Les Ogres aiment les marionnettes, pas les pantins

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Fête de l’Humanité 2007

Les Ogres aiment les marionnettes, pas les pantins
Grande scène . De la chanson engagée et engageante, les Ogres de Barback seront de la Fête.
Avec eux, on a chanté à tue-tête l’hymne des Bérus, ce Salut à toi ouvert à double tour. À cette époque, leurs concerts avaient tout d’une fiesta made in Kusturica. C’est d’ailleurs du côté des Balkans qu’on est allé voir à quoi ressemblaient ces « étoiles » dans lesquelles Fred, le chanteur, marcha lorsqu’il déambula dans les ruines de Mostar, à la lisière de cette ligne de front qui coupe encore la ville en deux. Et comme dans la chanson, c’est une personne âgée qui nous aura appris à reconnaître éclat d’obus, impact de balle ou de grenade.

Les Ogres de Barback, c’est une madeleine fourrée à la dynamite, un peu de sucre, beaucoup d’explosif. Une fausse désinvolture, de vraies colères, du plaisir à l’état pur. C’est un peu comme siffloter Rue de Paname, l’air de rien, en suivant d’un regard amusé la meute dépensière et bariolée des touristes en goguette captant, bien encadrée, le monde derrière un caméscope. Ou bien de s’entendre murmurer Solène de Grenoble au petit jour…

De fait, les Ogres n’aiment rien tant que se dévoiler en se cachant derrière leurs gros instruments. Ou, depuis peu, en se glissant dans la peau des marionnettes d’Éric Fleury. Ainsi, l’Olympia avait, il y a quelques mois, des allures de barnum entre Freaks et Royal Deluxe. Et, innovation – car telle était la volonté de ce quatuor hors norme (une fratrie respectant parfaitement le principe de parité, Fred, Sam, Alice et Mathilde), eux qui ont bourlingué aux quatre coins de la planète avec leur chapiteau ont voulu que leur public soit assis. « Si l’étiquette de groupe festif nous a ramené du public, c’est plus facile pour écouter les paroles », sourit Alice.

Et son Fred de frangin de rebondir : « Et puis, ça a permis à certains de se rendre compte qu’on ne faisait pas que des chansons sur les petites fleurs et les robes qui valsent l’été. » Au fond, qui en doutait ? C’est presque de notoriété publique : les Ogres aiment les marionnettes, pas les pantins. C’est d’ailleurs ce que le maire UMP d’Oyonnax, Jacques Gobet, a pu découvrir il y a quelques mois.

C’était, pour être précis, à la veille du second tour. Ce soir-là, les Ogres se produisaient au centre culturel Louis-Aragon. Et, comme tous les soirs, ils ont projeté un remix en images de ce que leur inspirait l’actualité : « On y voyait Sarkozy à Sarcelles, promettant aux habitants de les débarasser de la « racaille », se souvient Fred. Mais aussi Ségolène Royal expliquant qu’elle allait mettre les parents face à « leurs responsabilités »… » Un partout, la balle au centre, pourrait-on dire. « Il y avait aussi une manif des sans-papiers de Cachan », ajoute, malicieuse, sa soeur. « Et l’on a su le soir même, conclut l’autre, que ça n’était pas passé… »

Avec le recul, rien d’étonnant, ce maire s’étant déjà illustré en refusant d’inscrire des gosses à la cantine « parce qu’ils n’avaient pas de papiers », soulignent les Ogres. Reste que, lorsqu’ils ont reçu la lettre à en-tête de l’édile, ils ont décidé de ne pas laisser passer une telle occasion. Il faut dire que Jacques Gobet, estimant que le spectacle avait « servi de prétexte à une action de propagande politique dirigée » contre Nicolas Sarkozy, écrira, entre autres perles, que leur « prise de position publique » avait « violé la neutralité républicaine », « heurté et choqué les convictions d’une partie importante du public » et – pire – sera intervenu dans « une ville où les électeurs ont voté Sarkozy à près de 60 % ».

Les Ogres prendront alors leur plus belle plume pour faire une réponse aussi cinglante que jouissive (lire notre édition du 5 juin), rappelant, outre que « la neutralité républicaine ne s’applique qu’aux agents de l’État », que « la prise de position reste indispensable à toute démocratie ». Mises en ligne, les missives feront le tour de la Toile à la vitesse de la lumière. Et Fred de plaisanter : « Ça a été la plus belle promo de notre vie ! » Alice renchérit : « Maintenant, dans les villes de gauche, on va tenir des propos de droite et vice et versa… »

Sauf que, chez les Ogres, rien n’est calculé. Un exemple ? « Dernièrement, on est allés à Moscou. En quatre jours, on a joué huit fois, sourient-ils. Et puis, on en a profité pour visiter la ville. » Leurs séjours dans les Balkans seront du même tonneau. Une simple invitation et les voilà à bourlinguer aux quatre coins de l’ex-Yougoslavie. Rien de calculé. Certes. Mais qu’ils atterrissent sur la Grande Scène de la Fête de l’Huma ne tient en rien au hasard. Surtout cette année.

