Le 21 février 1944, les nazis exécutaient au Mont-Valérien les membres du groupe Manouchian. Un documentaire, réalisé par Jorge Amat et Denis Peschanski, raconte l’histoire de leur traque.
Par Jean-Emmanuel Ducoin
L’histoire mérite toujours plus qu’une évocation simplifiée au milieu d’un beau discours. Pour avoir oublié qu’on ne « jouait » pas en toute impunité avec les traces du passé – qu’elles soient détournées de leur sens par ci ou récupérées par là – beaucoup ont vu leur orgueil idéologique contredit par les faits. Parfois même par la découverte de nouveaux documents. Depuis le milieu des années quatre-vingt et le film odieux de Stéphane Courtois et Mosco Boucault qui accusèrent la direction clandestine du Parti communiste de l’époque d’avoir lâché sinon sacrifié le groupe Manouchian, l’Affiche rouge aura alimenté bien des polémiques indignes. Jusqu’à l’ouverture d’archives inédites, policières, judiciaires et autres…
Le hors-série que nous publions cette semaine est très important. Car le documentaire offert avec ce numéro, réalisé par Jorge Amat et l’historien Denis Peschanski, et intitulé la Traque de l’Affiche rouge (1), est une pièce d’histoire supplémentaire absolument irremplaçable. Non seulement le film confirme ce que nous savions, à savoir que la « thèse » de Courtois-Boucault était une construction idéologique et anticommuniste, mais il raconte, dans le détail, la lutte, la chute et le procès de ce groupe de résistants dans le Paris de la fin 1943. Les réalisateurs montrent l’impitoyable traque que la police française (les brigades spéciales) fit à ces résistants membres de la MOI, gamins pour la plupart, ces résistants, ces étrangers, ces juifs, ces communistes. Pour la première fois, Denis Peschanski exhume des documents originaux et, sous l’oeil de la caméra, nous suivons l’historien pas à pas aux archives du musée national de la Résistance, à la Fondation de la Shoah, au Mont-Valérien ainsi qu’aux archives de la préfecture de police. Tous les cheminements du groupe Manouchian sont ainsi décrits, des actions héroïques aux filatures, en passant par l’ampleur des moyens déployés pour parvenir aux arrestations, avant la torture et le massacre par les armes, un 21 février 1944 dans la clairière du Mont-Valérien. Dans le documentaire, des grands témoins de l’époque témoignent. Et dans notre hors-série, nous leur donnons la parole : Lise London, Cesar Covo, Roger Trugnan, Paulette Szlifke-Sarcey, Irma Mico, Robert Endewelt, Adam Rayski, etc. Tous se souviennent. Tous parlent d’hier. Et tous évoquent notre présent à la lumière de ce passé.
C’était il y a un peu plus de soixante ans. On les appelait « Ceux de l’Affiche rouge ». Pour les générations d’après-guerre, ils furent un poème d’Aragon, puis une chanson, quand Ferré y mit une musique. Dix visages sur une affiche. Mais « vingt et trois étrangers et nos frères pourtant ». Héros morts pour la France. Et pour toujours plus forts que la haine.
(1) Un documentaire produit par la « Compagnie des phares et balises », que nous tenons à remercier particulièrement.
Article paru dans l’édition du 13 février 2007
L’HUMANITE
