« Les Chrétiens de Malatya  » par Jean Meyer

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La Chrétienté en Turquie

Par Jean Meyer, historien franco-mexicain.

Traduit de l’Espagnol.

La ville de Malatya se trouve en Turquie profonde, loin d’Istanbul-
Constantinople, mais près de l’Irak. Elle est célèbre pour avoir été
le berceau d’Ismet Inönü, deuxième héros révolutionnaire de la
République turque et compagnon du père fondateur de la Turquie
moderne, Mustafa Kemal « Atatürk ». Je lis dans mon Guide encyclopédique
de la Turquie : « la route pénétre dans une région montagneuse qui,
après un tronçon pittoresque devient plus désertique, jusqu’à la
vallée de Malatya, un nid de verdure qui longe la ville. C’est une
ville agréable, avec de vastes avenues entre des maisons entourées de
potagers et de vergers. Elle est très différente des autres villes du
plateau Anatolien.

Ce que ne dit pas le guide, c’est que dans cette ville est né et a
grandi, Ali Agça, celui qui s’est rendu célèbre pour avoir tiré sur
Jean-Paul II, à Rome. Il ne dit pas non plus, parce que la tragédie
est trop récente, qu’à Malatya, le 18 avril 2007, trois personnes ont
été égorgées dans une édition de chrétiens protestants. Entre toutes
les églises chrétiennes, ce sont les évangélistes qui obtiennent le
plus de succès de par leur prosélytisme en terre islamique, en Asie
Centrale, au Maroc et en Algérie. La Turquie est un pays qui affiche
quelques 5 mille conversions récentes, chose scandaleuse et
inadmissible pour les musulmans fondamentalistes : dans certains pays,
la « sharia », ou, loi du Corán et de la Tradition, condamne à mort
l' »apostat ».

L’édition mentionnée plus haut se nomme Zirve et publie depuis plus de
vingt ans des bibles et de la littérature chrétienne en Turc. Sa
succursale de Malatya travaillait depuis cinq ans sans problème dans
une région à population chrétienne arménienne. De temps à autre les
éditeurs, tant à Istanbul qu’à Malatya, recevaient des menaces de
groupes extrémistes, mais ils ne s’en sont pas sérieusement préoccupés
jusqu’à ce jour de janvier 2007 quand Hrant Dink, le journaliste de la
Communauté Arménienne turque, a été assassiné par un membre de
l’extrême droite (avec la complicité de certains policiers) devant le
siège de sa Revue.

Hrant Dink était aussi un chrétien protestant et son décès, qui a
affecté les nombreux libéraux turcs, musulmans ou non, a été un signal
d’alarme pour tous les chrétiens de Turquie (peu nombreux). En février
2006, le prêtre catholique Andrea Santero avait été assassiné par un
mineur dans la ville de Trabzon (ancienne Trebizonde des Grecs et de
l’empire byzantin) sur la Mer Noire, en pleine crise internationale
avec les caricatures de Mahomet. Durant la même année 2006, deux
autres Catholiques religieux avaient aussi été attaqués. L’adolescent
qui a assassiné Hrant Dink venait lui-même de Trabzon.

La tentative de Malatya doit rappeler au monde que les chrétiens
turcs, citoyens loyaux de cette république, ont pu survivre en se
rendant le plus discret et petit possible. Ce silence leur a permis de
rester sur la terre de leurs ancêtres, une terre qui a été chrétienne
pendant presque 15 siècles et qui a abrité des millions de chrétiens,
dans le cadre d’un Empire ottoman multiconfessionnel et
multi-ethnique, jusqu’à la grande catastrophe de 1922, à savoir
l’expulsion de presque 2 millions de « Grecs » orthodoxes, parallèlement
à l’expulsion symétrique de 800 mille turcs de Grèce.

De nos jours il est impossible de savoir combien de chrétiens vivent
en Turquie ; officiellement quelques dizaines de milliers
d’arméniens, syriaques, grecs, auxquels il faut ajouter quelques
catholiques et une petite mais dynamique communauté d’évangélistes
récemment convertis. Les arméniens sont 50 mille, avec 30 églises et
une douzaine d’écoles. Ce qu’on ignore c’est la présence des chrétiens
des catacombes, officiellement musulmans, fils d’arméniens qui ont
sauvé leurs vies en 1915, convertis de force à l’Islam. Un ami me
comptait son étonnement quand il a vu dans de nombreuses ruines
d’églises (beaucoup ont été systématiquement détruites durant ces
dernières années pour faire disparaître tout vestige archéologique
d’une ancienne présence chrétienne) des fleurs et des veilleurs, dans
des régions comme la Capadoce ou la Cilicie où il ne reste apparemment
pas un seul chrétien.

Sur la carte d’identité turque apparaît la mention de la religion,
bien que, depuis l’année 2005 il n’est plus obligatoire de remplir
cette case. Une des conditions à remplir par la Turquie dans la cadre
de sa candidature à l’Union Européenne. Candidature qui représente le
grand espoir des chrétiens turcs. Pour être juste, il faut mentionner
que la Grèce orthodoxe a un problème analogue avec Bruxelles et
Strasbourg. En effet, elle mentionne la religion dans son IFE, ce que
l’UE, avec raison, n’admet pas.

Dans le Sud-est de la Turquie, région de Tor Abdin, non loin de la
Syrie, vivaient il y a 80 ans quelques 250 mille chrétiens de l’Église
syriaque, celle qui parle encore l’aréméen, la langue du Christ. Dans
cette région qui était chrétienne à 80% jusqu’à il y a deux
générations, il n’en reste seulement que 25 mille. Que s’est-il passé
? La population parle d’une campagne de meurtres systématiques ces
dernières décennies qui a provoqué une émigration accélérée. « Quand
nous allions au marché, nous nous retrouvions face à des durs, au
service de l’État, qui nous persécutaient, parce que notre présence
représentait une tache pour les fanatiques de l’Islam ou de la  »
turquicité « . Selon eux en Turquie, il n’y a pas de place pour ceux
qui ne sont pas musulmans et qui ne sont pas turcs « . En somme il
s’agit d’une entreprise « d’épuration éthnique » au goutte-à-goutte.

Il existe une Association turque courageuse des Droits de l’Homme où
militent des musulmans, chrétiens, juifs, athées et agnostiques qui
défendent toutes les minorités éthniques, culturelles et religieuses.

Cela vaut la peine de souligner, ce qui peut paraître un paradoxe, que
cette Association a davantage confiance en l’actuel gouvernement,
islamiste modéré, que dans l’opposition officiellement laïque et
républicaine. Elle a reçu l’appui du parti au pouvoir, l’AKP
islamiste, duquel elle dit qu’il est plus libéral qu’islamiste, et
plus nationaliste que l’opposition dont le principal parti répète :
« En Turquie il n’y a pas de minorités ; tout le monde est turc et
musulman « .

Jean Meyer, historien franco-mexicain originaire d’Aix-en-Provence,
auteur d’une trentaine d’ouvrages, est professeur et chercheur au
Centre de Recherche et d’Enseignement Économique (CIDE) où il a fondé
et dirige la Division d’Histoire. Membre de l’Académie mexicaine
d’Histoire depuis l’an 2000, directeur de la Revue d’Histoire
Internationale « ISTOR », il a été professeur-chercheur à Paris,
Perpignan et à l’Université de Michoacan (Etat du Mexique). Une de ses
spécialités : Les conflits politico-religieux.

Traduction Jean Eckian

raffi
Author: raffi

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