Le Patriarche Arménien Mesrop II et la Turquie

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Interview du patriarche Mesrob II Mutafian, chef spirituel de la communauté apostolique arménienne de Turquie.

Les Arméniens avancent le chiffre de 1,5 million de leurs parents morts dans une campagne de génocide perpétrée par les Turcs ottomans durant la Première Guerre Mondiale, mais Ankara rejette l’accusation, disant que des Arméniens et des Turcs sont morts dans différentes guerres civiles, quand les Arméniens ont pris les armes pour l’indépendance de l’Anatolie orientale, pactisant avec les troupes russes qui envahissaient l’empire ottoman moribond.

Nous avions essayé d’interviewer Mesrob II depuis que Today’s Zaman a été fondé le 16 janvier, mais en raison d’événements malheureux – comme l’assassinat le 19 janvier de Hrant Dink, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Turco-Arménien Agos, l’interview avait été reporté. Le patriarcat avait fermé ses portes aux médias après avoir reçu de nombreuses menaces. Néanmoins, le patriarcat a commencé à s’ouvrir récemment afin de discuter davantage des problèmes de la communauté Turco-Arménienne.
Pour les entretiens du lundi, nous avons eu un interview franc avec le patriarche, allant de la politique à la sa vie privée, ses croyances et ses passe-temps favoris.

Pourriez-vous parler de votre enfance, de votre voisinage, de votre éducation ?

Je suis né à Istanbul à Tarlabaþý dans la rue de Yoðurtçu Faik. Nous avions des Musulmans, des Juifs, des Grecs et des Arméniens dans notre voisinage. Tout le monde connaissait tout le monde, et les célébrations religieuses importantes de l’autre. Nous avons eu des jours merveilleux et de nombreuses célébrations communes, particulièrement durant les vacances. J’ai grandi dans le voisinage de Taksim autour de Talimhane, là où se trouve la Place Taksim. Je suis allé à l’école arménienne Essayan à Taksim. J’ai continué mes études au lycée anglais de garçons d’Istanbul, puis à l’université américaine de Stuttgart en Allemagne. J’ai étudié la sociologie à l’université d’Etat de Memphis (Etats-Unis). J’ai continué à l’université hébraïque de Jérusalem, puis à l’université Angelicum de Rome et enfin à l’université Mary de Washington où j’ai obtenu mon Doctorat.

Quels bénéfices avez-vous retiré de vos études en sociologie ?

Je comprends mieux les gens

Avez-vous alors décidé d’étudier la théologie ?

Non. J’ai décidé d’étudier la théologie plus tard après que j’ai eu un accident aux Etats-Unis. J’étais censé mourir mais j’ai survécu. J’ai perdu mon meilleur ami dans cet accident. Après cela, la vie m’a donné une seconde chance et je me suis consacré à la religion.

Pourquoi jeûnez-vous pendant le Ramadan ?

Autrement je me sentirais coupable à l’heure de l’iftar (le repas rapide du soir).

Pourquoi vous sentiriez-vous coupable ?

Si je participe à l’iftar avec ceux qui ont jeûné toute la journée, sans avoir jeûné moi-même, je me sentirai coupable.

Jeûnez-vous tout au long du mois du Ramadan ou au moment même où vous êtes invités pour l’iftar ?

Le jeûne est également une pratique chrétienne, ainsi je n’ai aucun problème à jeûner tout le mois du Ramadan. Cela me rapproche de mes amis turcs et resserre nos liens.

Avez-vous des souvenirs affectueux du Ramadan ?

J’étais dans un village appelé Kýyýköy à Kýrklareli en 1974 moment du Ramadan. Je me levais en même temps que les villageois pour le sahur (petit repas pris avant aube, le dernier avant que la journée ne débute). C’est un souvenir affectueux pour moi.

Quelle est la journée-type pour vous ?

Parmi les fonctions patriarcales, il y a la visite des églises ainsi que les services liturgies. Je suis également occupé par mes rendez-vous.

Avez-vous des passe-temps ?

J’aime voyager.

Où aimez-vous aller le plus ?

A Jérusalem. J’essaye d’y aller une fois par an. En Turquie, j’aime longer le Bosphore. Un de mes endroits préféré est Kýyýköy. J’aime également Mersin.

Regardez-vous la télévision ?

En général je regarde les informations.

Regardez-vous des séries télévisées parmi les centaines existantes ?

Je regarde « Yeþeren Düþler » (les rêves rétablis).

Pourquoi aimez-vous cette série ?

Elle reflète la réalité d’un petit village où une famille essaye de dominer les autres. C’est une situation réelle.

Combien de patriarcats y a-t-il dans le monde ?

