échanges commerciaux entre les deux pays ont augmenté de 53 %, l’Azerbaïdjan représentant plus de 62 % du volume des échanges commerciaux de la France avec les pays du Caucase du Sud. Les deux parties considèrent cette coopération comme stratégique. Il est important de noter que même après la guerre de 44 jours, la coopération entre les deux États s’est poursuivie, comme en témoigne la multiplication par 57 des exportations azerbaïdjanaises vers la France au premier semestre 2023.

Les nouvelles tensions sont dues à la montée de considérations politiques qui ont éclipsé les liens économiques. L’influence du puissant lobby arménien de France, qui exerce une influence significative sur l’establishment français, en particulier lorsque les intérêts arméniens s’alignent sur les plans de Paris, a également joué un rôle clé.

En outre, la France prend des mesures indépendantes concernant le Caucase du Sud, alors que le président français Emmanuel Macron tente de renforcer son rôle de leader européen de premier plan et d’éviter la collaboration avec les États-Unis et le Royaume-Uni, qui ont traditionnellement été actifs dans la région. Cette stratégie vise à renforcer l’influence française dans la région, afin de contrer le rôle traditionnel de la Russie en tant que force politique dominante dans le Caucase.

Les politiques de Macron illustrent l’aspiration de la France à contrecarrer les efforts anglo-américains de normalisation des relations entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, en particulier après que le rôle de Paris dans la région a été dévalorisé ces dernières années. La France tente activement d’empêcher l’Arménie de passer de la sphère d’influence russe à la sphère d’influence américaine – avec un certain succès.

L’Azerbaïdjan entretient traditionnellement des relations diplomatiques stables et ouvertes avec le Royaume-Uni. Dans le même temps, les relations avec les États-Unis sont caractérisées par une compréhension mutuelle, ce qui contribue à maintenir un équilibre dans les relations internationales, indépendamment des événements actuels. Dans le contexte de la politique internationale, la stratégie de la France visant à écarter l’influence anglo-saxonne du dialogue de politique étrangère de l’Azerbaïdjan semble irréalisable, surtout si l’on considère la situation qui s’est développée entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie.

Après le conflit de 44 jours entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, la position relativement équilibrée de la France dans ses relations avec la région a évolué de manière spectaculaire vers un soutien manifeste à l’Arménie et une détérioration des relations avec l’Azerbaïdjan. Jusqu’à présent, Bakou a réagi avec retenue à ce qu’il considère comme une position de plus en plus ouvertement agressive de la part de la France.

Cependant, Bakou s’est défendu et a joué sur la question sensible du passé néocolonialiste de la France en Afrique, en utilisant sa position et son influence au sein du mouvement des non-alignés comme point de départ. Aujourd’hui, Paris accuse Bakou de provoquer des troubles dans l' »Afrique française », ce qui irrite et inquiète sérieusement la partie française, car la Russie a suscité des émotions similaires dans le cadre de sa concurrence avec la France pour forger des liens plus étroits avec les pays d’Afrique. Paris a commencé à soupçonner Bakou et Moscou d’agir ensemble et de coordonner leurs commentaires, selon des articles parus dans la presse française, bien qu’il y ait peu de preuves concrètes à l’appui de ce point de vue.

La position officielle de Bakou est simplement de poursuivre l’établissement de la paix dans la région et la revitalisation de ses territoires récemment libérés. En outre, il existe un problème non résolu entre la Russie et l’Azerbaïdjan concernant la présence des forces russes de maintien de la paix. Selon Bakou, la présence des forces de maintien de la paix devient de plus en plus superflue maintenant que Bakou contrôle entièrement l’enclave du Haut-Karabakh et après le départ des forces arméniennes.

Le séjour des forces de maintien de la paix russes expire en 2025 et Bakou s’opposera à sa prolongation ; les négociations ont très certainement déjà commencé.