« La Fête, ça fait des années qu’on y va et qu’on se dit qu’il faudrait qu’on y joue, même si on s’est produits plusieurs fois sur le stand d’Argenteuil », nous expliquent-ils. Et de se souvenir du concert en 2001 de Manu Chao : « On n’avait jamais vu autant de monde de notre vie ! » sourient-ils avec, dans les yeux, l’envie de nous faire revivre la même chose. Fred ajoutant : « Et puis, ce n’est un secret pour personne : même si on n’est encartés nulle part, les Ogres ont clairement le coeur à gauche. Pour nous, en tout cas, il est indispensable qu’à gauche existent plusieurs partis. Si le PC avait disparu, cela aurait été une véritable catastrophe. »

Le tournant, pour les Ogres, ce fut 2002 : « On a un engagement de tous les jours. Est-ce politique ? Libre à chacun d’en juger. Mais il y a ce qu’on dit sur scène, notre façon de fonctionner. Reste qu’à l’époque, on s’est retrouvé en Allemagne. On était une trentaine de personnes, en tournée, raconte Fred. Des gens qui y croient, d’autres qui n’y croient pas ou plus. Et, alors qu’on était à Berlin, on a appris par un coup de fil que Le Pen était au deuxième tour. Les Allemands nous ont fait les gros yeux. Ça nous a ouvert les nôtres. On les a d’abord baissés. Pas par dépit. Mais parce que, désormais, on allait regarder où on allait mettre les pieds. »

Symbolique : l’une de leurs dernières tournées se sera appelée Aux urnes, etc. Mais les Ogres précisent d’emblée : « Ce n’était pas un appel à voter. Mais une invitation à réfléchir sur la politique. Parce qu’on n’est pas là pour faire la morale aux gens. Plutôt pour leur dire qu’on peut faire des choses ensemble. » Même s’ils ne comprennent toujours pas cette France qui a voté pour un candidat dont le slogan était « ensemble, tout devient possible ». Et qu’ils commencent à en avoir marre « de toujours avoir à choisir le moins pire ». De fait, leur seule affiliation revendiquée est leur engagement auprès de l’association RESF.

« On est d’origine arménienne. Nos arrière-grands-parents ont fui le génocide et ont trouvé refuge en France, explique Fred. Ce genre d’atrocités nous a toujours questionnés. Et de voir aujourd’hui en France qu’on expulse des enfants parce qu’ils n’ont pas de papiers, de voir qu’on les considère comme des criminels parce que leurs parents n’ont pas de papiers, pour nous, c’est tout bonnement intolérable. Dans quarante ans, on ne veut pas avoir à dire à nos enfants que, face à cela, on n’a pas bougé le petit doigt. »

Un engagement par simple atavisme ? Non. Ce serait trop simple. Certes, les Ogres, c’est une histoire de famille : « Notre père jouait du piano, se souvient Mathilde. Les instruments étaient là, à disposition. Il n’y avait plus qu’à se servir… » Mais treize ans, une dizaine de disques, des milliers de concerts et des kilomètres en conséquence plus tard, leur histoire et leur parcours montrent que ces derniers se font de la famille une idée des plus larges.

De Pierre Perret à la fanfare du Belgistan en passant par les Hurlements d’Léo, les rencontres qu’ils font, sur la route comme en studio, ne font qu’élargir la fratrie et les horizons. Du simple au néant, leur dernier album (le dixième du nom), en est la meilleure preuve. Le fan, peut, à la première écoute, être dérouté. Mais c’était le but : « On a voulu radicalement changer d’ambiance. Pour amener le public qu’on avait rassemblé jusque-là vers autre chose », avoue Alice. « Intimiste », dit-elle pour définir l’atmosphère du disque. Avant de rectifier : « En fait, le seul exercice de style que l’on s’est imposé, c’est, à chaque morceau, de voyager. »

Dont acte. Eux qui ont leur racine du côté de Cergy-Pontoise, et qui, pour un morceau, n’hésitent pas à traverser la moitié de l’Europe ou une bonne partie de l’Afrique, ont été jusqu’à confier le mix à un magicien du son oeuvrant au coeur de la Grosse Pomme, Nick Sansano. « Un jour, les Ogres sont venus avec les disques qu’ils écoutaient. Et de découvrir qu’il y en avait un qu’ils avaient tous en commun, Des visages, des figures de Noir Désir, se souvient Julien, leur ange-gardien. Ils ont cherché à savoir qui était derrière. Et ont envoyé un mail à Nick sur l’air du « J’aime beaucoup ce que vous faites ». » Et voilà… »

Les Ogres ont la bougeotte. Vu ce qui est sorti des urnes, ils auront eu la tentation, un temps, d’« aller se réfugier en Ardèche », plaisantent-ils. Déserter, les Ogres ? ! Pas le genre de la maison. Prendre le maquis, à la rigueur. Mais avant tout, être là. Faire acte de présence, la première des résistances. Un certain dimanche de mai, ils n’étaient pas à la Concorde. « Avant, y avait Sardou. Maintenant, c’est Mireille Mathieu, Doc Gyneco et Enrico Macias », grimacent-ils. Qu’importe : samedi, à la Fête, il y aura les Ogres sur la Grande Scène. Et c’est tout ce qui compte.

Sébastien Homer

L’Humanité

30 août 2007

raffi
Author: raffi

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