Il en existent 23 à travers le monde. Dans l’église arménienne, il y a quatre patriarcats : le premier est en Arménie le second au Liban, le troisième à Jérusalem et enfin Istanbul.

Y a-t-il des niveaux différents ou êtes-vous tous égaux ?

Le Catholicosat d’Arménie vient en premier. Tous les autres sont autonomes. Chacun gère ses propres affaires et ne se mêle pas de l’autre.

Un chef musulman, Mehmed le conquérant, a fondé le patriarcat d’Istanbul en 1461. Quelle en est la signification ?

La création du patriarcat arménien d’Istanbul est unique. Elle signifie que pour la première fois dans l’histoire un sultan musulman a établi un centre chrétien. C’est tout à fait positif pour le dialogue interreligieux.

Quels sont les sentiments de la communauté Turco-Arménienne vis à vis du nouveau gouvernement ?

L’attitude de la communauté envers l’AKP est généralement positive. Une des raisons principales est l’attitude agressive du CHP, particulièrement concernant les lois fondamentales. Aussi, notre communauté tend à soutenir l’AKP.

Y a-t-il des Arméniens intéressés par la politique, voire peut-être à être candidat ?

Oui, mais ils sont très peu.

Est-ce qu’ils seraient intéressés par des candidatures indépendantes ou sous l’égide d’un Parti ?

La majeure partie d’entre eux soutient l’AKP.
Si l’AKP les avait approché, auraient-ils accepté ?

Probablement

Y a-t-il eu des parlementaires arméniens dans l’histoire de la république ?

J’en connais un qui était directeur, en l’occurrence le principal du collège Essayan lorsque j’y étudiais. Son nom était Hermine Kaloustian.

Vous rappelez-vous en quelle année et dans quel parti politique ?

Je pense que c’était le CHP. Quant à l’année je ne m’en souviens plus.

Qu’est-ce qui changerait s’il y avait un parlementaire arménien ?

Tout d’abord nous serions représentés. Aucuns membres des minorités – que ce soit les Juifs, les Arméniens ou les Grecs – sont représentés au Parlement, bien que cela soit aussi notre Parlement.

Pensez-vous que les investigations sur le meurtre de Hrant Dink sont complètes ?

Je voudrais que les vrais responsables qui sont derrière ce crime soient retrouvés. Autrement la justice ne sera pas complète.

Êtes-vous inquiet ?

Je suis inquiet des mouvements nationalistes radicaux. Nous devons être plus tolérant dans la société. Le même principe s’applique aux relations avec l’Arménie. Nous avons besoin d’universitaires, de jeunes et d’artistes des deux côtés pour nous rendre visite mutuellement.

Le premier ministre Recep Tayyip Erdoðan a suggéré la formation d’un comité d’historiens des deux pays plus d’autres pour étudier l’histoire des relations, mais n’a pas eu de réponse de l’Arménie.

Sa suggestion était tout à fait positive. Je ne comprends pas pourquoi le côté arménien n’a pas répondu à une approche si positive sur l’étude des événements de 1915.

Vous avez dit ` événements de 1915′. Pensez-vous que c’était un génocide ?

Nous avons eu de gros problèmes dans le passé. Je trouve particulièrement l’approche de la punition collective des Arméniens par l’Ýttihat Terakki (Comité Union et Progrès), tout à fait fausse. Ce n’était pas la communauté arménienne dans sa totalité qui a pris les armes contre le gouvernement, et je crois que la République turque ne devrait pas être accusée de ce qui s’est produit alors. La Diaspora veut maintenir cette accusation tant qu’il y aura la négation de ce qui s’est produit.

Que pensez-vous de la motion sur le génocide arménien, en attente au Congrès américain ?

C’est tout à fait négatif, parce que la motion, non contraignante, sur le génocide arménien, en attente au Congrès américain, perturbe les relations entre les Turcs et les Arméniens de Turquie, de même qu’entre la Turquie et l’Arménie.

Comment cela ?

Nous sommes ceux qui vivent ici quotidiennement avec nos amis turcs. Le vote de la résolution jettera un froid dans nos relations.

La Diaspora arménienne des USA ne pense-t-elle pas à ces sensibilités dont vous venez de parler ?

Je ne pense pas qu’elle s’inquiète de nos relations ici. Pour elle, c’est une question politique.

Ont-ils pris contact avec vous ?

Non.

Avez-vous un contact avec eux ?

Non plus. Il y avait une conférence au sujet du génocide à Dallas, à laquelle j’ai été invité et j’y suis allé. Les Arméno-Américains ont protesté lors mon discours.

Pourquoi ?

Je présume qu’ils voient dans mon approche de la question comme une négation du génocide. Ils ne comprennent pas les sensibilités inhérentes.

