Les ambigüités de certains élus dans le val-de-marne

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Dans le Val-de-Marne, la communauté arménienne conserve un ancrage solide à Alfortville. Une assise bien réelle, consolidée par une relation d’amitié et de confiance solide nouée avec le maire, Luc Carvounas, la député, Isabelle Santiago, trois adjoints au maire et deux conseillers municipaux délégués d’origine arménienne. Mais qu’en est-il de la présence d’élus franco-turcs ailleurs dans le département ?

Force est de constater qu’en l’espace d’une génération de nouveaux visages sont apparus dans le paysage politique local. Si la première génération d’immigrés avait gardé un profil bas, la seconde génération née sur le sol français revendique sa place dans l’espace public afin de faire entendre une autre voix. Ainsi, il existe dans le Val-de-Marne deux maires d’origine turque : Denis Osturgun, le maire PCF de Bonneuil-sur-Marne (issu d’une famille alévie) et Metin Yavuz, maire LR de Valenton qui a ravi la commune aux communistes lors des dernières municipales. C’est du reste dans cette ville, qui jouxte le sud de Créteil, qu’un centre culturel et cultuel turc est en cours de construction où se situe le siège de l’association culturelle franco-turque du Val-de-Marne. Aussi hétéroclite soit-elle, la communauté des Français originaires de Turquie, implantée dans le Val-de-Marne a fait souche à Villeneuve-Saint-Georges, où se trouve une mosquée et où la confrérie créée par l’imam Fethullah Gülen avait ouvert son premier collège « laïc et républicain », en 2009, avec une directrice pédagogique d’origine arménienne. De son côté, le Millî Görüs qui a tant fait parler de lui au travers de son rejet de la Charte des principes du Conseil national des Imams, a sa mosquée dans la commune de Fontenay-sous-Bois.

Que se passe-t-il à Créteil ?

Plus proche d’Alfortville, il y a Créteil, ville-préfecture où se situe le conseil départemental. L’inamovible maire PS Laurent Cathala – élu une première fois en 1977- en est à son huitième mandat. C’est dans cette ville où des communautés successives de Juifs d’Afrique du Nord, d’Asiatiques, de Maghrébins, d’Africains et de Turcs se sont progressivement fondues dans le paysage. Créteil a été un lieu de résidence de diplomates turcs qui, à l’époque des attentats de l’ASALA, vivaient sous protection policière. Les actions de coopération entre la ville de Créteil et l’Arménie ont débuté en 1997, puis, en juillet 2019, une convention de partenariat et d’amitié a été signée avec la ville de Gumri. Indépendamment de cela, on note le jumelage, en 1993, entre les hôpitaux Henri Mondor et Erebouni, sous l’impulsion du docteur Jean-Claude Kouyoumdjian. Et jusqu’à preuve du contraire les communautés turques, juives et arméniennes semblent cohabiter en bonne intelligence, du moins à en croire Thomas Lardeau, chef de cabinet du maire, joint par la rédaction des Nouvelles d’Arménie. Point de Millî Görus ni de Loups gris. Mais un « sympathique militant macroniste » de LREM répondant au nom de Mehmet Ceylan.
Candidat malheureux aux dernières municipales, qui est en tête de liste LREM pour les départementales. Ce jeune trentenaire avait suscité une vague d’inquiétude auprès des Français d’origine arménienne. À l’époque, il avait été interpellé par Delphine Kouyoumdjian, ancienne élue de Créteil (Société civile). S’il ne remettait pas en cause les engagements pris avec Gumri, sa réponse au sujet du génocide des Arméniens, est demeurée quant à elle bien plus évasive. Un silence suffisamment troublant pour que l’association arménienne demande le retrait de sa candidature et que le quotidien Le Parisien en fasse une brève. Un an après les faits, nous avons pris contact avec l’intéressé qui s’est ouvertement indigné d’avoir été pris à partie sur cette question. Joint par la rédaction, l’homme politique nous a parlé de son parcours, somme toute assez classique, d’un enfant de la seconde génération aspirant à une intégration républicaine réussie. Il a grandi aux Bleuets, quartier prioritaire de la ville (QPV) ; une mère au foyer, un père natif de Yozgat d’origine tcherkesse, arrivé en France pour faire une thèse sur la Turquie dans l’Europe.

