Les hautes technologies qui ont fait défaut à l’Arménie dans la guerre de l’Artsakh

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Nouvelles d’Arménie Magazine : À quel point les hautes technologies ont-elles joué un rôle dans la guerre de l’Artsakh à l’automne 2020 ?
Sevan Araz :
La technologie est un élément critique et un avantage dans la puissance militaire, parallèlement à d’autres facteurs. Les hautes technologies ne devraient donc pas être isolées, le leadership et la doctrine d’un pays sont également des points importants. Ces dernières années, l’Azerbaïdjan était conscient qu’il s’embarquait dans une spirale de dépenses militaires en accumulant de nouvelles capacités. Et ils ont développé leur avantage technologique sur le champ de bataille à leur solde. Malheureusement, l’Arménie était très au fait de ces changements militaires et elle n’a pas été capable de suivre le rythme de l’Azerbaïdjan et de déployer une capacité armée équivalente.

NAM : Cette guerre technologique était-elle prévisible ou bien fut-elle une surprise ?
S. A. :
Je pense qu’elle était prévisible. Nombre de ces acquisitions militaires sont publiques. Et, au fil des années, l’Arménie était au courant que l’Azerbaïdjan achetait différentes sortes d’armements technologiques dans la région et particulièrement en provenance de la Turquie, d’Israël, de la Russie. Pourtant, sachant cela, ni les gouvernements arméniens précédant l’arrivée de Nikol Pachinian, ni celui en place pendant le mandat de ce dernier, ne s’y sont préparés de façon adéquate.

NAM : Que manquait-il au niveau de la défense ?
S. A. :
La technologie qui a cruellement fait défaut, ce sont les drones et les appareils pour les drones. Ces dernières années, l’Arménie a produit des drones, mais ce ne sont pas de vrais drones de combat. D’après ce que j’ai compris, les mois précédant la guerre, des compagnies arméniennes préparaient des drones de combat, mais ils n’étaient pas prêts à encore opérer sur un terrain de guerre. Et malheureusement, l’Arménie n’avait pas de ressources anti-drones à proprement parler. Nous possédions des anti-drones venus de Russie, mais ils ne fonctionnaient pas bien. Je voudrais insister sur un point que les gens ont du mal à comprendre : les ressources anti-drones sont des engins très récents et même les États-Unis font face à beaucoup de difficultés pour concevoir ces appareils qui pourront contrer les drones. Les anti-drones ne sont pas encore une science exacte, et les États-Unis en sont encore au stade d’expérimentation dans ce domaine. La Russie a quelque peu développé cette technologie due à son implication dans le conflit en Syrie, mais même la Russie n’est pas à la pointe dans ce domaine. Donc, à mon avis, l’Arménie aurait dû s’approvisionner plutôt aux États-Unis et en Europe.

NAM : Récemment, l’armée britannique a déclaré qu’elle devrait se lancer dans un nouveau programme de drones armés en réponse à l’utilisation controversée de la technologie de l’Azerbaïdjan lors de sa victoire sur l’Arménie dans le conflit de l’Artsakh. Selon le journal britannique The Guardian, des sources du ministère de la Défense ont ajouté que le Royaume-Uni souhaitait se procurer ses propres drones, moins chers dans le cadre de l’examen quinquennal de la défense qui doit être officiel bientôt. Qu’est-ce que ce type de déclaration nous apprend sur la façon dont les gouvernements font la guerre au XXIe siècle ?
S. A. :
C’est la première fois dans l’histoire de ce siècle que les drones ont joué un rôle aussi majeur dans une guerre. Je pense que cela témoigne du fait que la vitesse de la guerre augmente de manière importante et nous avons vu que cette guerre s’est terminée très vite ; cela montre qu’il y a un changement de mécanisme ; les nouvelles technologies mènent à des conflits de courte durée mais d’autant plus dévastateurs pendant la période de crise. Malheureusement, tout le monde est en train d’en tirer des leçons à nos frais. L’académie militaire américaine de West Point et d’autres institutions militaires occidentales ont en effet écrit des articles et essais qui se fondent sur la guerre de l’Artsakh. Mais je pense qu’il faut bien intégrer que les hautes technologies ne sont qu’une facette de la force militaire. Ce que j’entends par là, c’est que nous ne pouvons pas maximiser la fonctionnalité des engins de haute technologie dans une guerre, en l’abscence d’un leadership et d’une doctrine solide. Il me semble que c’est également une leçon à tirer pour l’Arménie. La doctrine est un guide pour opérer dans un contexte armé. N’importe quelle guerre est chaotique mais, dans ce contexte, il faut essayer de faire preuve d’ordre et de contrôle, autant que possible, et c’est ce qui a cruellement fait défaut à l’Arménie.
Les machines tiennent un rôle plus important que jamais, mais je ne pense pas qu’il faille mettre de côté les combats humains et je crois que même si des technologies de pointe sont utilisées sur le terrain, les soldats restent une ressource extrêmement considérable. En fait, nous en avons eu la démonstration durant la guerre. Malgré la défaite de l’Arménie et le nombre vertigineux de soldats tombés (environ 4 000), les pertes humaines du côté de l’Azerbaïdjan sont également très lourdes (environ 3 000 selon Bakou, même si récemment il a été fait mention de plus de 10 000, ce que le président azerbaïdjanais, Ilham Aliev dément).

