Le voyage historique de Jacques Chirac en Arménie

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En hommage à Jacques Chirac, nous publions pour la première fois sur armenews le compte rendu de sa visite en Arménie en septembre 2006. Un reportage de notre envoyée spéciale : Jeanine Paloulian

Il était là, présent au rendez-vous, massif, somptueux, s’élançant au-des-sus de la plaine, le sommet entièrement dégagé, dressé comme un gardien de l’histoire, îcone des origines de l’humanité.

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C’est l’Ararat en majesté, resplendissant, impérial, qui a accueilli Jacques Chirac, dès son arrivée sur la terre d’Arménie. Un spectacle à couper le souffle qui a fait murmurer au chef de l’Etat français « C’est magnifique ». Il s’est alors tourné vers Robert Kotcharian « It’s wonderful ».

Un rendez-vous que le président français avait pourtant bien failli rater, en arrivant de Bucarest, où il participait à un sommet de la francophonie, avec près d’une heure de retard.

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Avant lui, venus directement de France, les personnalités de la délégation, les invités personnels, et les chefs d’entreprises avaient pleinement pu goûter au spectacle, tout comme Bernadette Chirac arrivée elle aussi un peu plus tôt. Tous avaient instinctivement adopté le réflexe de ceux qui se posent à l’aéroport de Zvarnots. Ils cherchent l’Ararat du regard, mais éprouvent une véritable frustration lorsqu’il est dans les nuages.
Pour la première visite d’Etat d’un président français en Arménie, l’accueil aura été…sans nuages.
Pour s’être rencontrés à plusieurs reprises, particulièrement lors de la visite d’Etat de Robert Kotcharian en France, les deux chefs d’Etat se connaissent bien. Jacques Chirac et Robert Kotcharian se sont donc retrouvés le sourire aux lèvres et la poignée de main virile, pendant qu’un détachement rendait les honneurs, puis de furent les hymnes nationaux. Le coup d’envoi de deux journées de visite officielle, petites par la durée, mais grandes par l’impact.
Vendredi 20 heures

Le cortège officiel traverse en trombe les rues pavoisées aux couleurs de la France et de l’Arménie. Parce que visite d’Etat oblige, la circulation est coupée pour permettre le passage des voitures officielles, pour répondre aussi à l’impérieuse nécessité de rattraper l’horaire, pour le dîner d’Etat servi au palais présidentiel en présence de très nombreux invités.
Jacques Chirac et son épouse sont notamment accompagnés du ministre des Affaires étrangères : Philippe Douste-Blazy, du ministre des Transports : Dominique Perben, du ministre de la Fonction publique : Christian Jacob, du ministre de la culture : Renaud Donnedieu de Vabres, de l’ambassadeur de France en Arménie : Henry Cuny, des chefs d’entreprises et personnalités invitées, dont Charles Aznavour qui avait répété son spectacle, l’après-midi-même, sur la place de la République.

L’hommage à la diaspora

À l’heure des toasts, au début du repas, Robert Kotcharian rappelle les mille ans d’histoire qui lient les deux pays : « dans les moments décisifs nous nous sommes tou-jours retrouvés côte à côte… Nous sommes reconnaissants à la France d’avoir tendu sa main d’amitié et d’avoir donné refuge aux Arméniens rescapés du génocide. Aujour-d’hui leurs enfants sont devenus citoyens français à part entière et apportent leur contribution à la prospérité de l’Etat fran-çais ainsi qu’à la consolidation des liens franco –arméniens ».
« Dans les relations entre les nations, les visites d’Etat font partie de ces moments rares et précieux où se mêlent l’histoire et le destin des peuples, moments d’amitié, de respect, d’affection partagée », répond Jacques Chirac, avant de se tourner vers les Français d’origine arménienne. « Je veux saluer tout particulièrement les représentants de cette grande famille franco-arménienne qui me font le plaisir de m’accompagner dans ce voyage en Arménie. Chacun dans son domaine, ils font honneur à la France et à la terre de leurs aïeux ».

Samedi matin

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C’est par un hommage aux victimes du génocide que commence la longue journée du président français. Sur la colline de Dzidzernakapert, Jacques et Bernadette Chirac et la délégation au grand complet, empruntent la longue allée qui conduit au mémorial. Ils déposent une gerbe tricolore sur la façade du monument, observent une minute de silence, avant de descendre à l’intérieur, un œillet blanc à la main, pour se recueillir face à la flamme. Silence.

