La Turquie retrouve ses saveurs oubliées

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Le Temps (Suisse), 4 juin 2008

Delphine Nerbollier, Istanbul

La mondialisation menaçait la riche gastronomie ottomane. Quelques toques célèbres la font revivre.

Vermicelles au fromage et aux noix, soupe de blé à l’ortie et à la menthe, börek au safran, nougat à la crème de noisette. La petite ville de Safranbolou, dans l’ouest de l’Anatolie, a célébré ses spécialités culinaires pendant quatre jours, fin mai, à l’occasion d’un Festival des saveurs traditionnelles. Et bien qu’elle ne soit pas spécialement réputée pour sa gastronomie, elle a attiré les foules. C’est que la cuisine turque – la grande cuisine turque qui a tant rayonné par le passé au carrefour de l’Europe et de l’Asie – est en danger et que nombreux sont les nostalgiques qui en cultivent le souvenir et rêvent de la sauver.

La gastronomie turque, c’est d’abord une cuisine de «cour» datant d’une époque où les sultans ottomans faisaient venir les meilleurs ingrédients des quatre coins de leur immense empire. C’est ensuite une cuisine d’une extraordinaire diversité, où se croisent les apports d’innombrables minorités, grecque, arménienne, tcherkesse, albanaise, et où d’anciennes traditions comme le chamanisme ont laissé leurs traces. Mais aujourd’hui, le vent a tourné.

La désaffection

«La cuisine locale anatolienne a été traitée par le mépris durant de longues années, déplore Ahmet Ors, président de l’Association des gourmets de Turquie et organisateur du Festival des saveurs traditionnelles. Avec la mondialisation et l’accès à des plats venus du monde entier, nous nous sommes désintéressés de nos mets locaux.» Et d’évoquer les raisons profondes de cette désaffection: «La population s’est fortement urbanisée, les familles se sont divisées et les plats traditionnels qui se préparaient et se mangeaient en commun ont été délaissés. Les jeunes femmes aujourd’hui installées en ville abandonnent ou ignorent les recettes de leurs grands-mères, des recettes qui exigent, il est vrai, du temps et de l’effort.» Or, 70% des Turcs sont aujourd’hui citadins.

Mais l’histoire rebondit. La cuisine turque traditionnelle éveille à nouveau l’intérêt. Le développement des compagnies aériennes à bas prix favorise le tourisme intérieur qui se montre friand de traditions locales. Pour qui vient d’Istanbul ou d’Izmir, les spécialités de la mer Noire ou de la Cappadoce sont des curiosités à découvrir. D’où l’avantage de les cultiver, voire de leur redonner vie.

L’offensive des chefs

Et puis quelques grands cuisiniers turcs, animés parfois d’un certain sentiment de culpabilité, se sont lancés dans l’aventure. «Je suis cuisinier depuis 25 ans, explique Aydin Demir, du célèbre établissement Konyali, à Istanbul. J’ai appris la cuisine italienne, française, asiatique. Mais il y a une dizaine d’années, j’ai réalisé que je ne connaissais pas ma propre cuisine. J’ai longtemps dénigré les plats de ma mère, en estimant qu’ils n’avaient pas leur place dans un grand restaurant.» Aydin Demir a trouvé le filon. Depuis, il l’exploite en offrant des plats traditionnels à une clientèle aisée. «J’ai par exemple redécouvert la cuisine d’Istanbul, comme les farcis de maquereaux, confie-t-il, mais aussi la cuisine sucrée-salée, qui exige une cuisson très lente, et qui était très prisée à la cour à l’époque de l’Empire ottoman.»

«La cuisine turque est en train de vivre une révolution culturelle», soutient Musa Dagdeviren, fondateur du Restaurant Ciya, à Istanbul. Ce chef de 45 ans, originaire de Gaziantep, près de la frontière syrienne, s’est donné comme mission de faire redécouvrir à ses compatriotes les saveurs oubliées ou disparues d’Anatolie. Dans les deux établissements qu’il possède, il présente une variété de plats du Sud-Est et de la côte méditerranéenne du pays. Ce qui lui a permis de remettre au goût du jour pas moins d’une centaine de variétés de kebabs (viande grillée) mais aussi des jus de fruits locaux (cherbet) et des plats sucrés salés. «L’Anatolie est un musée à ciel ouvert, s’enthousiasme-t-il. Un musée de civilisations, de cultures et de saveurs qui peuvent survivre si le peuple prend conscience de leur valeur.»

Preuve s’il en est de cette vitalité nouvelle: certains chefs turcs commencent à se faire connaître à l’étranger, en propageant une image bien différente de celle véhiculée par les habituels döner kebabs. Et depuis peu, des universités et des écoles privées proposent également des formations gastronomiques.

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Author: raffi

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