Des liens militaires de plus en plus étroits

En 2023, la France a alloué à l’Arménie une aide humanitaire d’un montant de 29 millions d’euros. En décembre de la même année, la France a également annoncé une aide d’urgence supplémentaire de 15 millions d’euros pour soutenir les Arméniens contraints de quitter le Karabakh. Cependant, la France a également conclu divers accords de fourniture d’équipements militaires avec Erevan, avec la participation de pays tiers, dont l’Inde et la Grèce, à la suite de visites de hauts responsables militaires de ces pays à Erevan.

La France a également fait pression pour que davantage d’aide soit envoyée à la région dans son ensemble afin de contrer la Russie, à la suite des appels lancés par M. Macron en février en faveur d’un éventuel déploiement de troupes de l’OTAN en Ukraine, ce qui n’a pas encore eu beaucoup d’écho.

Après l’opération militaire menée par l’Azerbaïdjan le 19 septembre dernier et le départ massif des Arméniens du Karabakh, la coopération militaire entre Paris et Erevan s’est considérablement renforcée. La France a répondu positivement à la demande d’assistance militaire de l’Arménie, motivée par le désir de soutenir l’intégrité territoriale de l’Arménie et de contribuer à la paix dans la région.

Jusqu’à présent, les accords de coopération militaro-technique entre la France et l’Arménie restent largement défensifs, notamment en ce qui concerne la vente à l’Arménie de radars Thales Ground Master 200 et de systèmes de défense aérienne à courte portée Mistral.

Le 12 novembre 2023, des véhicules blindés de transport de troupes Bastion, produits par la société Acmat, arrivent au port géorgien de Poti, à destination de l’Arménie. Selon les médias arméniens, 24 véhicules blindés ont déjà été livrés à l’Arménie, tandis que 26 sont en cours de production.

Malgré le caractère défensif des systèmes d’armes fournis jusqu’à présent, les importations militaires croissantes d’Erevan ont déstabilisé Bakou et accru les tensions avec Paris, perturbant les relations franco-azerbaïdjanaises et conduisant à une accumulation lente d’armes.

En réaction, Bakou a intensifié sa coopération militaire avec ses principaux alliés, notamment la Turquie, Israël et le Pakistan. Des rapports récents indiquent que l’Azerbaïdjan a enrichi son arsenal avec les derniers drones d’attaque Akıncı acquis auprès de la Turquie, qui ont déjà été déployés dans les forces aériennes du pays. En outre, le pays a conclu un accord pour l’acquisition de chasseurs pakistanais JF-17C Block-III, ainsi que de matériel de formation et de combat pour les jets, pour une valeur totale dépassant 1,6 milliard de dollars.

En outre, l’Azerbaïdjan aurait acquis auprès d’Israël un système radar avancé, le ballon Sky Dew, capable de détecter des missiles et des avions sur de longues distances. Cet accord reflète l’approfondissement de la coopération militaro-technique entre Israël et l’Azerbaïdjan après la fin de la deuxième guerre du Karabakh en 2020. Le système Sky Dew a été développé par le département Homa de l’Autorité israélienne de développement des infrastructures d’armement et de technologie (MAPAT) en collaboration avec l’Administration américaine de défense antimissile (MDA). Compte tenu de la participation des États-Unis au développement du système, il était nécessaire d’obtenir l’accord de Washington pour son exportation vers l’Azerbaïdjan.

Auparavant, les explications officielles de la France suite à l’adoption de résolutions pro-arméniennes affirmaient qu’elles n’auraient pas d’impact sur les relations avec Bakou. Cependant, au cours de l’année écoulée, les efforts diplomatiques pour aplanir les difficultés se sont relâchés. Plus précisément, l’Élysée a lancé des appels à l’isolement de l’Azerbaïdjan et à l’imposition de sanctions, qui n’ont pas non plus été suivis d’effets.

Des liens diplomatiques distendus, des liens économiques solides

Malgré la dégradation des relations diplomatiques, les liens économiques restent forts. La France n’a pas pris de mesures pour limiter les activités de ses entreprises en Azerbaïdjan, en particulier ses intérêts dans le secteur pétrolier.