NAM : En mai 2019, l’administration de Pachinian a modifié la loi sur le complexe militaro-industriel qui stipulait le rétablis­sement d’un comité militaro-industriel sous la tutelle du ministère des Hautes technologies. Cette décision était-elle judicieuse ?
S. A. :
Je suis un peu sceptique à ce propos. Les États-Unis avaient fait de même en créant plusieurs comités pour l’innovation dans la défense. Le problème est que l’objectif était de les rapprocher pour les connecter au service militaire, à l’armée de terre, à l’armée de l’air. L’objectif est de comprendre quels sont les besoins, les faiblesses et répondre à ces besoins et de combler le fossé en termes de capacité. J’ai interviewé plusieurs personnes au cours de ces derniers mois et elles ont approuvé la démarche car le ministère des Hautes technologies était le mieux placé pour influencer l’écosystème technologique arménien afin de développer ces solutions. Mais il y a le risque de couper les liens avec le ministère de la Défense, ce qui entrave l’intégration de ces moyens dans l’ensemble militaire. Le problème de ce comité, c’est son manque de transparence. Je ne sais pas, par exemple, de quoi et de par il est composé ? Dans ce type de corpus, il faut intégrer la société civile, une représentation militaire travaillant main dans la main avec l’aspect technologique. Dans de nombreux pays, le financement des armes militaires et de nombreux programmes sont transparents. Je pense que cela permettrait de faire comprendre au public quels sont les enjeux.

NAM : Le Premier ministre Nikol Pachinian s’est montré lui-même très surpris par les armements militaires achetés précédemment aux Russes. L’Arménie ayant perdu la guerre, est-ce que ces armements étaient les plus appropriés pour contrer la technologie de l’Azerbaïdjan ?
S. A. :
De mon point de vue, toutes les technologies en possession de l’Arménie ont bien été intégrées dans l’usage militaire. Mais s’il n’y a pas d’entraînement et de pratique dans le juste usage de l’arsenal, il y a peu de chances de maximiser leur utilité sur le champ de bataille. Je pense donc qu’il est nécessaire que l’armée soit entraînée sur la manière d’adapter cet arsenal au champ de bataille spécifique de la région. Je pense également que s’approvisionner en force militaire seulement en Russie et créer une dépendance vis-à-vis d’elle est vraiment dangereux.

NAM : Un an est passé (avec toutes ces conséquences) depuis le début de la guerre. Certaines organisations ou entreprises des hautes technologies se sont lancées dans le développement d’appareils à des fins belliqueuses. Que pensez-vous de ces initiatives ? Ces projets seront-ils vraiment efficaces et assez rapides lorsqu’en face, l’adversaire azerbaïdjanais a investi des milliards pour avoir accès à ces technologies et menace régulièrement l’Arménie de nouvelles attaques ?
S. A. :
Je pense que l’idée de ces programmes est au moins de développer notre capital humain et d’apporter, à l’avenir, la connaissance nécessaire pour créer des armements militaires. Malheureusement, toutes ces initiatives prévoyantes et ces programmes sont isolés, ils s’effectuent sans la présence du leadership du gouvernement arménien. Sans un soutien étatique, je n’imagine pas qu’un réel résultat puisse être espéré lors d’une prochaine guerre. Sans une stratégie forte, ces start-up n’amélioreront pas notre préparation au terrain de bataille.

NAM : L’Arménie est toujours sous la menace d’une autre guerre, puisque l’Azerbaïdjan fait fréquemment preuve d’un comportement agressif en lançant des attaques aux frontières arméniennes. Quelles mesures rapides doit prendre le gouvernement du point de vue de l’armement de guerre technologique ?
S. A. :
Je pense que ce dont on a urgemment besoin, c’est d’une évaluation des besoins au moins sur cinq ans. Nous devons comprendre quelles seront les limites des capacités et quels seront nos futurs besoins dans les cinq années à venir. Il faut pour cela une analyse approfondie de ce qu’il s’est passé durant la guerre. Et au-delà de cela, il ne faut pas lâcher l’Azerbaïdjan ; il faut que l’Arménie sache quel est le plan de l’adversaire, quelle artillerie elle possède, quels sont ses objectifs, etc. L’Arménie devrait au moins penser son futur militaro-technologique de telle sorte qu’elle puisse repousser les attaques azerbaïdjanaises avec force.

Propos recueillis par Ani Paitjan

La rédaction
Author: La rédaction

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