Les autorités arméniennes du Karabagh réagissent avec vigueur aux déclarations de Pachinian

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A peine arrivé au pouvoir à Erevan à la faveur de la Révolution de velours, en mai 2018, Nikol Pachinian s’était fait fort de relancer avec l’Azerbaïdjan un processus de dialogue qui ne s’était pas remis des effets délétères de la « guerre des 4 jours » d’avril 2016. Le processus de négociations qu’il avait engagé avec le président azéri Ilham Aliev, au détour de différentes réunions internationales, était informel, quoique toujours sous arbitrage du Groupe de Minsk de l’OSCE, mais Pachinian s’était permis d’avancer, dès la fin 2018, qu’il l’avait fait progresser mieux qu’aucun autre de ses prédécesseurs avant lui. On évitera de confronter ces déclarations, que l’on mettra sur le compte de l’emphase de Pachinian, à la réalité inquiétante de l’Arménie, qui s’apprête, moins de deux ans après sa défaite face à l’Azerbaïdjan dans la guerre du Karabagh de l’automne 2020, à conclure un « traité de paix » avec Aliev, aux conditions de ce dernier, pour l’essentiel… Sinon pour rappeler qu’avant que l’armée azérie, aidée de la Turquie, n’impose cette guerre à l’Arménie, les médiateurs russe, américain et français du Groupe de Minsk de l’OSCE, sans faire avancer pour autant les négociations de paix autour du Karabagh, avaient obtenu de Pachinian et d’Aliev qu’ils s’engagent à « préparer leurs peuples respectifs à la paix ». La formule avait alors suscité bien des craintes en Arménie et dans l’Artsakh, où l’on pressentait des concessions majeures ; elle prend tout son sens aujourd’hui, à la lueur des propos tenus par Pachinian le 13 avril lors d’une séance de questions au gouvernement au Parlement arménien où le premier ministre arménien, dans un long plaidoyer « pro domo » mâtiné d’autocritiques, a fait comprendre que le « traité de paix » qu’il était tenu de conclure avec Bakou, sous la pression de la communauté internationale, pourrait se faire au prix de la question fondamentale du statut du Haut-Karabagh et que les Arméniens devaient s’y préparer. Il va sans dire que les Arméniens de l’Artsakh ne se montrent pas prêts à entendre un tel discours et leurs autorités l’ont fait clairement savoir jeudi 14 avril, en critiquant vivement Pachinian, qu’ils ont appelé à ne pas aider l’Azerbaïdjan à reprendre le contrôle du territoire arménien et en assumer la souveraineté. “Toute tentative d’incorporer l’Artsakh dans l’Azerbaïdjan conduira à un bain de sang et à la destruction de l’Artsakh”, a ainsi déclaré Davit Babayan, le ministre des affaires étrangères du Karabagh, en ajoutant : “et après la destruction de l’Artsakh, il n’y aura plus de République d’Arménie”. Pachinian avait indiqué le même jour que la communauté internationale exerçait des pressions sur l’Arménie pour qu’elle “place la barre un peu plus bas sur la question du statut du Haut-Karabagh” et reconnaisse l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan. Il avait réaffirmé que Erevan était disposée à faire de telles concessions à Bakou, alimentant de ce fait les suspicions de l’opposition selon lesquelles il acceptait que l’ Azerbaïdjan reprenne le contrôle du Karabagh. Babayan a signalé que les propos de Pachinian avaient suscité une “vague de protestation” au Karabagh, et s’est dit convaincu qu’ils étaient également tenus pour inacceptables par la plupart des citoyens d’Arménie et au sein de la Diaspora arménienne. “Nous n’avons plus de ‘barre’ désormais, nous n’avons que des lignes rouges tracées par le sang”, a ajouté le chef de la diplomatie du Karabagh en précisant : “ Notre ligne rouge est que nous ne ferons jamais partie de l’Azerbaïdjan. C’est hors de question”. Pachinian, a-t-il poursuivi, se trompe lorsqu’il prétend que “l’ensemble de la communauté internationale est contre nous… Et quand bien même l’ensemble de la communauté internationale serait congre nous … nous continuerions à nous battre jusqu’au bout ». Le Parlement du Karabagh a inscrit à son ordre du jour les implications de la déclaration de Pachinian, débattue lors d’une réunion d’urgence de ses députés, plus tard, dans la journée de jeudi. Dans une résolution adoptée à l’unanimité de ses membres, le Parlement a demandé aux autorités arméniennes de “renoncer à leur position désastreuse actuelle”. « Nul gouvernement n’a le droit d’abaisser la barre des négociations concernant un statut acceptable pour l’Artsakh et le droit internationalement reconnu à l’auto-détermination sous le prétexte de la paix”, indique le texte de cette résolution. Arayik Harutiunian, le président du Karabagh, a discuté de ce sujet brûlant avec les représentants de la scène politique locale et de la société civile, lors de rencontres séparées à Stepanakert mercredi. Il a souligné à cette occasion que les Arméniens du Karabagh ne renonceront jamais à exercer leur droit à l’auto-détermination. De son côté, Pachinian restait sur ses positions et les réitéraient devant le Parlement arménien jeudi. “Tout ce que j’ai dit c’est tout sauf rendre le Karabagh … Si nous suivons une voie différente, nous devrons rendre le Karabagh”, a déclaré le premier ministre d’Arménie devant les députés. “J’ai l’impression qu’il y a des gens qui voient la population du Karabagh quitter [le territoire] le plus vite possible”, a ajouté le premier ministre en martelant : “Non, nous disons nous que le peuple du Karabagh ne doit pas quitter le Karabagh, le peuple du Karabagh doit vivre au Karabagh, le peuple du Karabagh doit avoir des droits, des libertés et un statut”, en se gardant toutefois encore de préciser quel pourrait être un tel statut. Le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev n’a eu de cesse de répéter qu’il refuserait d’accorder quelque statut d’autonomie au Karabagh, sans parler d’une reconnaissance du territoire arménien hors de l’Azerbaïdjan, qu’il n’envisage même pas. Aliyev affirme par ailleurs que Bakou a mis un terme au conflit du Karabagh en remportant la guerre de l’automne 2020. Pachinian et Aliyev s’étaient rencontrés à Bruxelles le 6 avril dernier pour discuter des modalités d’un « traité de paix » arméno-azéri sous l’égide du président du Conseil européen Charles Michel. Aliyev s’était montré satisfait de cette rencontre, à l’issue de laquelle il avait déclaré que l’“Arménie renonce à ses revendications territoriales” sur son pays, une conclusion que Erevan a nuancée en affirmant que l’Arménie n’avait jamais eu aucune revendication territoriale, et ne faisait que défendre les droits des Arméniens du Karabagh.

Garo Ulubeyan
Author: Garo Ulubeyan

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