Le suicide énergétique de l’Europe

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Analyse.

Pierre Veya

Vendredi 29 juin 2007

Au début de l’année, l’Europe avait deux grands objectifs: réussir la libéralisation du marché de l’énergie et diminuer sa dépendance à l’égard de la Russie. A mi-parcours, le bilan est franchement mauvais. Au 1er juillet, tous les ménages européens pourront choisir librement leur fournisseur d’électricité ou de gaz. Peu le feront, sauf dans les pays nordiques, où la concurrence fait partie des habitudes. En France, les ménages sont instamment priés de ne pas quitter leur opérateur, sous peine de se voir pénaliser par des hausses massives des tarifs. Seule nouveauté exotique dans le paysage: la libéralisation a fait naître des offres d’énergies «vertes». Mais, à l’évidence, les ménages français (comme du reste leurs voisins suisses) continueront de financer les rabais colossaux accordés aux industriels et autres champions nationaux.

A Bruxelles et dans les pays nordiques, ce n’est toutefois pas le sort réservé aux ménages français qui préoccupe le plus, mais l’affaiblissement du principe même de concurrence. Avec la complicité de l’Allemagne, la France a réussi à bloquer la Commission qui voulait imposer une séparation entre producteurs, transporteurs et distributeurs, de manière à apporter la transparence et la concurrence dans la formation des prix. Les prestations seront certes distinctes sur le plan comptable mais Bruxelles craint (à raison) que, sans séparation juridique et économique, les anciens monopoles verrouillent l’accès au marché. D’un régime de monopoles, on glissera à un régime d’oligopoles qui sera dirigé par les plus forts, les fameux champions nationaux.

Cette évolution se double d’une infamie: l’anti-libéral Nicolas Sarkozy a obtenu que la notion de concurrence «non faussée» soit gommée du Traité constitutionnel, qui remplacera la Constitution. Avec ce coup de canif, les autorités de régulation, chargées de protéger les consommateurs, sont plus que jamais à la merci des égoïsmes nationaux qui rongent la compétitivité de l’Europe des 27.

Le second objectif de l’Union européenne qui consiste à réduire sa dépendance gazière vis-à-vis de la Russie est en panne, alors même que les risques de pénurie augmentent. Moscou, en l’occurrence son champion national Gazprom ne parviendra pas à honorer les livraisons de gaz promises dès 2010 déjà. Depuis que le Kremlin a repris en mains le secteur énergétique, la Russie produit toujours moins de gaz et de pétrole. Quant aux nouveaux gisements de Sibérie, le Kremlin n’a ni la technologie, ni les capitaux nécessaires pour les valoriser. L’éviction récente de BP des champs gaziers sibériens ne fait qu’aggraver ce que l’expert de l’Ifri Christophe-Alexandre Paillard qualifie de «mode d’emploi pour un suicide énergétique». Le bilan énergétique de la Russie est en réalité catastrophique et s’aggrave chaque jour davantage: les pertes de gaz dans le réseau ou plus simplement le gaspillage équivaudraient à plus de 30% de la production; ses besoins en gaz pour assouvir sa soif d’électricité ne sont déjà plus satisfaits et le rationnement existe dans certaines villes… pour assurer tant bien que mal les livraisons vers l’Europe de l’Ouest. Bruxelles n’ignore rien du risque réel de pénurie et cherche tout naturellement du gaz dans les anciennes républiques soviétiques, le gaz turkmène et de la Caspienne. Vladimir Poutine vient toutefois de prendre les Européens de vitesse en annonçant un accord avec le tout nouveau président turkmène. L’accord prévoit la construction d’un gazoduc qui contournera la mer Caspienne et transportera le méthane de son ex-vassal vers la Russie. L’Europe et les Etats-Unis ont bien un projet concurrent, le gazoduc Nabucco (voir carte), qui vise à siphonner les champs gaziers de la Caspienne, mais il se heurte à un obstacle de taille: le franchissement de la Turquie. Depuis que le président français a obtenu le ralentissement des négociations avec Ankara, les Turcs ne sont plus pressés d’accueillir les tuyaux du projet Nabucco. En bon joueur d’échecs, Moscou en profite pour multiplier les annonces de nouveaux gazoducs destinés toujours à l’Europe… avec le gaz de ses voisins, mais dont Gazprom contrôlerait l’exploitation, au grand dam des pays du Caucase qui rêvent d’avoir des clients qui paient en devises fortes et à des tarifs normaux. Or, après l’Allemagne qui a contourné la Pologne et l’Ukraine avec son projet de gazoduc sous la Baltique, l’Italie (Eni) et la France (Total (FP.PA)) négocient en solo des accords avec le géant russe alors même que la stratégie officielle de Bruxelles vise l’union sacrée et surtout la diversification des sources d’approvisionnement.

A Bruxelles, ça sent le gaz, et l’odeur pourrait bien être celle d’un suicide énergétique.

© Le Temps, 2007

raffi
Author: raffi

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