Dans le sillage de la Conférence sur la sécurité de Munich du 17 au 19 février, en marge de laquelle le Secrétaire d’Etat américain Antony Blinken avait réuni autour d’une table de négociations les leaders d’Arménie, d’Azerbaïdjan et de Géorgie, confirmant la reprise en mains, par les Occidentaux, d’un processus de paix au Sud Caucase que la Russie prétend toutefois toujours arbitrer, le Département d’Etat américain a fait savoir mercredi 22 février que l’Arménie et l’Azerbaïdjan auront d’autres négociations au plus haut niveau « dans les jours à venir » en vue de consolider les « progrès significatifs » accomplis ces mois derniers. Si par « progrès significatifs », la diplomatie américaine entend l’offensive massive lancée par l’armée azérie sur les zones frontalières de l’Arménie le 13 septembre 2022, à laquelle la médiation de Washington avait certes pu mettre un terme, ou encore le blocus imposé depuis le 12 décembre par Bakou aux 120 000 habitants arméniens du Haut-Karabagh, que la plus haute cour de justice internationale vient de condamner, alors la partie arménienne serait en droit de se demander où vont la conduire de tels « progrès », nettement plus perceptibles du point de vue de Bakou. A l’heure où l’on marque le premier anniversaire de la guerre lancée par la Russie contre l’Ukraine, qui a plus que jamais ostracisé le Kremlin sur la scène régionale et internationale, le progrès le plus significatif pour les Etats-Unis, comme ne manquent pas de le souligner les Russes, est d’avoir avancé dans leurs projets visant à écarter la Russie du processus de paix au Sud Caucase, où l’Arménie reste pourtant officiellement son principal allié et partenaire. Par son impuissance, conjuguée à celle de ses alliés de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), une alliance militaire russe dont l’Arménie est aussi membre, à faire cesser les combats de septembre dernier, les plus violents depuis la guerre du Karabagh de l’automne 2020, et par son manque de détermination pour disperser la poignée de manifestants azéris autoproclamés écologistes qui, avec le soutien du régime de Bakou, tiennent en otage depuis plus de deux mois les Arméniens du Karabagh, en proie à une grave crise humanitaire, dont le contingent de forces de paix russes déployés depuis novembre 2020 est censé garantir la sécurité et la libre circulation avec l’Arménie, la Russie, enlisée en Ukraine, a laissé l’Occident s’engouffrer dans le vide qu’elle a créé au Sud Caucase… et les Arméniens le suivre, en prenant le risque du même coup de céder aux pressions de l’Azerbaïdjan, qui affiche des relations aussi cordiales avec le Kremlin qu’avec les Occidentaux ! Il n’est qu’à voir la toute récente décision du président du Haut-Karabagh, Arayik Haroutiounian, de limoger son premier ministre Ruben Vardanyan, un milliardaire russe d’origine arménienne qui avait renoncé à sa citoyenneté russe pour assumer en novembre ses nouvelles fonctions dirigeantes à Stepanakert. Les autorités d’Arménie avaient multiplié depuis les signaux indiquant qu’elles souhaitaient le voir quitter le pouvoir au Karabagh, un souhait partagé par le président azerbaïdjanais Ilham Aliev qui, à Munich, avait ouvertement posé le départ de Vardanyan, tenu pour un agent de Moscou, comme condition d’un dialogue direct avec les Arméniens du Karabagh, encouragé par Erevan qui a clairement fait savoir que le règlement du conflit relevait de la compétence de Bakou et de Stepanakert, plus que de celle de l’Arménie. Quelques jours après, en écho aux exigences de Bakou, relayées par Erevan, Vardanyan, après avoir opposé une vaine résistance, se voyait limoger, confirmant ainsi les pressions croissantes exercées par Bakou sur la vie politique arménienne, qui doit se soumettre aux conditions posées par l’Azerbaïdjan comme par son allié turc. Rien ne dit que la partie arménienne pourra s’y soustraire, ou du moins en limiter les effets, sous l’égide de l’Occident, davantage que sous celle de la Russie. Toujours est-il que le porte-parole du Département d’Etat américain Ned Price, durant son point de presse à Washington, a mis l’accent sur ce « progrès » qui « a été le résultat d’un engagement trilatéral avec les Etats-Unis », et du « travail accompli aussi par l’Union européenne dans sa diplomatie » et dont il « espère voir les effets quand les parties se réuniront à Bruxelles dans les jours à venir dans des discussions sous l’égide du président [Charles] Michel de l’UE ”. “Ainsi, nous espérons voir une continuation de ce progrès”, a poursuivi le haut diplomate américain en précisant : “Nous n’allons pas céder au pollyanaïsme [positivité de principe], mais nous allons continuer à soutenir ce dialogue, cette diplomatie, en vue d’une solution globale par tous les moyens possibles pour nous ”. Price n’a pas précisé si Michel aura une rencontre trilatérale avec le premier ministre arménien Nikol Pachinian et le président azerbaïdjanais Ilham Aliev. Le président du Conseil européen avait accueilli une série de pourparlers entre les leaders des deux pays ennemis du Sud Caucase l’an dernier et il devait les réunir en sommet début décembre dans la foulée de la rencontre qu’ils avaient eue, le 5 octobre, à