Le Bunker de Tbilissi (Bunkeri), d’Iva Pezuashvili

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En un court récit, vif et incisif, mettant la focale sur 24 heures de la vie d’une famille arménienne de Tbilissi, au seuil de la rupture, Iva Pezuashvili brosse le portrait sans concession d’une société géorgienne en voie de décomposition, qui n’en finit pas de solder les comptes de l’ère soviétique. Egalement réalisateur, I. Pezuashvili s’était vu décerner, en avril 2022, le prix de littérature de l’Union européenne pour ce roman qui, traduit du géorgien, paraît en France sous le titre « Le Bunker de Tbilissi ».

Alors que la guerre livrée par la Russie à l’Ukraine s’installe dans la durée, les bunkers qui constellaient l’espace soviétique pour parer la menace de la guerre froide et en protéger la population en cas de conflit, ont repris du service. Face à la pluie d’obus et de missiles russes qui s’est abattue sur Kiev et les autres villes du pays, les Ukrainiens ont pu mesurer tous les mérites de ces abris en sous-sol, qu’ils soient de conception militaire ou de fortune, en friche pour la plupart, qu’ils ont réhabilités et réinvestis massivement dès les premières heures de la guerre.

A l’heure donc, où la Russie tente un retour en force dans son « Etranger proche », les bunkers font à nouveau partie du paysage urbain, en Ukraine mais aussi dans ces autres ex-Républiques soviétiques qui se sont détournées de l’ancienne puissance tutélaire russe pour se rapprocher de l’Occident, comme la Géorgie. Ainsi à Tbilissi aussi, où l’invasion de l’Ukraine a réveillé le spectre de la guerre éclair qu’avait livrée la Russie en août 2008 à la République du Sud Caucase et de la cinglante défaite qu’elle lui avait infligée pour la punir de ses velléités d’indépendance, les anciens bunkers sortent de leurs oubliettes. Pourtant, quoique puisse laisser penser le titre, « Bunkeri », – « Le Bunker de Tbilissi » dans sa traduction française -, il n’est pas question d’abri dans le dernier roman du jeune auteur et cinéaste géorgien Iva Pezuashvili, né en 1990, qui vient de paraître en France. Du moins pas explicitement, plutôt métaphoriquement. Car en fait de bunker, le sous-sol où nous entraîne l’auteur, c’est le local repoussant et très inhospitalier d’un de ces grands immeubles datant de l’époque soviétique et en complète décrépitude, comme la capitale géorgienne en compte encore beaucoup, où se déversent et s’amoncellent les déchets jetés par les résidents dans leurs vide-ordures.

Parmi ces résidents qui, depuis les étages, alimentent de leurs détritus jour après jour la pestilence de ces bas-fonds jamais entretenus, la famille Simonian, composée de Guena, Mila et leurs deux enfants Zima et Lazare, sur laquelle l’auteur a choisi de mettre la focale dans ce court récit. Une famille comme tant d’autres, encore que… dont il raconte la vie condensée en une journée, comme les autres, encore que… Car ce 9 avril 2017 est un jour de fête nationale en Géorgie, plus précisément la fête de l’Unité, en souvenir de la répression sanglante exercée par les autorités soviétiques contre les Géorgiens manifestant pour leur indépendance le 9 avril 1989. C’est aussi, accessoirement, si tant est qu’ils s’en souviennent, le 20e anniversaire du mariage de Guena, arménien, et de Mila, son épouse azérie, qui avaient fui la guerre au Karabagh pour reconstruire une vie plus sûre et meilleure sous le ciel de Tbilissi.

Mais le cœur n’est ni à la fête, ni à l’unité, dans cette famille en voie d’éclatement, dont les espoirs déçus font le lit de rêves sans lendemain. Vautré comme à l’accoutumée sur son canapé dont il ne s’extirpe qu’après le versement de sa pension mensuelle, pour des virées arrosées avec des copains qui le conduisent parfois jusque dans ces fameux sous-sols, Guena traîne son ennui et attend que la journée se passe, sous l’œil réprobateur et méprisant de son épouse Mila, qui rêve d’une vie sans lui dans laquelle elle serait mannequin sur les réseaux sociaux. Dans ce huis-clos délétère, les enfants aussi nourrissent des rêves qui ont tout aussi peu de chances de se réaliser. Policière de base, la fille Zima s’imagine promue à des postes importants ; en attendant, elle est bien en peine de mettre la main sur les voleurs qui désossent sa voiture et mue par le ressentiment et un désir de vengeance, se met en tête d’obtenir sa promotion en rassemblant des documents compromettants, des « kompromat », sur ceux qu’elle entend faire chanter. Chanter, c’est le rêve de son frère, Lazare, livreur à la conscience sociale plus marquée, qui se voit quant à lui devenir rappeur et exprime sa révolte dans les textes de ses chansons qui n’ont guère de chance de trouver quelque producteur.

Des rêves qui, se heurtant à un quotidien de violence et de corruption, devraient finir à la poubelle, ou plutôt dans ce local à ordures constituant les soubassements sinon les fondations d’un immeuble type de Tbilissi qui reflète la réalité brutale d’une société géorgienne qui n’en finit pas de solder les comptes de l’ère soviétique et reste prisonnière des relents entêtants et nauséabonds qui s’en échappent.

-Le Bunker de Tbilissi (Bunkeri),

D’Iva Pezuashvili, traduit du géorgien par Marika Megrelishvili,

Emmanuelle Collas, 156 p., 17 €.