Parmi les exemples concrets, on peut citer les activités de TotalEnergies en Azerbaïdjan et les revenus importants que des entreprises françaises telles que la SADE et Paprec Group tirent de projets sur le territoire azerbaïdjanais.

Ainsi, malgré les désaccords politiques, l’interaction économique reste un élément clé des relations entre la France et l’Azerbaïdjan. Des sanctions entraîneraient des conséquences financières importantes pour la France, mais moins pour l’Azerbaïdjan, qui pourrait relativement facilement réorienter ses exportations de pétrole.

L’année dernière, les exportations azerbaïdjanaises vers la France ont connu une forte croissance, multipliées par 57 grâce aux perturbations du commerce international du pétrole causées par les sanctions contre l’industrie pétrolière russe, même si leur part dans le chiffre d’affaires total du commerce extérieur de l’Azerbaïdjan reste relativement faible, à savoir environ 2 %.

Au début du mois de mars de cette année, la dixième réunion ministérielle s’est tenue à Bakou dans le cadre du Conseil consultatif du corridor gazier méridional. Les discussions de cette réunion ont montré que les pays européens ne sont pas enclins à suivre la suggestion de la France de sanctionner les ressources énergétiques de l’Azerbaïdjan. Au contraire, il a été question du soutien de l’UE et des États-Unis à la poursuite de l’expansion du corridor gazier méridional et du renforcement de la sécurité énergétique de l’Europe par l’achat de gaz azerbaïdjanais. Pendant ce temps, la France, qui n’importe pas de pétrole ni de gaz d’Azerbaïdjan, continue ses achats à la Russie, ignorant ses propres appels à des sanctions contre la Russie et les suggestions faites à d’autres pays de réduire leur coopération énergétique avec Moscou.

Des relations en mutation

Le paysage géopolitique du Caucase a radicalement changé au cours de l’année écoulée. Aujourd’hui, Bakou affirme qu’il recherche une paix à long terme dans la région et qu’il ne souhaite pas voir les actions militaires reprendre. Après la deuxième guerre du Karabakh, l’Azerbaïdjan a proposé à Erevan un accord de paix, mais les pourparlers restent difficiles. L’ingérence extérieure et la militarisation de la région, y compris les actions de la France, ont sapé le processus et réduit les espoirs d’une conclusion rapide d’un nouveau traité.

L’Azerbaïdjan n’est pas disposé à céder à la pression de la France et cherche plutôt à prendre des mesures réciproques contre la France, en ciblant ses points faibles.

Une guerre de l’information de bas niveau a éclaté, les médias des deux pays s’attaquant l’un à l’autre et les deux parties se livrant à une diabolisation flagrante. Par exemple, une déclaration d’Intelligence Online selon laquelle l’Azerbaïdjan est dans le camp géopolitique de la Russie a été perçue à Bakou comme une tentative de le dépeindre non pas comme un acteur indépendant dans les relations internationales, mais comme un pays servant les intérêts de la Russie, participant ainsi à l’impasse géopolitique entre l’Occident et la Russie. Les médias azerbaïdjanais ont rétorqué que c’est l’Arménie, soutenue par la France, et non l’Azerbaïdjan, qui constitue un nœud critique pour contourner les sanctions antirusses de l’Occident, et ont souligné que des photos d’imagerie thermique françaises ont été trouvées dans des véhicules blindés russes qui ont envahi l’Ukraine et ont été capturés par l’armée ukrainienne.

La confrontation entre Paris et Bakou n’a manifestement pas d’impact significatif sur la situation politique en France ou en Azerbaïdjan, mais elle contribue à la formation de relations mutuellement négatives au niveau sociétal. Le volume des publications anti-françaises dans les médias azerbaïdjanais et des documents anti-azerbaïdjanais dans les médias français ne cesse de croître. Cependant, tôt ou tard, les relations froides entre les deux pays devront se dégeler.

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Author: capucine

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