La voix des Justes, par René Dzagoyan

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Dans le numéro 313 des Nouvelles d’Arménie Magazine, Frédéric Encel, ami de toujours des Arméniens, déplorait le refus de l’Etat d’Israël de reconnaître le génocide de 1915. Le 14 janvier 2024, Nadav Shragai, écrivain israélien, lui emboitait le pas, rejoignant ainsi les nombreux intellectuels juifs qui ont plaidé pour une reconnaissance officielle de la Shoah arménienne par la Knesset. On ne peut que se réjouir de ces soutiens d’autant plus précieux qu’ils dénotent un courage certain, tout en notant qu’aux yeux des Arméniens d’aujourd’hui, après la défaite de 2020, le nettoyage ethnique de l’Artsakh et les menaces quotidiennes de l’Azerbaïdjan, la question de la reconnaissance de 1915 est bien loin de leurs préoccupations du moment. Le refus de Jérusalem de reconnaître 1915, voire son négationnisme (puisqu’il faut bien l’appeler ainsi), est l’affaire des Israéliens eux-mêmes et de leur conscience. Aussi, à l’heure où l’existence même de l’Arménie est physiquement menacée, si des soutiens doivent être apportés, c’est moins dans le domaine mémoriel des vérités historiques que dans l’effort de survivance d’un peuple menacé en tant qu’Etat et en tant que nation.
L’urgence de la situation arménienne exigeant un maximum de clarté, et l’amitié judéo-arménienne la permettant, il faut énoncer les faits tels qu’ils sont : la guerre des 44 jours en 2020 a été perdue par l’Arménie, non pas du fait de la supériorité numérique des troupes azéries (car les armées étaient de taille comparable), mais du fait des armes de haute technologie utilisées par l’Azerbaïdjan, fournies par l’Etat d’Israël. De 2016 à 2020, selon l’Institut de Stockholm, 69 % du matériel militaire utilisé par Bakou durant la Guerre des 44 jours, proviennent des usines d’armement de l’Etat hébreu, loin devant la Turquie, 2,6%. Ces armes, encore à la disposition d’Aliyev, augmentent de jour en jour. Autrement dit, si demain une nouvelle offensive devait définitivement rayer l’Arménie de la carte, il faudra attribuer les moyens techniques de ce nouveau génocide à l’efficacité des armes fabriquées en Terre Promise. Certes, dira-t-on, c’est du « business as usual », « rien de personnel ». Mais à supposer que l’on découvre que les missiles que lance le Hamas ou le Hezbollah sur Israël pour massacrer des femmes et des enfants innocents sont de fabrication arménienne et vendus à bon prix, il n’est pas sûr que ce « business as usual » par Erevan, soit accueilli par les Juifs avec le même flegme.
Encore que Jérusalem devrait bien démontrer qu’il n’y a effectivement « rien de personnel » contre les Arméniens à l’heure où, depuis plus de deux ans, il ne se passe pas un jour sans qu’un Arménien israélien soit couvert de crachats dans les rues de la Ville Sainte par des ultra-orthodoxes, des enfants parfois, et même des membres de l’armée, comme ce fut le cas le 22 novembre 2022, où les soldats de Tsahal se sont livrés sur des religieux apostoliques à ces actes indignes d’une armée normale. Pas un jour sans qu’un bâtiment religieux ou une maison arménienne ne soient couverts de graffitis injurieux, rappelant les tags antisémites et Etoiles de David peints en 2023 sur les murs de nos villes et de notre capitale, rappelant les jours odieux de 1933 en Allemagne. Les Arméniens de Jérusalem sont nos Juifs de France. Pourquoi ce qui est abject en France serait-il banal, voire acceptable, en Israël ? Les Arméniens vivent à Jérusalem depuis 1600 ans, et jamais, que ce soit sous l’occupation arabe ou le joug ottoman, leur présence et leurs propriétés n’ont été mises en danger. Il faut en arriver à l’Etat d’Israël d’aujourd’hui pour voir le quartier arménien menacé de spoliation, comme pour ce fameux « Jardin aux Vaches », surveillé nuit et jour par les habitants du Quartier arménien pour contrecarrer les assauts quotidiens dont il fait l’objet. Si cracher sur des Juifs, tagger leurs bâtiments, tenter de spolier leurs propriétés est de l’antisémitisme, comment qualifier ces mêmes actes lorsqu’ils sont perpétrés par des Juifs dans l’impunité la plus totale, voire avec la complicité du gouvernement ? Lorsqu’on sait que ce même gouvernement vend, en toute connaissance de cause, des armes sophistiquées à un Etat qui vise l’élimination pure et simple de l’Arménie, comment éviter de conclure à une convergence d’intention entre l’Etat azéri, chasser les Arméniens du Caucase, et l’Etat hébreu, chasser les Arméniens d’Israël ? Au vu de cette hypothèse, on comprendra qu’aborder la question de la reconnaissance du Génocide de 1915, ait, pour le moins, dans les circonstances présentes, quelque chose d’anachronique.
Aujourd’hui, c’est l’existence de l’Arménie et la pérennité de sa Diaspora qui est en jeu. Rien de moins. Il ne s’agit plus aujourd’hui de reconnaître un génocide mais d’en prévenir un. Et c’est un fait incontournable que, dans le Caucase par ses ventes d’armes, comme en Israël par la persécution de ses propres citoyens, l’Etat d’Israël, à quelque degré que l’on voudra, a sa part dans la mise en péril de l’Arménité. Ceux des Juifs qui, à l’encontre de l’Etat d’Israël, ont plaidé et plaident encore pour les Arméniens sont nos Justes. Nous les connaissons. Ceux qu’on a cités en sont. Leur soutien et leur parole, écoutés en Israël, sont plus que jamais indispensables. A l’heure où un peuple entier est menacé de disparition, il ne s’agit pas de se tromper de combat. Les faits sont les faits, et pour les dire, l’Arménie et les Arméniens ont besoin de la voix des Justes.

René Dzagoyan

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