Les prisonniers du Caucase

En un court récit, vif et incisif, mettant la focale sur 24 heures de la vie d’une famille arménienne de Tbilissi, au seuil de la rupture, Iva Pezuashvili brosse le portrait sans concession d’une société géorgienne en voie de décomposition, qui n’en finit pas de solder les comptes de l’ère soviétique. Egalement réalisateur, I. Pezuashvili s’était vu décerner, en avril 2022, le prix de littérature de l’Union européenne pour ce roman qui, traduit du géorgien, paraît en France sous le titre « Le Bunker de Tbilissi ».

Alors que la guerre livrée par la Russie à l’Ukraine s’installe dans la durée, les bunkers qui constellaient l’espace soviétique pour parer la menace de la guerre froide et en protéger la population en cas de conflit, ont repris du service. Face à la pluie d’obus et de missiles russes qui s’est abattue sur Kiev et les autres villes du pays, les Ukrainiens ont pu mesurer tous les mérites de ces abris en sous-sol, qu’ils soient de conception militaire ou de fortune, en friche pour la plupart, qu’ils ont réhabilités et réinvestis massivement dès les premières heures de la guerre.

A l’heure donc, où la Russie tente un retour en force dans son « Etranger proche », les bunkers font à nouveau partie du paysage urbain, en Ukraine mais aussi dans ces autres ex-Républiques soviétiques qui se sont détournées de l’ancienne puissance tutélaire russe pour se rapprocher de l’Occident, comme la Géorgie. Ainsi à Tbilissi aussi, où l’invasion de l’Ukraine a réveillé le spectre de la guerre éclair qu’avait livrée la Russie en août 2008 à la République du Sud Caucase et de la cinglante défaite qu’elle lui avait infligée pour la punir de ses velléités d’indépendance, les anciens bunkers sortent de leurs oubliettes. Pourtant, quoique puisse laisser penser le titre, « Bunkeri », – « Le Bunker de Tbilissi » dans sa traduction française -, il n’est pas question d’abri dans le dernier roman du jeune auteur et cinéaste géorgien Iva Pezuashvili, né en 1990, qui vient de paraître en France. Du moins pas explicitement, plutôt métaphoriquement. Car en fait de bunker, le sous-sol où nous entraîne l’auteur, c’est le local repoussant et très inhospitalier d’un de ces grands immeubles datant de l’époque soviétique et en complète décrépitude, comme la capitale géorgienne en compte encore beaucoup, où se déversent et s’amoncellent les déchets jetés par les résidents dans leurs vide-ordures.

Parmi ces résidents qui, depuis les étages, alimentent de leurs détritus jour après jour la pestilence de ces bas-fonds jamais entretenus, la famille Simonian, composée de Guena, Mila et leurs deux enfants Zima et Lazare, sur laquelle l’auteur a choisi de mettre la focale dans ce court récit. Une famille comme tant d’autres, encore que… dont il raconte la vie condensée en une journée, comme les autres, encore que… Car ce 9 avril 2017 est un jour de fête nationale en Géorgie, plus précisément la fête de l’Unité, en souvenir de la répression sanglante exercée par les autorités soviétiques contre les Géorgiens manifestant pour leur indépendance le 9 avril 1989. C’est aussi, accessoirement, si tant est qu’ils s’en souviennent, le 20e anniversaire du mariage de Guena, arménien, et de Mila, son épouse azérie, qui avaient fui la guerre au Karabagh pour reconstruire une vie plus sûre et meilleure sous le ciel de Tbilissi.

Mais le cœur n’est ni à la fête, ni à l’unité, dans cette famille en voie d’éclatement, dont les espoirs déçus font le lit de rêves sans lendemain. Vautré comme à l’accoutumée sur son canapé dont il ne s’extirpe qu’après le versement de sa pension mensuelle, pour des virées arrosées avec des copains qui le conduisent parfois jusque dans ces fameux sous-sols, Guena traîne son ennui et attend que la journée se passe, sous l’œil réprobateur et méprisant de son épouse Mila, qui rêve d’une vie sans lui dans laquelle elle serait mannequin sur les réseaux sociaux. Dans ce huis-clos délétère, les enfants aussi nourrissent des rêves qui ont tout aussi peu de chances de se réaliser. Policière de base, la fille Zima s’imagine promue à des postes importants ; en attendant, elle est bien en peine de mettre la main sur les voleurs qui désossent sa voiture et mue par le ressentiment et un désir de vengeance, se met en tête d’obtenir sa promotion en rassemblant des documents compromettants, des « kompromat », sur ceux qu’elle entend faire chanter. Chanter, c’est le rêve de son frère, Lazare, livreur à la conscience sociale plus marquée, qui se voit quant à lui devenir rappeur et exprime sa révolte dans les textes de ses chansons qui n’ont guère de chance de trouver quelque producteur.

Des rêves qui, se heurtant à un quotidien de violence et de corruption, devraient finir à la poubelle, ou plutôt dans ce local à ordures constituant les soubassements sinon les fondations d’un immeuble type de Tbilissi qui reflète la réalité brutale d’une société géorgienne qui n’en finit pas de solder les comptes de l’ère soviétique et reste prisonnière des relents entêtants et nauséabonds qui s’en échappent.

GARO ULUBEYAN
-Le Bunker de Tbilissi (Bunkeri),

D’Iva Pezuashvili, traduit du géorgien par Marika Megrelishvili,

Emmanuelle Collas, 156 p., 17 €.

La rédaction
Author: La rédaction

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