Les juges fédéraux reconnaissent la réalité du génocide des Arméniens

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Tribunal fédéral

En confirmant la condamnation par la justice vaudoise du militant turc Dogu Perinçek pour négationnisme, Mon-Repos applique pour la première fois la norme pénale contre le racisme aux événements de 1915.

Denis Masmejan

Jeudi 20 décembre 2007

Ceux qui nient la réalité du génocide des Arméniens savent désormais ce qu’ils risquent. Dans une décision rendue publique mercredi, le Tribunal fédéral a confirmé la condamnation pour négationnisme de l’homme politique turc Dogu Perinçek. La justice vaudoise l’avait reconnu coupable d’infraction à la norme pénale contre le racisme pour des propos tenus en Suisse à diverses reprises. Le Tribunal de police de Lausanne lui avait infligé 90 jours-amendes avec sursis et une amende de 3000 francs.

Son avocat, Me Laurent Moreillon, s’est montré prêt à aller plus loin et à saisir la Cour européenne des droits de l’homme. C’est la première fois au monde, semble-t-il, qu’une cour suprême prononce une condamnation pour négation du génocide des Arméniens, s’est réjouie pour sa part l’Association Suisse-Arménie, décelant dans ce jugement «un signal aux autres pays.»

Les massacres à grande échelle dont a été victime la population arménienne dans l’Empire ottoman en 1915 méritent d’être considérés comme un génocide dont la contestation est réprimée par la loi à l’instar de l’Holocauste, a estimé le Tribunal fédéral.

Ne pas faire l’histoire

Si elle constitue une première, cette qualification ne fait toutefois son entrée que par la petite porte. C’est sous l’angle de l’arbitraire seulement que les juges ont statué. Cela ne change rien au résultat et que peu, a priori, aux répercussions que ce jugement est susceptible d’avoir, mais le Tribunal fédéral s’est borné à juger que les constatations de fait aux termes desquelles la justice vaudoise a conclu à la réalité du génocide n’étaient pas infédendables. La décision n’a d’ailleurs été prise que par trois juges, alors que les arrêts de principe sont d’ordinaire rendus à cinq.

Pour le Tribunal fédéral, le problème n’est pas tant la qualification des événements, car il n’appartient pas aux juges de faire l’histoire. Ce qui compte, c’est la signification qui leur est prêtée, «l’appréciation portée généralement sur cette qualification dans le public et au sein de la communauté des historiens.» Dans cette perspective, juge le Tribunal fédéral, c’est à juste titre que les tribunaux vaudois ont admis l’existence d’un large consensus à ce sujet, fondé sur des travaux historiographiques.

Il n’y a pas de contradiction, aux yeux des juges, entre le fait de punir la contestation du génocide des Arméniens et le refus du gouvernement suisse de reconnaître officiellement l’événement. «Selon la volonté clairement exprimée du Conseil fédéral, sa démarche est guidée par le souci d’amener la Turquie à opérer un travail de mémoire collective sur son passé. Cette attitude d’ouverture au dialogue ne peut être interprétée comme la négation de l’existence d’un génocide et rien n’indique que le soutien exprimé en 2001 par le Conseil fédéral à la création d’une commission d’enquête internationale n’aurait pas procédé d’une telle démarche.»

«On ne peut en déduire, d’une manière générale, qu’il existerait un doute suffisant dans la communauté, scientifique en particulier, sur la réalité du caractère génocidaire des faits de 1915.»

Les juges excluent par ailleurs que la démarche de l’accusé ait pu ressortir au débat historique. Ses mobiles, outre le nationalisme, «ne peuvent relever que de la discrimination raciale, respectivement ethnique.» Le Tribunal fédéral a dès lors laissé ouverte, encore une fois, la question de savoir si la contestation d’un génocide tombe aussi sous le coup de la loi même si son auteur ne devait pas obéir à un mobile raciste. Jusqu’ici, les juges fédéraux n’ont pas encore tranché définitivement un point considéré pourtant comme capital pour départager ce qui relève de la libre expression d’idées, fussent-elles dépourvues de tout fondement, et le révisionnisme considéré comme l’une des manifestations de la haine raciste et qui mérite, lui, d’être réprimé.

Des maux de ventre

Les poursuites intentées contre Dogu Perinçek avaient tendu les relations entre la Suisse et la Turquie. C’est dans ce contexte qu’étaient intervenues les déclarations de Christoph Blocher à Ankara, en octobre 2006. Le chef du Département fédéral de justice et police avait fait scandale en évoquant les «maux de ventre» que lui causait la répression du négationnisme. Le conseiller fédéral UDC avait suggéré une possible révision de la norme pénale, mais les travaux au sein du DFJP n’ont guère débouché sur autre chose, jusqu’ici, que le prudent rapport d’un groupe de travail. On ne sait évidemment rien des intentions de la nouvelle ministre de la Justice, Eveline Widmer-Schlumpf, mais rien ne laisse présager à ce stade qu’elle voudra poursuivre dans la même direction.

Le sujet continue cependant à diviser. Une intense controverse avait précédé l’adoption l’an dernier, par l’Assemblée nationale française, d’une loi réprimant la négation du génocide des Arméniens. De nombreux historiens et intellectuels, et non des moindres, s’étaient déclarés hostiles à une législation coupable d’imposer, à leurs yeux, un sens juridiquement obligatoire de l’histoire.

Arrêt 6B_398/2007 du 12/12/2007

© Le Temps, 2007

raffi
Author: raffi

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