Ouest-France
25 mai 2007 vendredi
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Le cinéaste retourne sur les traces de son grand-père arménien
ISTANBUL (de notre correspondante). – Avédis, le grand-père du
cinéaste et acteur Serge Avédikian, n’aurait sûrement jamais imaginé
que son petit-fils insisterait tant à raconter son histoire : celle
d’un Arménien de l’empire ottoman qui, en 1915 prend le chemin de
l’exil pour échapper à la mort. Et surtout renouerait un dialogue
avec les habitants actuels de Sölöz (où vivait le grand-père), un
village autrefois arménien, près de Bursa, ville turque d’un million
d’habitants.
Mais comment parler d’un passé aussi douloureux que le génocide
arménien alors que le sujet reste un tabou en Turquie ? Comment les
Turcs qui habitent aujourd’hui à Sölöz perçoivent ce passé dont ils
ne connaissent que des bribes ?
Avec son film Retourner, Serge Avédikian explore ces questions. Le
réalisateur est invité dimanche à Istanbul pour une projection
spéciale du film. Une première en Turquie où d’autres films évoquant
le génocide arménien avaient été censurés dans le passé. «Le film a
une histoire incroyable, confie le réalisateur dont les parents sont
nés en France. En Arménie, il a été accueilli avec beaucoup
d’enthousiasme. Les gens ont saisi l’originalité de la démarche: ne
pas être dans une logique de demande des comptes, mais essayer de
comprendre.»
Retourner montre comment les habitants de Sölöz ignorent le sort
réservé aux Arméniens en 1915. Ils croient, sincèrement, qu’ils ont
simplement été déplacés ailleurs, comme eux-mêmes ont dû quitter la
Grèce en 1922. Mais l’amnésie n’est pas le seul mal qui touche la
Turquie. Le pays souffre aussi d’un nationalisme violent qui a coûté
la vie au journaliste arménien Hrant Dink, assassiné en janvier.
«Nous devons trouver un moyen de dialoguer, on ne peut plus tourner
autour du pot, déclare Serge Avédikian. Les milieux nationalistes se
sentent en danger, c’est pour cela qu’ils sont aussi violents. Mais
la démocratisation du pays est en cours. Le processus d’adhésion de
la Turquie à l’UE doit continuer pour cette raison.»
Burçin GERCEK.