» La vérité jaillit à la vitesse des balles qui vous tuent », par Charlie Sansonetti

Se Propager
arton79222

Oui, cette guerre de 44 jours n’a pas fini d’ouvrir les yeux des Arméniens. Cette nouvelle plaie était-elle nécessaire ? Il faut croire que oui. Au regard de l’impéritie qui a gouverné notre république depuis l’indépendance.

Une indépendance, pour quoi faire ? Une indépendance miraculeuse, servie par l’écroulement de l’empire qu’on servait et qui nous servait bien, lui aussi. Ce n’est pas par hasard que cet empire, issu d’une révolution et d’une aspiration quand bien même dévoyées, portait néanmoins des valeurs intrinsèques de justice sociale et d’amitié entre les peuples. Il n’est pas surprenant non plus que Markar Melkonian s’indigne du vide politique d’un parti du peuple, dans cette région du monde qu’est l’Arménie post soviétique, lui, « l’américain ».

En réalité, de quoi parle-t-on lorsque l’on s’indigne de ce qu’il s’est passé ? J’ai dit dans un précédent papier, aux lendemains du cessez-le-feu, qu’on avait perdu, territorialement parlant, surtout ce que l’on devait rendre, c’est à dire 5 à 7 districts. Il est tout à fait normal qu’on ait, finalement, perdu un peu plus… et vous m’excusez du peu, quand on parle de Chouchi, puisqu’ « ils » étaient en mesure de prendre ce qu’ils voulaient !

Mais qu’ont-ils pris ? La vie de ces milliers de jeunes. Ceux qui ne peuvent et qui ne pourront plus parler. Croyez-vous vraiment qu’un soldat n’est finalement qu’un soldat ?
Un engagé pour sa patrie est aux ordres, mais pas de son supérieur. Il est aux ordres bien supérieurs, de sa patrie même. Et quels sont-ils, ces ordres ? Ces ordres ce sont des valeurs qui commandent de vivre autrement en société, en paix, car la guerre n’est pas le meilleur moyen de vivre.

Alors il serait temps d’extirper la gangrène nationaliste arménienne qui ronge ses propres valeurs, car, en aucun cas, l’entité arménienne ne brille bien plus aux yeux du monde que lorsqu’elle défend son art de vivre avec les autres, parmi les autres. Les conséquences historiques de la déportation mondiale des survivants arméniens, nos diasporas, ont produit autant d’ambassadeurs de cet art de vivre. Les Arméniens sont des « gentils », si ce mot n’a jamais eu une quelconque signification en politique.

Mais sérieusement, que nous reste-t-il à apporter au monde, si ce n’est notre puissance pacificatrice, notre abnégation, notre humilité ? Démontrons aux autres, que nous en sommes capables. Tendons la main avant que nos ennemis soient en capacité de le faire. Soyons assez malins pour, au moins, défendre nos intérêts au regard de notre faiblesse patente. Heureusement que nous sommes encore un « idiot utile » sur l’échiquier des puissants qui nous entourent, car il y a long feu que le nettoyage aurait eu lieu, dès le 45ème jour de cette guerre inachevée.

Oui, la guerre n’est pas finie. Elle ne fait que commencer. Celle que les Arméniens doivent mener contre eux-mêmes. Monte se disait « communiste », comme un Missak Manouchian, et il se battait pour vivre en harmonie avec les autres, humainement avec les humains. Son action n’a jamais été dictée par une soif nationaliste au point d’afficher une supériorité sur l’autre, l’élimination de l’autre, l’irréalisme. Son action a été dictée par une soif de justice, d’équité, et a revêtu un aspect belliqueux et martial, tant la balance penchait dans l’autre sens. Mais si nous devons vivre le futur de l’Arménie en calquant notre politique sur celle de nos ennemis, alors la messe est dite.

Lorsqu’un jeune engage sa vie pour la perdre, il nous tend une promesse de vie qu’il est prêt à sacrifier pour la déposer entre nos mains. Il ne dit aucun mot. Il meurt et c’est tout. Quel plus fort message que ce don de vie ? Ce don de mort ?

Nous sommes les dépositaires de ce message unique crié par ces milliers de voix qui nous hanteront à jamais. Il faudra bien l’entendre ! Et pour bien l’entendre, il faudra faire silence.
Par silence, j’entends qu’on « réduise au silence » ceux-là même qui vocifèrent et qui sont, à mes yeux, pleinement responsables de cette Histoire arménienne qui s’écrit.
Oui, parfois, l’Histoire s’écrit avec une balle comme simple message. Elle permet à l’ennemi d’économiser les siennes prêtes à abattre votre jeunesse.

Parfois, l’ennemi est parmi nous. Et souvent, il est au sommet du pouvoir, en pleine lumière. Depuis bien des années, notre ennemi était au sommet du pouvoir. Des hommes qui se targuaient d’être démocrates, mais qui gouvernaient en autocrates corrompus jusqu’à donner des ordres de tuer en coulisse.

Parfois, c’est un devoir de changer le cours de l’Histoire, et au lieu d’une balle, ce sont des milliers de balles qui ont fauché nos jeunes anonymes. Des anonymes ? Non, ce sont nos messagers désormais qui nous dicteront nos pas, notre vie, et qui nous accompagneront pour ne pas dévier d’un chemin qu’on n’aurait jamais dû quitter.

Si Monte a été un héros, alors il a été surtout le héraut des valeurs qu’il portait en lui, lorsqu’il était vivant, anonyme, clandestin, bien avant de donner sa vie à l’Arménie, pour l’Arménie, une époque où l’on se battait dans le monde pour un monde nouveau.

Et pour l’avoir jamais croisé, il demeure vivant en moi. C’est cette parole que je voulais tendre à Markar pour ses mots dont je partage l’analyse et que j’embrasse.

Charles Sansonetti Missakian
Réalisateur

La rédaction
Author: La rédaction

Autres opinions

guem
Bertrand Delanoë
guem
Marie Anne Isler Beguin

Se connecter

S’inscrire

Réinitialiser le mot de passe

Veuillez saisir votre identifiant ou votre adresse e-mail. Un lien permettant de créer un nouveau mot de passe vous sera envoyé par e-mail.

Retour en haut