Votre identité religieuse ne signifie-t-elle rien pour eux ?

A priori, non.

Retournerez-vous de nouveau à une telle réunion ?

J’irais encore.

Ainsi vous résistez aux protestations… ?

Je pense que mes propos sont justes.

Quel serait le plus mauvais scénario si la motion passait ?

Quelque chose peut se produire. Nous recevons des menaces quotidiennement.

Etes-vous suffisamment protégé ?

Oui, il y a quelques personnes de la sécurité autour de moi.

Qu’est-ce que la Turquie devrait-elle faire concernant le génocide ?

La Turquie a changé à cet égard. La question est de plus en plus discutée. La Turquie fait ce qu’il y a à faire.

La Turquie devrait-elle ouvrir la frontière avec l’Arménie ?

Je le voudrais bien parce que les relations de la Turquie et de l’Arménie sont l’otage du problème du génocide.

Qu’est-ce qui peut être fait ?

Les deux côtés doivent éduquer les relations au sein de leur population. Ils devraient regarder le futur et non être omnibullé par l’histoire.

Que peut faire le gouvernement turc pour les Arméniens habitant en Turquie ?

D’abord nous avons tous besoin d’écoles pour pouvoir avoir des ecclésiastiques. Nous manquons d’ecclésiastiques. Nous devons envoyer des personnes en Arménie ou à Jérusalem pour des études théologiques. Il n’y a aucune école ici. Je suggère une faculté de théologie dans une des universités à Istanbul. Nous avons besoin également d’une école de philologie pour étudier la langue arménienne occidentale, qui est différente de la langue arménienne orientale.

Et sur la question des fondements ?

Oui, mais notre ancien président a mis un veto.

Vous attendez-vous à ce que le nouveau président
l’approuve ?

Je l’espère.

Quelle est la population arménienne de Turquie ?

Approximativement 70.000 personnes – c’est la plus grande communauté chrétienne de Turquie -, réparties dans 23 villes d’Anatolie. Mais il y a seulement 26 religieux.

Avec si peu d’ecclésiastiques il est très difficile d’assurer des services religieux à la communauté. La majeure partie de la communauté, particulièrement en Anatolie, manque d’églises et quand les prêtres rendent visite à la communauté, ils doivent prier dans les maisons.

Vous aviez oeuvré pour avoir une faculté de théologie à Istanbul, est-ce exacte ?

J’avais travaillé sur cette question avec le Haut Conseil de l’Education (YÖK), mais il n’a pas été possible d’avancer après les élections. Affaire à suivre.

Vous avez rendu visite au Gal Yaþar Büyükanýt récemment. Pourquoi ?

C’est le chef d’Etat-major des Armées. J’ai mentionné nos communautés en Anatolie et notre désir de rendre visite à ces gens. Sans doute aucun, il nous a assurés que les forces de gendarmerie assureraient notre protection pendant de telles visites. Il a été tout à fait ouvert et amical.

Quels sont vos commentaires, pendant la période électorale, concernant le thème matérialiste – islamiste ?

Je ne pense pas que le sécularisme soit menacé en Turquie. Le sécularisme est tellement ancré dans la société depuis Atatürk, que je ne pense pas que quiconque puisse l’enlever.

La question a-t-elle été discutée dans la communauté arménienne ?

Notre communauté est très séculaire. Elle ne mélange pas le religieux et le laïc. Quelques informations incorrectes ont indiqué que j’avais fait pression sur la communauté pour qu’elle vote AKP. Notre communauté n’a jamais eu de directives de ma part sur la manière de voter et n’en aura jamais.

Qui est Mesrob II ?

Mesrob II est le quatre-vingt-quatrième patriarche de la communauté apostolique arménienne de Turquie. Il a été nommé en 1998 après que le décès du patriarche Karekin II. Mesrob II a étudié la théologie de 1979 à 1982 à l’université hébraïque de Jérusalem en Israël. Il a tenu plusieurs postes dans l’Eglise arménienne de Turquie : évêque, Président du Conseil religieux, délégué patriarcal pour les affaires oecuméniques, superviseur de classe théologique, vice-président du Comité Consultatif patriarcal et enfin Archevêque. Il est le rédacteur en chef de la revue théologique ‘Shoghagat’. Il a fourni un travail académique sur « Commentaires du Vartabed Vanakan de Davoush sur le livre de Job ». Il est trilingue -turc, anglais et arménien -, mais il connaît également l’arménien classique (Kerapar), l’hébreu classique, le français et l’italien, langues apprises au cours de ses études universitaires.

traduction d’un article de YONCA POYRAZ DOÐAN, ISTANBUL, ZAMAN

source: Zaman

Traduction : http://www.eafjd.org

raffi
Author: raffi

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