Prague, à laquelle s’était joint le président français Emmanuel Macron, en marge du premier sommet de la Communauté politique européenne et qui avait donné lieu à des engagements tels que la signature d’un traité de paix arméno-azéri, prévoyant la reconnaissance mutuelle, par chacune des deux parties, de l’intégrité territoriale, avait été alors présentée comme imminente. Mais la rencontre de décembre avait été annulée sur décision d’Aliev, qui avait adressé une fin de non recevoir sans appel à la demande de Pachinian d’associer une fois encore à ce sommet le président Macron, auquel Bakou reproche de prendre parti pour les Arméniens. Dans le même temps, la Russie avait tenté de reprendre l’initiative dans le processus de paix, à la faveur d’un sommet réunissant Poutine, Aliev et Pachinian le 31 octobre 2022 à Sotchi, mais ses efforts en vue de relancer la relation avec l’Arménie se heurteront aux effets délétères du blocus imposé au Karabagh par l’Azerbaïdjan, dont le double-jeu devait aussi jouer en sa défaveur. Le représentant du Département d’Etat américain ne précisera bien sûr pas si le président Macron pourrait être présent aux côtés de Michel pour la prochaine rencontre « de haut niveau » annoncée, et donc si, là encore, cédant aux pressions de Bakou, la partie arménienne aurait renoncé à poser sa présence comme la condition d’une relance du dialogue avec Aliev. De son côté, le gouvernement arménien n’a pas fait de déclaration, jeudi 23 février, sur une éventuelle rencontre imminente des deux leaders à Bruxelles. Un porte-parole du gouvernement a fait savoir au Service arménien de RFE/RL qu’il ne disposait « pour le moment, d’aucune information concernant cette rencontre ”. Nul doute en tout cas que la prochaine rencontre, quel qu’en soit le médiateur, s’inscrira dans le cadre des discussions entre Pachinian et Aliev encouragées samedi dernier à Munich par Antony Blinken. Les discussions auraient porté essentiellement sur les termes d’un traité de paix arméno-azéri négocié par les deux parties tout au long de l’année 2022. Après la Conférence de Munich, Aliev avait de son côté salué un “progrès” dans la position de l’Arménie concernant le traité dont il ne cache pas qu’il attend le retour à un plein contrôle de l’Azerbaïdjan sur le Haut-Karabagh. Ce qui n’a pas manqué de faire réagir les opposants politiques de Pachinian, qui relancent leurs accusations relatives à une acceptation totale, par son gouvernement, des conditions posées par l’Azerbaïdjan pour un accord de paix. Vainqueur de la guerre de 2020 dont il estime qu’elle a réglé une fois pour toutes la question du Karabagh, courtisé par l’Occident comme par la Russie, l’Azerbaïdjan est il est vrai en position de force. Considéré comme un partenaire « fiable » par la président de l’UE Ursula von der Leyen elle-même, qui lors d’une visite à Bakou en juillet dernier, concluait un accord en vue de la livraison de gaz azéri à l’UE pour pallier – très légèrement- le gaz russe dont les Européens ne veulent plus pour cause de guerre en Ukraine, Aliev va recevoir la visite du ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov la semaine prochaine. Selon le ministère russe des affaires étrangères, Lavrov devrait accorder une “attention spéciale” à la mise en œuvre des termes de l’accord de cessez-le-feu négocié par la Russie le 9 novembre 2020 pour mettre un terme à six semaines d’une guerre sanglante entre Arméniens et Azéris, un texte qui est tenu par la Russie comme le fondement de la sécurité dans la région et d’une paix à venir entre les deux pays au terme d’un processus que les Occidentaux chercheraient à s’approprier, sinon à torpiller. “Nous appelons nos partenaires à Bakou et à Erevan à reprendre le travail commun dans chacun des domaines de la normalisation des relations bilatérales le plus vite possible”, a déclaré mercredi la porte-parole du ministère russe Zakharova. Zakharova a critiqué en termes à peine voilés les autorités de Erevan pour avoir annulé en décembre la rencontre trilatérale des ministres des affaires étrangères russe, arménien et azéri prévue à Moscou, en signe de protestation contre le blocus imposé par l’Azerbaïdjan au Karabagh avec le blocage du corridor de Latchine, seul axe reliant le territoire arménien à l’Arménie et au reste du monde. Alors que l’annulation par Bakou du sommet de Bruxelles début décembre avait fait espérer à Moscou une relance du processus de paix au Sud Caucase sous égide russe, la décision de Pachinian venait doucher les espoirs russes. En début de semaine encore, Moscou accusait l’UE et les Etats-Unis d’utiliser le conflit du Karabagh en vue d’avancer leurs pions dans le Sud Caucase et d’en évincer la Russie. L’Azerbaïdjan pour sa part, souffle le chaud et le froid, complaisant à la Russie en dénonçant le déploiement à l’appel de l’Arménie, d’une mission d’observation de l’Europe qui vient de prendre ses positions du côté arménien de la frontière arméno-azérie, tout en faisant savoir à Munich qu’il soutient le « processus de paix de Bruxelles »…
Le Département d’Etat américain et la rencontre arméno-azérie des prochains jours, par Garo Ulubeyan
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