La Turquie écartelée entre islamistes et laïcs

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MARC SEMO

LIBERATION

QUOTIDIEN : lundi 7 juillet 2008

Jour après jour, le bras de fer se durcit entre les deux Turquie, opposant les laïco-kémalistes de la haute bureaucratie et de l’armée avec les islamo- conservateurs au pouvoir de l’AKP (Parti de la justice et du développement) du Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan.

A travers l’appareil d’Etat et par juges interposés, chaque camp tente de prendre l’avantage. «Il n’y a pas une tentative de coup d’Etat mais deux» , s’inquiète le grand quotidien Hürriyet, alors que les milieux économiques se préoccupent des risques de déstabilisation de ce pays qui, depuis octobre 2005, a entamé les négociations d’adhésion avec l’Union européenne. Un coup de filet mené dans les milieux laïcs, héritiers proclamés de Mustapha Kemal, qui fonda une république jacobine sur les décombres de l’Empire ottoman, a encore accru la tension. «C’est un coup d’Etat de l’AKP», s’insurge Denyz Baykal, leader du très kémaliste Parti républicain du peuple, principale force de l’opposition. La Cour constitutionnelle examine par ailleurs depuis mars une requête d’interdiction pour «activités antilaïques» de l’AKP, le parti au pouvoir depuis 2002, qui a triomphé à nouveau en juillet 2007 en remportant 47 % des voix. Les libéraux et l’AKP dénoncent depuis des mois ce «coup d’Etat judiciaire».

Chaos. Le parquet d’Istanbul a confirmé hier les inculpations de deux généraux retraités, Hursit Tolon et Sener Eruygur, ancien patron de la gendarmerie, pour «avoir constitué et dirigé une bande armée». Ils avaient été interpellés mardi en même temps que dix-neuf autres personnalités, dont le président de la chambre de commerce et d’industrie d’Ankara et Mustafa Balbay, chef du bureau d’Ankara du quotidien Cumhuriyet, porte-voix du kémalisme de gauche. Tous sont accusés de liens avec l’organisation Ergenekon – du nom du berceau mythique du peuple turc en Asie centrale – qui aurait planifié des attentats pour créer le chaos instaurant le climat favorable à un coup d’Etat.

Représailles. Par trois fois – en 1960, 1971 et 1980 -, l’armée avait pris le pouvoir et en 1997 ses pressions entraînèrent la démission du Premier ministre islamiste Necmettin Erbakan. Ces interpellations se sont déroulées au moment même où, devant la Cour constitutionnelle, le procureur général de la Cassation exposait son réquisitoire contre le parti au pouvoir. Il demandait notamment l’interdiction d’activité politique pour 71 dirigeants, dont le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan et le président de la République, Abdullah Gül. L’AKP assure avoir renoncé à l’islamisme et se pose en force démocrate proeuropéenne, mais ses adversaires soupçonnent le parti de mener une islamisation rampante du pays. Ainsi ce parti avait levé, en février, l’interdiction du port du foulard à l’université, mesure qui fut finalement bloquée par la Cour constitutionnelle.

Pour beaucoup d’observateurs, il ne fait guère de doute que ces rebondissements dans l’affaire Ergenekon sont des représailles de l’AKP contre ses adversaires «laïcards». Commencée il y a treize mois, cette enquête a déjà entraîné une quarantaine d’inculpations et suscite de nombreuses interrogations, notamment en raison du black-out officiel entourant la procédure. «Veut-on démanteler une organisation terroriste ou veut-on intimider un bloc qui mène l’opposition la plus virulente contre l’AKP ?» s’interroge Rusen Cakir, intellectuel libéral et spécialiste de l’islam politique turc, relevant dans un éditorial du quotidien Vatan qu’il s’agit avant tout d’une lutte de pouvoir : «Les personnes et les institutions les plus influentes dans l’administration ne veulent pas céder leur place et les nouveaux arrivants ne veulent pas partager le pouvoir avec les anciens.»

Le conflit est au sein même de l’Etat. L’armée reste ainsi un bastion kémaliste pur et dur. Le ministère de l’Intérieur, lui, est depuis des années infiltré par les islamistes qui commencent aussi à pousser leurs pions au sein de l’appareil judiciaire. Dans cette bataille, la presse est polarisée, et chaque média y va de ses révélations plus ou moins pilotées. Le procureur d’Istanbul devrait enfin bientôt rendre publiques les quelque 2 500 pages de l’acte d’accusation dans l’enquête Ergenekon.

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Author: raffi

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