Un candidat au discours ambigü

« J’ai grandi avec une double culture et dans un esprit de tolérance. Avant de m’engager en politique, j’étais investi dans le milieu associatif, j’ai travaillé pour améliorer l’insertion professionnelle de jeunes diplômés issus de quartiers défavorisés », rappelle ce juriste de formation qui s’est engagé en politique avec enthousiasme aux côtés d’Emmanuel Macron de La République En Marche et qui est actuellement attaché parlementaire du député LREM du Val-de-Marne, Frédéric Descrozaille. Le candidat évoque les problèmes qui reviennent en boucle : l’insécurité, le logement… A-t-il fait l’objet d’une attaque en règle en raison de ses origines turques ? Non, si ce n’est cette désagréable interpellation en plein tractage au sujet du génocide des Arméniens qu’il a perçu comme une sommation, le couteau sous la gorge. « Sur le sujet du génocide des Arméniens, je n’ai pas d’avis particulier, je connais les deux thèses arménienne et turque mais je ne suis pas expert dans ce domaine », dit-il après un silence gêné. Et de poursuivre : « J’ai eu la chance d’être élevé par un père qui nous a appris l’ouverture vers l’autre, j’ai un grand nombre d’amis arméniens qui m’ont soutenu après cet article. » A-t-il peur d’être mis au ban par ses compatriotes d’origine turque s’il reconnaissait publiquement le génocide ? « Il y a un risque d’être pris à partie mais chacun a le droit à la liberté d’expression », souligne-t-il. « On m’a posé cette question parce que je m’appelle Mehmet et que j’ai des origines turques, je trouve cela choquant, surtout que si cette association arménienne m’avait invité je serais venu volontiers dialoguer ». Dans cet exercice d’équilibriste périlleux, le jeune militant macroniste n’est pas à une contradiction près, reconnaissant que s’il était élu, il ne serait nullement gêné d’assister à la journée de commémoration du génocide. Et d’ajouter : « Ce n’est pas en agressant les gens que l’on va pouvoir dialoguer ». Certes, il est plus que temps que des associations turques et arméniennes puissent se rencontrer et échanger sur les tabous et mettent en avant leur patrimoine culinaire commun. « Si je passais mes étés en Turquie, je me sens avant tout Français par mes attaches et mon vécu, tout en ayant ma culture turque », poursuit-il. Toujours en tant que Français il n’ose pas s’exprimer sur la loi mémorielle. Enfant et adolescent, il se rendait tous les étés dans son pays d’origine, ce qu’il ne fait plus depuis quelques années. Serait-ce dû aux conséquences du coup d’État manqué de 2016 et des rumeurs qui circulent dans le milieu turc de Créteil au sujet de la proximité de la famille du candidat Ceylan avec la confrérie Fethullah Gülen, pourchassée par le régime d’Ankara ? Le jeune Ceylan ne s’épanchera pas sur ce sujet ultra­sen­sible. Gageons que son appel au rapprochement arméno-turc soit dénué d’arrières-pensées.

La réaction de Delphine Kouyoumdjian

Ancienne élue à la mairie de Créteil, Delphine Kouyoumdjian revient sur cette interpellation. Jointe par la rédaction des NAM, elle rectifie le titre en précisant que « tous les candidats ont été interpellés sur la question de la reconnaissance du génocide. Seul David Cousy (EELV), que je ne connaissais pas d’ailleurs, s’est clairement positionné en le reconnaissant publiquement. Je comprends la difficulté de réponse de Mehmet Ceylan. Mais à question simple, réponse simple : oui ou non ! Soit, il reconnaît le génocide et il se met sa communauté à dos, soit il ne le reconnaît pas et il est négationniste. C’est bien là toute la problématique ! » Une non-réponse troublante qui pose question. Craint-elle que sa démarche soit perçue comme de la turcophobie par les militants d’origine turque ? Delphine Kouyoumdjian répond sans détour que « Mehmet Ceylan est assez intelligent pour comprendre que là n’est pas la question […] Je ne suis pas anti-turc, mais anti-négationniste, je fais bien la distinction. Le négationnisme n’a pas de nationalité ni de couleur de peau. Mais je mets en garde Mehmet Ceylan de ne pas en enclencher le mécanisme de l’inversion accusatoire qui consiste à transformer les victimes en coupables », prévient-elle. Et d’ajouter : « Je trouve cela assez hypocrite de dire qu’il se rendra sans problème en Arménie ou assistera à une cérémonie du 24 avril alors qu’il ne reconnaît pas le génocide. Cela n’a pas de sens. Nous aurions aimé, nous les Arméniens, ne pas avoir à commémorer tous les ans le 24 avril depuis 1915. A-t-il bien conscience de la symbolique de cette date ? Est-il conscient des mots qu’il emploie ? Les mots ont un sens. Mais ce n’est pas à un juriste que je vais l’apprendre. » Lucide, l’ancienne élue d’origine arménienne veut croire en la possibilité de travailler en bonne intelligence avec des associations franco-turques « à condition qu’elles reconnaissent préalablement le génocide des Arméniens et qu’elles aient les mains et les pensées libres comme tout citoyen français à l’abri de l’ingérence de la Turquie ». Car, à ses yeux, « il faut arriver à « éduquer » cette génération turque et les futures nées en France mais qui grandissent avec une information erronée de l’histoire. Je serai totalement disposée à en discuter, de vive voix, avec lui autour d’un café maure. Comme le veut la tradition arménienne, nous pourrions ensuite retourner nos tasses et y découvrir un avenir plus chaleureux dans le marc de café ! Et puis, qui sait, peut-être sommes-nous cousins ! Après tout, mon arrière-grand-mère maternelle a été retenue en captivité pendant 33 ans dans un harem turc. Elle y a été violée, certainement engrossée. Peut-être a-t-il, lui-même, des origines arméniennes qu’il ne soupçonne même pas ! ».

Zaven Djandjikian
Article parû dans NAM 286
Juillet-Aout 2021

La rédaction
Author: La rédaction

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