Des odeurs de tcheurek flottent de nouveau dans les rues de Diyarbakir, dans le sud-est de la Turquie : pour la première fois depuis huit ans, la communauté a pu se retrouver dimanche dans son église. Surp Giragos, l’église arménienne de cette grande ville à majorité kurde, était restée fermée depuis les affrontements en 2015-2016 entre l’armée turque et les combattants kurdes du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) qui
l’ont gravement endommagée, laissant la petite communauté sans lieu de retrouvailles.
Dans le quartier de Sur, le coeur historique de Diyarbakir, lui aussi presque entièrement détruit, l’église récemment restaurée reste l’un des rares témoignages de ce passé perdu. Surnommé « le quartier des infidèles » par les musulmans, en référence à ses habitants autrefois majoritairement chrétiens, le district était connu pour sa population modeste, ses ruelles étroites et ses maisons anciennes en basalte, la pierre volcanique noire caractéristique de l’architecture de la ville. Il présente aujourd’hui de larges avenues où des villas et des magasins flambants neufs côtoient les ruines de ce qui reste de la vieille ville.
Gentrification –
Le secteur de la construction a été pendant des années un des piliers de la politique économique du président Recep Tayyip Erdogan, souvent au détriment de la protection de l’héritage culturel et ouvrant la voie à la gentrification des quartiers. « Avant, on se taquinait entre nous en disant +Les infidèles sont partis, mais le quartier est là+. Mais avec les affrontements, le quartier a lui aussi disparu. Je crains qu’on ne puisse jamais retrouver la même ambiance », se plaint Gaffur Ohannes Turkay, membre de la fondation qui gère l’église. « C’est une célébration amère. Rien n’est comme avant », ajoute-t-il.
Pourtant, en 2011, la première restauration de l’église avait permis la reconstitution de la communauté arménienne de la ville que beaucoup croyait disparue après les massacres de 1915 et la discrimination et les violences qui, jusqu’aux années 80, ont poussé la plupart d’entre eux à partir pour Istanbul ou l’Europe. De nombreux Arméniens venant de familles islamisées avaient alors renoué avec leur culture originelle par le biais des activités comme des déjeuners ou des cours d’Arménien organisés par l’église. « On compte aujourd’hui 50 à 60 personnes qui font officiellement partie de la communauté arménienne de Diyarbakir. Mais beaucoup plus de gens viennent aux fêtes et aux rituels car il y a de nombreux Arméniens islamisés dans cette région », raconte M. Turkkay, qui vient lui-même d’une famille convertie à l’Islam pour survivre au génocide arménien conduit par les autorités ottomanes en 1915. Aussi, la fermeture pendant huit ans de l’église a porté un coup dur à cette communauté renaissante.
– Traces d’antan –
Mais l’église endosse désormais un nouveau rôle : elle offre un rare lieu où les habitants peuvent retrouver les traces du Diyarbakir d’antan. Alors que la population boude et décrie les parties reconstruites de lavieille ville, le jardin de l’église qui abrite aussi un café ne désemplit pas. « Dans ce quartier, je ne viens qu’ici. Je refuse de descendre plus loin. Ça me fait de la peine de voir le quartier comme ça », dénonce Irfan, un habitué du café de l’église. « On boycotte les autres lieux. Mais ici, c’est différent », renchérit Hikmet, un autre client. « L’église représente un lien avec le Diyarbakir disparu et c’est valable pour tous les habitants, chrétiens ou musulmans. Nous pouvons respirer ici, les parties reconstruites nous étouffent », confie Silva Ozyerli, une Arménienne originaire de Diyarbakir venue d’Istanbul pour célébrer Pâques. « Ici, on retrouve les traces du passé disparu. J’évite les parties reconstruites car je veux préserver la mémoire du quartier de mon enfance »,ajoute-t-elle.
A l’approche de l’élection présidentielle du 14 mai, peu d’entre eux croient qu’un éventuel changement de pouvoir puisse permettre une rénovation du quartier qui respecte son héritage culturel. « Pâques signifie la résurrection, la renaissance. Je voudrais garder espoir, mais retrouver le quartier d’antan semble impossible », affirme Mme Ozyerli. « Aujourd’hui je remercie Dieu d’avoir au moins préservé notre église ».
AFP