L’élargissement oui, la dilution et le chaos non

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Treize ans après la chute du mur de Berlin, le sommet de Copenhague a officialisé la réunification historique du continent européen. A tous égards – militaire, politique, économique, moral -, l’élargissement à l’est constituait un impératif auquel l’Union européenne a eu raison de ne pas se dérober. Au-delà du symbole, le plus dur reste pourtant à faire car l’intégration de l’Europe centrale et orientale demeure une entreprise gigantesque et redoutable.

Pour relever cet immense défi, les nations d’Europe doivent revenir à l’essentiel : l’identité et la finalité de leur union. Hélas, l’exact contre-pied en a été pris à Copenhague sur la question de l’adhésion turque. Car ne nous y trompons pas : repousser à 2004 l’ouverture des négociations avec Ankara relève de l’engrenage infernal. Depuis quelques semaines d’ailleurs, toutes les déclarations officielles laissent entendre qu’on a alors acté à mots couverts une inexorable intégration. On a donc choisi, non content de charger la barque, d’ajouter de la confusion, au risque de provoquer l’effondrement ultime de l’édifice commun.
Les peuples d’Europe, forts d’une conscience historique aiguë, l’ont bien compris. L’examen des réalités, géopolitiques, démographiques et politiques, ne leur donne d’ailleurs pas tort. Comment en effet considérer comme « européen » l’ancien empire ottoman, situé pour l’essentiel hors de notre continent ? Nier à ce point la géographie, c’est prendre le risque d’une grave déstabilisation de l’Union. La dynamique nationale turque est d’ailleurs au moins autant tournée vers l’Asie centrale turcophone (au point qu’Ankara accorde sur simple demande aux ressortissants de ces anciennes Républiques soviétiques la nationalité turque) que vers la Méditerranée.

Souvenons-nous aussi que l’histoire commune turco-européenne, si souvent invoquée par les partisans de l’adhésion, a essentiellement été placée sous le signe d’une expansion militaire et religieuse, refoulée seulement à l’extrême fin du XIXe siècle !

La démographie turque ne rapproche pas davantage ce pays des nations d’Europe : outre qu’elle compte de nombreuses communautés émigrées dans l’Union (qui fausseraient la donne électorale dans les pays d’accueil en cas d’adhésion), la Turquie, du fait de son peuplement, obtiendrait dans les instances européennes une prépondérance inversement proportionnelle à sa ressemblance avec les autres membres (songeons à son PIB par habitant, représentant le 1/5 de celui de l’Union).
Quant à la question essentielle de la laïcité turque, elle est beaucoup plus ambiguë qu’il n’y paraît : d’un côté, celle-ci est imparfaite et précaire (elle s’apparente à une sorte de concordat, par nature révocable), de l’autre, seules des élites extrêmement minoritaires s’en revendiquent. En fait, cette quasi-façade de laïcité ne tient que par l’armée, au détriment de la bonne santé démocratique du pays. La victoire électorale des islamistes, qui représentent le vœu majoritaire du pays réel mais qui sont loin, malgré leurs dénégations, de chérir la modernité occidentale, est emblématique de ce dilemme…

Pourquoi alors l’entêtement hypocrite de certains dirigeants européens ? Hétéroclites comme toutes les justifications qui étayent les mauvaises causes, les raisons ne manquent pas : routine d’une construction européenne « au petit bonheur la chance», fondée sur l’inconséquence de la fuite en avant, opportunisme électoral (Schröder), acharnement à contrecarrer toute émergence d’une Europe politique (Angleterre et Etats-Unis), posture bien-pensante qui brandit un universalisme détourné pour cacher une incapacité morale à assumer les différences,… Mais dans ces conditions, pourquoi ne pas proposer conjointement des négociations d’adhésion à l’Ukraine, à la Biélorussie, à la Mol-davie, à Israël et aux pays arabes du pourtour de la Méditerranée ? Le temps n’est-il donc pas venu, au contraire, de reconnaître l’erreur du sommet d’Helsinki, qui a malencontreusement ouvert la voie de l’adhésion turque ?

Alors pourrait être proposée à Ankara une solution alternative à cette impasse programmée : celle d’un partenariat nouveau permettant à la Turquie de jouer pleinement son rôle à la charnière de l’Europe, de l’Asie et du Proche-Orient.

Les peuples de l’Union, qui prennent aujourd’hui toute la mesure de l’enjeu européen, veulent désormais avancer les yeux ouverts et les pieds sur terre. Aussi, si le débat turc leur était confisqué, gageons qu’ils se le réapproprieraient lors des référendums sur la ratification du futur traité sur les institutions de l’Union et des prochaines élections européennes. Echaudés par les manquements récents de la construction européenne, ils risquent de ne pas pardonner à leurs dirigeants une nouvelle inconséquence. Surtout si elle devait se révéler fatale à l’œuvre commune.

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Author: raffi

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