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Seule la musique de Komitas « sourp, sourp » enveloppe l’importante délégation.
Emotion. Le lieu frappe tous les visiteurs par son mélange de simplicité et de sobriété et la puissance de la flamme qui s’impose dans cet univers minéral. L’espoir et la vie, par-delà la stratégie d’anéantissement.
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Là où cinq ans plus tôt, presque jour pour jour, le pape Jean Paul II avait employé les mots-même des Arméniens « metz yeghern » (la grande catastrophe), le président français préfère le silence, pour confier ensuite sa « grande émotion ». Après la visite du musée, guidé par le directeur Lavrenti Barseghian, le président français accomplit, à son tour, le geste désormais traditionnel qui dit la confiance en l’avenir de la nation arménienne, celui de planter un arbre. Il est signé : Jacques et Bernadette Chirac.
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Les encouragements de Kotcharian

Après le rendez-vous de la mémoire, un deuxième temps fort attend le chef de l’Etat français, l’inauguration de la place de France en présence de milliers de personnes.
Au cœur de la capitale, au croisement de trois de ses principaux axes : les avenues Bagramian, Machdots et Sayat-Nova, la place de France jouxte l’opéra et vient compléter une autre place, celle de la liberté. C’est l’un des hauts lieux de l’Arménie.
En décidant de donner le nom de la France à cette place, le conseil municipal d’Erevan a voulu marquer le lien naturel qui existe pour toutes les démocraties entre la liberté et la France.

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Dans l’esprit des milliers de personnes massées sur la place qui brandissent les portraits des deux présidents, et agitent les deux drapeaux tricolores, ce lien ne fait aucun doute. Encore moins pour les étudiants de l’université française (la plus grande université française à l’étranger) présents au grand complet, portant des T shirts bleus, au logo de l’année de l’Arménie.
Après avoir retracé l’histoire qui lie l’Arménie et la France, Robert Kotcharian distille avec finesse ses encouragements à Jacques Chirac. D’abord en remerciant la France pour la loi de 2001 : « Nous apprécions hautement la reconnaissance du génocide arménien avec la force d’une loi ». Ensuite en valorisant son rôle au sein du groupe de Minsk « Je voudrais particulièrement souligner le rôle constructif de la France dans le processus du règlement du conflit du Haut kharabagh ». Enfin en rappelant que « dans plusieurs localités en France, il y a plus d’une centaine de monuments dédiés aux victimes du génocide ».
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Le président arménien n’ignore pas que onze jours après la visite de Jacques Chirac en Arménie, l’Assemblée nationale française doit se prononcer sur la pénalisation des négationnistes. Il ne peut, ni ne veut, et encore moins ne doit, interférer dans la vie interne de la République française, mais encourage habilement son homologue, avec de petites touches discrètes. Moins de trois heures plus tard, en conférence de presse, à la question de savoir si la reconnaissance du génocide arménien est un préalable pour l’entrée de la Turquie dans l’Europe, Chirac répondra : « honnêtement je le crois ».
En attendant, adossé à un décor de drapeaux français et arméniens, « en ces lieux témoins de la genèse du monde », Jacques Chirac cite Léon de Lusignan, Missak Manouchian, Gorki, Paradjanov et Aznavour, pour rappeler qu’avec l’année de l’Arménie en France, plusieurs centaines de manifestations se déploieront à travers tout le territoire français, jusqu’au 14 juillet.
Les deux président dévoilent ensuite la plaque de la place de France, devant laquelle les anciens combattants vont prendre du plaisir à poser pour les photographes, puis ils prennent un bain de foule avant de se rendre au palais présidentiel.

À leur suite, avant d’aller, pour sa part, visiter le Matenadaran en compagnie de Mme Robert Kotcharian, Bernadette Chirac se taille à son tour un grand succès parmi les femmes arméniennes gourmandes d’autographes.

