Les enseignants tiraillés sur la lettre de Guy Môquet

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Les enseignants tiraillés sur la lettre de Guy Môquet
Education. Lundi prochain, ils doivent lire à leurs élèves l’adieu du jeune communiste.

Véronique Soulé

LIBERATION

QUOTIDIEN : mardi 16 octobre 2007

«L’an dernier, c’était les effets positifs de la colonisation. Aujourd’hui, on nous demande de lire la lettre de Guy Môquet en classe le 22 octobre. Et l’an prochain pourquoi pas un discours de Paul Déroulède ?» Professeur d’histoire, Paul, 34 ans, est furieux. Il n’a rien contre la lettre du jeune résistant communiste. «C’est l’instrumentalisation de l’histoire que je ne supporte pas, explique-t-il, cet appel à célébrer le patriotisme et la résistance contre les nazis, alors même que l’on instaure des tests ADN pour les étrangers, ça me dérange.»

Enseignant dans deux lycées de la région de Maubeuge (Nord), Paul hésite encore sur ce qu’il fera lundi, jour de la commémoration de l’exécution de Guy Môquet avec 26 camarades le 22 octobre 1941. Dans l’établissement où il donne cours, il devait suivre une journée de stage sur les nouvelles technologies. Il pourrait l’écourter, lire la lettre et enchaîner par une discussion sur la manipulation politique.

Cette journée du souvenir, à l’initiative du Président, risque de se dérouler dans un certain chaos. Dans un texte publié le 30 août, le ministre de l’Education nationale, Xavier Darcos, appelle «les équipes éducatives à se mobiliser», et donne le sens de cette célébration : elle «est l’occasion de rappeler l’engagement des jeunes de toutes régions et de tous milieux qui firent le choix de la résistance, souvent au prix de leur vie.»

Pressentant peut-être les remous, le ministre donne un cadre très souple à cette journée. La lettre pourra être lue dans la matinée «en classe ou en grand groupe», par les enseignants ou par des résistants ou des déportés. La lecture pourra être suivie par l’un des onze textes proposés par le ministre, où figurent des poésies d’Aragon et de René Char, et sera complétée par une «réflexion collective», autour de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale. «Je suis pour, tranche Ilias, 36 ans, prof de lettres et d’histoire dans un lycée professionnel parisien, d’ailleurs je n’ai pas attendu le nouveau président pour la lire à mes élèves.» Mais, fils d’émigrés grecs, il ne s’en tient pas là : «Je lis aussi la dernière lettre de Manoukian [résistant arménien, ndlr] à sa femme. Pour montrer que des étrangers aussi ont donné leur vie pour la France.» Militant du Snalc (Syndicat national des lycées et collèges, à droite), il ne sera pas là lundi car il assiste au congrès du syndicat. «C’est ma collègue chargée de la vie professionnelle qui lira la lettre, je lui prépare le matériel pour resituer le contexte.»

Lundi, on risque de se retrouver face à des situations fort diverses. Certains proviseurs, «très légalistes» , vont tout faire pour se conformer à la demande du ministre. En décrétant par exemple que la première heure de cours sera consacrée à la lecture de la lettre.

Cérémonies. Une prof d’espagnol a déjà été avertie qu’elle devrait s’y mettre. D’autres proviseurs, moins chauds, ont fait comprendre qu’ils n’iraient pas dans les classes. Les établissements portant le nom de Guy Môquet vont organiser de vraies cérémonies en présence du recteur ou de députés, souvent communistes. Premier syndicat du secondaire, le Snes (Syndicat national des enseignants du second degré, à gauche) a appelé ses membres à organiser dans leur établissement «un refus collectif». «Il faut savoir quel maître nous servons : le savoir ou le pouvoir.» Un collectif fait signer une pétition sur la Toile (1). Plus modéré, le Sgen-CFDT (Syndicats généraux de l’Education nationale, à gauche) refuse de donner une consigne mais s’inquiète de «l’articulation entre usage politique, devoir de mémoire et crédibilité pédagogique».

Résistants. En fait, de nombreux enseignants vont naviguer à vue, soucieux de ne pas «désobéir» au ministre – aucune sanction n’est toutefois prévue – mais agacés de se voir dire ce qu’il faut faire. Beaucoup lisent déjà des lettres de condamnés, font des visites dans les camps de concentration ou invitent des résistants à témoigner. De plus, au lycée, la Seconde Guerre mondiale n’est étudiée qu’en classe de première, et plus tard dans l’année. Et en terminale, on étudie la mémoire de la guerre. Les enseignants tiennent à cette progression. Prof dans un collège de Seine-Saint-Denis, Christophe a eu la surprise de trouver une lettre de son principal dans son casier : «Que faites-vous le 22 octobre ?» «Ça devait pourtant être réservé aux lycées. Au collège, on commence par l’Antiquité.» Christophe n’a pas répondu. Il songe à lire la lettre puis à engager une discussion sur le thème : «A quoi résisteriez-vous aujourd’hui ?»

(1) collectif.diogene@orange.fr

raffi
Author: raffi

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