Législatives : l’Arménie saisit sa dernière chance

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« Les élections législatives du 2 avril ont été bien administrées et les libertés fondamentales ont été en général respectées ». Cette appréciation constitue la première phrase du rapport des observateurs de l’OSCE sur le scutin du 2 avril dernier. Et elle donne quitus au pouvoir en place de sa large victoire, en dépit des critiques sur l’achat des voix et autres pressions. Des pratiques qui ne relèvent hélas pas de son apanage exclusif. Le clan de son principal rival, Gaguig Dzaroukian (arrivé deuxième avec 27% des voix), n’a en effet rien à lui envier en la matière. Le texte de ce rapport digne de foi des observateurs de l’OSCE, est bien plus modéré et nuancé dans ses critiques, que l’impression qui en ressort à la lecture des comptes rendus donnés à chaud par quelques organes de presse qui ont préféré faire leur gros tîtres avec ses aspects critiques. Et il ne contredit pas dans le fond celui des observateurs de la société civile (sous l’égide de Transparency Internationale), qui ont dénoncé, à ce stade, quelques centaines de cas d’irrégularités. Ce qui est bien sûr trop, mais peu significatif par rapport aux 1 500 000 votes comptés et contrôlés en toute transparence. Un chiffre qui ne semble pas devoir être mis en doute, sauf à la marge, étant donné les moyens de surveillance fournis à grands frais par l’Union européenne qui s’était fortement impliquée pour veiller à la bonne marche de ces législatives. Les félicitations des États-Unis qui ont dressé un bilan plutôt positif du scrutin confirment l’impression générale qu’il s’est correctement déroulé. En dépit des critiques récurrentes et traditionnelles des organisations de l’opposition qui ont toutefois reconnu la victoire du Parti Républicain, même si elles en contestent l’ampleur et la régularité, en particulier celles qui se sont fait le plus laminer.

Comment alors comprendre le contraste entre ce résultat, en forme de plébiscite pour le régime de Serge Sarkissian, et le « dégagisme » à son encontre qui est à Erevan dans toutes les bouches ou presque ? La réponse tient en trois explications. La première a trait à la médiocrité de l’opposition. Le principal rival de Sarkissian, Gaguig Dzaroukian et son parti Arménie Prospère, n’ont en effet rien pour inspirer l’amour, sauf à prendre pour argent comptant leur promesse de raser gratis. Ainsi cet oligarque, l’une des plus grandes fortunes de l’Arménie, a-t-il multiplié les engagements les plus démagogiques, jusqu’à affirmer que ses amis étrangers étaient prêts à investir 15 milliards de dollars dans le pays, s’il était élu. Outre les liens qu’on lui prête avec Robert Kotcharian, l’ancien président dont il serait la devanture publique, l’appartenance de son parti au club des conservateurs eurosecptiques n’a en soi rien d’enthousiasmant, en tout cas pour la fraction de l’électorat qui souhaite le départ de Sarkissian au nom du progrès.

Que dire des autres forces, plafonnant autour des 2%, et dont la violence verbale à l’égard des autorités n’a d’égal que la faiblesse du score ? Quel renouveau pouvait incarner le Congrès National Arménien, qu’on l’a déjà vu à l’oeuvre au pouvoir, ou l’alliance ORO, constituée par trois anciens ministres, plus ou moins discrédités ? Idem pour la FRA qui a certes maintenu son socle traditionnel de sympathisants, mais dont les collaborations successives avec les régimes de Kotcharian et de Sarkissian obèrent sa capacité à symboliser l’alternance. A cet égard, seule la coalition Yelk (Issue), formée par le parti civil de Pashinian, le parti « Lumineuse Arménie » de Marukian et le parti Hanrapetutyun (République) d’Aram Sarkisian a tiré son épingle du jeu en devenant la troisième force du pays avec environ 8 % des voix. Un résultat encourageant pour cette troïka progressiste poussée par les élites urbaines en quête de modernité.

Outre la faible attractivité de l’opposition, la deuxième raison du score du pouvoir en place tient à des considérations socio-anthropologiques. La menace de guerre figure en tête des facteurs favorisant l’immobilisme. Le besoin de sécurité plaide en l’occurrence pour la stabilité politique, quoi qu’il en coûte par ailleurs. Cette thématique a d’ailleurs été au centre de la campagne du parti républicain. A cela s’ajoute le fait que dans les pays marqués par une importante tradition rurale, l’opinion a tendance à suivre les rapports de forces, à respecter les dominants, en particulier les potentats locaux. Dans le vieil esprit post-féodal, « mieux vaut tenir que courir » : d’où les scores du PR dans les régions, même si, paradoxalement, la population y vit dans des conditions de grande précarité. Enfin les appareils idéologiques d’État, auxquels s’ajoute l’usage par le pouvoir des ressources administratives, font, dans le secret de l’isoloir, le lit du statu quo. Les irrégularités dénoncées ( achats de voix, climat de menaces internes et externes) participent dans ce contexte au verrouillage du système. Elles n’apparaîssent cependant pas comme la principale raison du résultat qui plonge ses fondements dans la peur de l’inconnu et son corollaire : l’inclinaison au conservatisme.

Pour conclure, le troisième et dernier facteur de la victoire du PR est lié au mouvement d’espoir qu’il a su créer en dépit d’un bilan largement vilipendé, notamment du fait de la situation économique et des carences de l’État de droit. La personnalité du Premier ministre actuel, Karen Karapétian, a été à cet égard essentielle. Quoi que l’on puisse penser de sa capacité à changer les choses en profondeur, force est de reconnaître qu’il jouit d’une importante cote de popularité (80%). C’est dire qu’il incarne un vrai pôle d’espérance, d’autant plus crédible qu’il bénéficie du soutien de l’aile réformatrice d’une certaine oligarchie éclairée (également dans la diaspora), qui a pris conscience de la nécessité impérieuse de sortir le pays de la nasse, ne fut-ce qu’au nom de ses intérêts à long terme. Il représente avec Viguen Sarkissian et Arpine Hovhannissian, la ministre de la Justice, aux côté desquels il a mené campagne pour le Parti Républicain, le visage d’un renouvellement de génération à l’allure moderniste. Cette perspective de changement dans la continuité, offrant le plus de garanties en termes de sécurité et le moins de risque en matière d’aventure politique, a visiblement constitué un choix réaliste pour une majorité d’électeurs. D’autant qu’elle bénéficie apparemment d’un soutien bienveillant de Moscou, qui n’a pas intérêt à laisser l’Arménie dériver trop loin dans le déclin, mais aussi des Européens qui voient dans ces « rénovateurs » une force d’ouverture.

Avec ce vote, placé sous le signe de l’éthique de responsabilité, il semble bien que l’Arménie ait franchi un nouveau palier sur la voie de la liberté et de l’Etat de droit auxquels elle aspire de ses vœux. Elle dispose cependant d’une marge de progression dans ces domaines, tout en sachant que la démocratie ne se résume pas aux élections. Les combats en sa faveur appellent en effet des mobilisations entre deux scrutins pour faire bouger les lignes à la base, notamment dans les secteurs de la justice, du niveau de vie, de la libre concurrence, de la lutte contre la corruption, de la dignité des travailleurs et des questions sociétales en général. Autant de chantiers qui permettront à l’Arménie d’aller vraiment de l’avant.

Ara Toranian

La rédaction
Author: La rédaction

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