La Turquie doit reconnaître le génocide

Sur l’avenue Bagramian, le palais présidentiel arménien n’a rien de commun avec les fastes de l’ Elysée, et c’est sous un chapiteau installé dans le jardin que doit se dérouler la conférence de presse des deux présidents. Plusieurs dizaines de journalistes sont présents, français, arméniens et aussi turcs dont la chaîne de télévision « D » et l’envoyé spécial permanent à Paris du quotidien Hurrieyt. C’est lui qui posera la dernière question à Robert Kotcharian évoquant un courrier, qui serait resté « sans réponse » du Premier ministre turc proposant au président arménien une « commission d’historiens ». La réponse de Kotcharian le renvoie dans ses cordes : « Je suis désolé que vous n’ayez pas été informé de ma réponse ». Ce qui est une manière très diplomatique de dire au journaliste turc qu’avant de poser une question, il devrait mieux vérifier ses sources… Le président arménien ajoute : « les chefs de deux Etats voisins, ne doivent pas communiquer par le biais de la presse mais au moyen des représentations diplomatiques qu’ils doivent avoir dans leur pays sur une base réciproque… Je suis désolé que ce genre de relations entre les Etats, turc et arménien, n’existe pas ». Autre manière diplomatique de rappeler que c’est la Turquie, qui, en imposant toujours son blocus à la frontière arménienne, rend tout dialogue impossible.

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Mais auparavant, c’est bien sûr Jacques Chirac qui va créer la surprise et l’événement en répondant aux journalistes du Figaro et du Monde. À la question de savoir si l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne passe impérativement par la reconnaissance du génocide arménien, la réponse est sans ambiguïté « Honnêtement, je le crois. Tout pays se grandit en reconnaissant ses drames et ses erreurs ». Chirac fait même un parallèle entre le génocide et la Shoah : « Peut-on dire que l’Allemagne, qui a profondément reconnu la Shoah, a perdu son crédit ? Elle s’est grandie. On pourrait le dire pour la France, dans d’autres circonstances et pour beaucoup d’autres pays. Un pays, une nation, se grandit toujours de reconnaître les erreurs qu’elle a pu commettre. Alors, quand de surcroît, il s’agit de s’intégrer dans un ensemble qui revendique l’appartenance à une même société et la croyance en de mêmes valeurs, je pense, effectivement, que la Turquie serait bien inspirée, au regard de son histoire, de sa tradition profonde, et de sa culture, qui est aussi une culture humaniste, d’en tirer les conséquences ».
Old Erevan

À la deuxième question portant sur la pénalisation des négationnistes, Jacques Chirac répond tout aussi directement. Sans imaginer qu’il sera démenti dix jours plus tard ? ou pour apaiser la Turquie ?
« Je voudrais rappeler, une fois de plus, que la France reconnaît le génocide arménien. Elle l’a officiellement reconnu, de par la loi. C’est donc notre loi. Cette loi s’impose à tous. En outre, vous le savez parfaitement, nous sommes un Etat de droit. La loi française condamne toute provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale…Cela montre bien que la France a pleinement reconnu la tragédie du génocide et que le reste relève plus, aujourd’hui, de la polémique que de la réalité juridique ».
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Une chose est certaine. Dans les heures qui ont suivi la conférence de presse, les représentations diplomatiques françaises en Turquie recevaient le texte intégral des propos de Jacques Chirac, pour d’éventuelles explications de textes.
Les deux présidents vont alors poursuivre leur séance de travail au cours du déjeuner à l’ Old Erevan.

Ambassade de France

Trois heures plus tard, dans les jardins de l’ambassade de France, qui fait face à la mairie d’Erevan, les élus français présents : Bernard Piras sénateur (PS) de la Drôme et président du groupe d’amitié France Arménie au Sénat, François Rochebloine, député (UDF) de la Loire, président du groupe d’amitié France Arménie à l’Assemblée nationale, Guy Tessier député des Bouches-du-Rhône, Hervé Mariton député (UMP) de la Drôme, les anciens ministres Renaud Muselier et Patrick Devedjian, commentent les propos présidentiels. Le député des Hauts-de-Seine ne boude pas son plaisir : « C’est énorme ! Le président interpelle la Turquie à la porte fermée de sa frontière », balayant d’un geste ce qui paraît être une hypothèque sur le 12 octobre : « laissez-moi savourer ce jour » et comme une promesse : « chaque chose en son temps ».

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François Rochebloine déguste l’interpellation à la Turquie « c’est que du bonheur » et regarde l’avenir « désormais s’ouvre une situation nouvelle ». Même satisfaction du côté d’Alexis Govciyan, président du CCAF, qui constate que cette visite est « véritablement devenue historique », tant par l’engagement du président que par le « parallèle établi avec la Shoah »  et considère dès lors comme « une nécessité répu-blicaine » une loi pour punir le négationnisme.

Concert gratuit

Lorsque Jacques Chirac arrive à son tour à l’ambassade avec son épouse, ses premiers mots sont naturellement pour remercier « chaleureusement » l’ambassadeur de France et Mme Henri Cuny(1). Le président s’adresse ensuite aux « 5 000 Arméniens de France qui, portés par les espoirs de l’après-guerre, retournèrent dans le pays de leurs pères pour aider à sa reconstruction » en direction de ceux qui sont présents au premier rang et très émus « votre rêve se brisa sur les sombres réalités de la dictature stalinienne. Pris au piège du totalitarisme, emmurés dans un système fermé, vous êtes devenus des naufragés de la terre promise. Malgré les difficultés, l’éloignement et l’oubli parfois, vous avez maintenu vos liens avec la France. La pérennité et la force de notre relation vous doivent beaucoup… La France connaît les épreuves que vous avez traversées, par ma voix, elle vous exprime son estime et son affection ».
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Puis, regardant vers l’avenir, il désigne l’université française partenaire de Lyon III, que les ministres français présents en Arménie ont visité dans l’après-midi, comme : « une chance pour le rayonnement de la France dans toute la région ».
Alors que l’après-midi s’achève dans une température très douce, des milliers d’Armé­niens ont déjà commencé à converger vers la place de la République, pour le concert exceptionnel de Charles Aznavour qui va lancer l’Année de l’Arménie. Le chanteur, qui a sa place à Erevan et même sa statue à Gumri, fait figure de héros national. Jacques Chirac l’a bien compris et pris soin de le citer nommément dans tous ses discours. La scène qui a été aménagée devant le musée national enjambe les fontaines de la place. Un millier de chaises dont les places coûtent entre 100 et 300 euros, vont accueillir tout ce que l’Arménie compte de notables. Les milliers d’autres suivront le concert gratuitement mais debout, jusque dans les promenades de verdure. Le centre d’Erevan est interdit à la circulation depuis plusieurs heures et la foule aura patienté de longues heures pour ne rien rater du spectacle.
Sur la rue Abovian, dans l’hôtel Golden Tulip qui jouxte la place Aznavour, et qui passe en boucle les chansons du « grand Charles », sont logés « tous les amis de Charles », Line Renaud, Michel legrand, Nana Mouskouri, Isabelle Boulay, Hélène Segara qui posent pour les photographes. Jean Claude Brialy tout de blanc vêtu remplace « au pied levé » Michel Drucker qui devait animer la soirée, mais a déclaré forfait à la suite de sa chute lyonnaise.

Saint Grégoire l’Illuminateur

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La nuit est tombée sur Erevan, les personnalités ont pris place, le catholicos Karékine II est présent. Robert Kotcharian et Jacques Chirac arrivent ensemble. Commencent alors deux heures d’un spectacle dont on parlera longtemps. Line Renaud ouvre le bal et lance à la foule « merci de nous avoir donné Charles Aznavour » ajoutant un « chnoragalem » plein de bonne volonté. Les artistes se succèdent, s’attachant pour la plupart à prononcer quelques mots d’arménien, avant de laisser la place au héros du jour. Dès la première chanson, les Emigrants, Aznavour boucle la boucle de son histoire personnelle et des relations franco-arméniennes. Tant pis pour ceux qui attendaient « ils sont tombés », ils auront cependant eu la plupart des classiques : Paris au mois d’août, Désormais, J’m voyais déjà, Les plaisirs démodés, Que c’est triste Venise, la Bohême, Emmenez-moi, et aussi Le mort vivant, un hommage à la liberté de la presse. Un choix symbolique, pour inviter fraternellement l’Arménie à parfaire sa démocratie. C’est une chorale d’enfants d’Erevan qui aura le dernier mot, avant un feu d’artifice remarquable dont le bouquet final s’achève en bleu-blanc-rouge.

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Dimanche matin, avant de regagner la France, le président français et son épouse vont rendre visite au catholicos Karékine II, à Etchmiadzine. Au cours de l’entretien, le chef de l’Eglise apostolique arménienne va aborder la question du kharabagh, puis il emmène ses hôtes visiter la cathédrale.
Dans la petite église c’est la bousculade, lorsque le couple présidentiel se recueille devant les reliques de saint Grégoire l’Illuminateur. Jacques et Bernadette Chirac visitent rapidement le trésor d’Etchmiadzine, avant de regagner l’aéroport tout proche.
Dernière cérémonie protocolaire, dernière poignée de mains entre Kotcharian et Chirac. Dernier regard vers l’Ararat, effacé du paysage. Les nuages ont dressé un mur entre l’Arménie et la Turquie.

Jeanine Paloulian

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La rédaction
Author: La rédaction

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